10 décembre 2021

La Proie d'une ombre

Premier problème : ce titre complètement bidon. La Proie d'une ombre. A quel moment peut-on décider que ça sonne bien, que ça donne envie, que ça claque ?! On dirait un Karine Giébel... Notons que le titre original, The Night House, ne brille pas non plus par son originalité et qu'existait déjà L'Ombre et la proie, une association bien plus heureuse des mêmes mots pour un film au pitch et au casting autrement plus aguicheurs : Val Kilmer et Michael Douglas y chassaient des lions mangeurs d'homme au Kenya, à la fin du XIXe siècle (je l'ai vu, à la fin du XXe, et n'en garde aucun souvenir, si ce n'est celui du regard anxieux de Douglas derrière son fusil à lunette, un filet de sueur descendant le long de sa tempe, une marque de fabrique de l'acteur). Ce titre a pour seul mérite de coller au film, littéralement, et à son scénario qui se veut une subtile métaphore du deuil et de la dépression. Rebecca Hall incarne, avec un sérieux et une application qui participent à éviter le désastre total, une femme qui sombre peu à peu suite au suicide de son mari. Dans la grande baraque en bord de lac où elle habite désormais seule, elle est assaillie par des visions et des terreurs nocturnes qui l'amènent à enquêter le passé du défunt...


 
 
Deuxième problème, et celui-ci est de taille : ce scénario à la mords-moi-le-nœud. On peut pourtant y déceler de très louables intentions ; une volonté de donner dans le fantastique adulte et sérieux, à contrecourant de certaines tendances actuelles ; la perspective d'une horreur psychologique, plongée dans la tête d'un personnage en pleine descente aux enfers ; et la promesse d'un film de fantôme, de maison hantée, s'inscrivant dans la plus noble tradition du genre. Bref, on se dit pourquoi pas, on a envie d'y croire, d'autant plus que le précédent long métrage de David Bruckner, The Ritual, était plutôt correct ou en tout cas au-dessus de la moyenne actuelle (vous noterez toute la pondération qui alourdit mes phrases déjà bancales et atteste de l'estime très relative que je porte à ce réalisateur qui, s'il entreprenait un retour à la terre et optait pour le zéro déchet, ne constituerait pas une grande perte pour le cinéma et m'épargnerait quelques soirées).


 
 
Hélas, si The Night House recèle bel et bien une ou deux idées de mise en scènes intéressantes lors de scènes de trouille plutôt efficaces que nous vivons à travers les yeux de ce personnage qui perd pied, auquel Rebecca Hall apporte donc crédibilité et nuance, il cherche aussi à surfer avec opportunisme sur la vague #MeToo et s'avère au bout du compte beaucoup trop mal écrit et laborieux pour tenir la route. Avec ce personnage de mari disparu, absent mais omniprésent, que l'on croit d'abord coupable d'infidélités répétées puis que nous pensons être un stalker, un harceleur de femmes en puissance, voire bien pire encore, et dont l'esprit semble désormais hanter la demeure où vit notre pauvre héroïne, The Night House rappelle beaucoup trop la récente déclinaison de l'Homme Invisible par Leigh Whannell, autre thriller horrifique tenu à bout de bras par une actrice impliquée en la personne d'Elisabeth Moss.


 
 
Leigh Whannell puisait lui aussi son inspiration dans l'actualité à travers ce qui se voulait une métaphore horrifique, plus directe et moins tordue – bien que très balourde également –, de la masculinité toxique poussée à son paroxysme. Le scénar signé Ben Collins et Luke Piotrowski que s'applique à mettre en boîte David Bruckner se révèle encore plus fumeux et tellement maladroit que l'on peut même se demander si, en réalité, il n'est pas d'une terrible misogynie. Attention, divulgâchis en vue. Il s'avère en définitive que la femme est à l'origine de tous les maux : son propre démon, incarnation surnaturelle de sa dépression, de cette pulsion de mort dont son mari l'a longtemps sauvée, a poussé ce dernier à commettre l'impensable et à finalement opter pour un suicide en forme de sacrifice amoureux... C'est en tout cas ce que je comprends de cette horreur de film, quand bien même je préfère ne pas m'y éterniser car il n'en vaut pas la chandelle. La fin, assez expéditive, n'y invite guère non plus. Elle conclut un dernier tiers épuisant et bien plus démonstratif où David Bruckner marche encore sur les plates-bandes d'Invisible Man, avec ces mots écrits sur la buée d'un miroir de salle de bains par une force invisible qui finit par s'en prendre plus vertement à notre pauvre héroïne. Ce climax raté rappelle aussi les scènes choc du bien plus mémorable L'Emprise : le contexte est quasi identique et les effets visuels très similaires.


 
 
On reste au final dans un entre-deux bien pratique qui permet toutes les errances, approximations et absurdités. Tout était donc dans la tête du personnage, cette femme au deuil impossible qui sombre dans les affres de la dépression suite à la mort brutale de son époux. Ce mantra nous évite de chercher à tout comprendre et à démêler le vrai du faux. C'est ce que l'on peut se dire par facilité, comme pour chasser ce que l'on vient de voir de notre esprit et ne pas perdre plus de temps. C'est aussi une lecture que soutient l'interprétation irréprochable de Rebecca Hall, dont on se demande bien pourquoi elle s'échine à jouer dans de tels trucs (cette actrice doit aimer l'épouvante et peut-être un jour se mettra-t-elle au service d'un film valable – on le lui souhaite car elle le mérite). Enfin, cela permet accessoirement de dédouaner ces sagouins de scénaristes : ça ne les excuse pas, mais ça rend leur travail un peu moins dégueulasse. 
 
 
La Proie d'une ombre de David Bruckner avec Rebecca Hall (2021)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire