Premier problème : ce titre complètement bidon.
La Proie d'une ombre. A quel moment peut-on décider que ça sonne bien,
que ça donne envie, que ça claque ?! On dirait un Karine Giébel...
Notons que le titre
original, The Night House, ne brille pas non plus par son originalité et
qu'existait déjà L'Ombre et la proie, une association bien plus
heureuse des mêmes mots pour un film au pitch et au casting autrement
plus aguicheurs : Val Kilmer et Michael Douglas y chassaient des lions
mangeurs d'homme au Kenya, à la fin du XIXe siècle (je l'ai vu, à la fin
du XXe, et n'en garde
aucun souvenir, si ce n'est celui du regard anxieux de Douglas derrière
son fusil à lunette, un filet de sueur descendant le long de sa tempe,
une marque de fabrique de l'acteur). Ce titre a pour seul
mérite de coller au film, littéralement, et à son scénario qui
se veut une subtile métaphore du deuil et de la dépression.
Rebecca Hall incarne, avec un sérieux et une application qui participent
à éviter le désastre total, une femme qui sombre peu à peu suite au
suicide
de son mari. Dans la grande baraque en bord de lac où elle habite
désormais seule, elle est assaillie par des visions et des terreurs
nocturnes qui l'amènent à enquêter le passé du défunt...
Deuxième problème, et celui-ci est de taille :
ce scénario à la mords-moi-le-nœud. On peut pourtant y déceler de très
louables intentions ; une volonté de donner dans le fantastique adulte
et sérieux, à contrecourant de certaines tendances actuelles ; la
perspective d'une horreur psychologique, plongée dans la tête d'un
personnage en pleine descente aux enfers ; et la promesse d'un film de
fantôme, de maison hantée, s'inscrivant dans la plus noble tradition du
genre. Bref, on se dit pourquoi pas, on a envie d'y croire, d'autant
plus que le précédent long métrage de David Bruckner, The Ritual, était
plutôt correct ou en tout cas au-dessus de la moyenne actuelle
(vous noterez toute la pondération qui alourdit mes phrases déjà
bancales et atteste
de l'estime très relative que je porte à ce réalisateur qui, s'il
entreprenait un retour à la terre et optait pour le zéro déchet, ne
constituerait pas une grande perte pour le cinéma et m'épargnerait
quelques soirées).
Hélas, si The Night
House recèle bel et bien une ou deux idées de mise en scènes
intéressantes lors de scènes de trouille plutôt efficaces que nous
vivons à travers les yeux de ce personnage qui perd pied, auquel Rebecca
Hall apporte donc crédibilité et nuance, il cherche aussi à surfer avec
opportunisme sur la vague #MeToo et s'avère au bout du compte beaucoup
trop mal écrit et laborieux pour tenir la route. Avec ce personnage de
mari disparu, absent mais omniprésent, que l'on croit d'abord coupable
d'infidélités répétées puis que nous pensons être un stalker, un
harceleur de femmes en puissance, voire bien pire encore, et dont
l'esprit semble désormais hanter la demeure où vit notre pauvre héroïne,
The Night House rappelle beaucoup trop la récente déclinaison de
l'Homme Invisible par Leigh
Whannell, autre thriller horrifique tenu à bout de bras par une actrice
impliquée en la personne d'Elisabeth Moss.
Leigh
Whannell puisait lui aussi son inspiration dans l'actualité à
travers ce qui se voulait une métaphore horrifique, plus directe et
moins tordue – bien que très balourde également –, de la masculinité
toxique
poussée à son paroxysme. Le scénar signé Ben Collins et Luke
Piotrowski que s'applique à mettre en boîte David Bruckner se révèle
encore plus fumeux et tellement maladroit que l'on peut même se demander
si, en réalité, il n'est pas d'une terrible misogynie. Attention,
divulgâchis en vue. Il s'avère en définitive que la femme est à
l'origine de tous les maux : son propre démon, incarnation surnaturelle
de sa dépression, de cette pulsion de mort dont son mari l'a longtemps
sauvée, a poussé ce dernier à commettre l'impensable et à finalement
opter pour un suicide en forme de sacrifice amoureux... C'est en tout
cas ce que je comprends de cette horreur de film, quand bien même je
préfère ne pas m'y éterniser car il n'en vaut pas la chandelle. La fin,
assez expéditive, n'y invite guère non plus. Elle conclut un dernier
tiers épuisant et bien plus démonstratif où David Bruckner marche encore
sur les plates-bandes d'Invisible Man, avec ces mots écrits sur la buée
d'un miroir de salle de bains par une force invisible qui finit par
s'en prendre plus vertement à notre pauvre héroïne. Ce climax raté
rappelle aussi les scènes choc du bien plus mémorable L'Emprise : le
contexte est quasi identique et les effets visuels très similaires.
On
reste au final dans un entre-deux bien pratique
qui permet toutes les errances, approximations et absurdités. Tout était
donc dans la tête du personnage, cette femme au deuil impossible qui
sombre dans les affres de la dépression suite à la mort brutale de son
époux. Ce mantra nous évite de chercher à tout comprendre et à démêler
le vrai du faux. C'est ce que l'on peut se dire par facilité, comme pour
chasser ce que l'on vient de voir de notre esprit et ne pas perdre plus
de temps. C'est aussi une lecture que soutient l'interprétation
irréprochable de Rebecca
Hall, dont on se demande bien pourquoi elle s'échine à jouer dans de
tels trucs (cette actrice doit aimer l'épouvante et peut-être un jour se
mettra-t-elle au
service d'un film valable – on le lui souhaite car elle le mérite).
Enfin, cela permet accessoirement de dédouaner ces sagouins de
scénaristes : ça ne les excuse
pas, mais ça rend leur travail un peu moins dégueulasse.
La Proie d'une ombre de David Bruckner avec Rebecca Hall (2021)
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