Déjà, le titre. "Nanga Parbat, la montagne tueuse". Il annonce la couleur, ce titre, non ? Elle n'y est pour rien cette foutue montagne, ils n'avaient qu'à pas s'y frotter ! Et c'est assez racoleur, pour un documentaire, vous ne trouvez pas ? En revanche, j'apprécie tout particulièrement la tagline. "Freine ! Freine !" Bien sûr, il n'en fallait pas plus pour que je me laisse tenter, je reste un zonard de base... Mais plus que le titre et la tagline, ce sont les quelques prix glanés dans des festivals spécialisés, bien mis en évidence sur la jaquette, qui ont titillé ma curiosité ! J'espérais qu'ils avaient visé aussi juste que pour Cerro Torre Cumbre, que je considère comme un chef-d’œuvre dépassant aisément sa petite catégorie de films de montagne. Mais non, ce documentaire signé Gerhard Baur n'arrive pas à la cheville de la petite merveille de Fulvio Mariani et les deux hommes, qui ont tous deux travaillés avec Werner Herzog pour les prises de vue en haute altitude de Cerro Torre, le cri de la roche (on y reviendra !), n'évoluent pas dans la même division. A l'évidence, ils ne pratiquent pas tout à fait le même art.
Si l'on se fie au ratio du nombre de décès par tentatives d'ascension, le Nanga Parbat serait la troisième montagne la plus dangereuse au monde. Notons toutefois que ces chiffres sont susceptibles de varier du tout au tout d'un instant à l'autre en cas de chute collective, d'avalanche mortelle ou autre funeste imprévu ; c'est déjà arrivé. Le pic du Gradail (465m), modeste promontoire du Razès situé dans les confins occidentaux du département audois, entre Limoux et Mirepoix, avait réussi à se hisser en sixième position de ce sinistre classement suite à un règlement de comptes particulièrement sanglant entre chasseurs remontés qui s'étaient retrouvés au sommet avec quelques vieilles affaires à traiter. Mais passons... Le fait est que le Nanga Parbat, 8 125 mètres d'altitude et neuvième plus haut sommet de la planète (ça, c'est indiscutable), n'est pas à la portée de n'importe quel guignol et que pas mal d'alpinistes y ont hélas laissé leur vie (le célèbre Reinhold Messner y a notamment perdu son frère en 1970). Les chutes de pierre y sont fréquentes, les couloirs d'avalanche nombreux et les pentes particulièrement escarpées, ce qui en fait l'un des 8 000 les plus redoutés.
Le documentaire de Gerhard Baur revient sur la tentative d'ascension d'un petit groupe d'alpinistes d'origines autrichiennes et allemandes en juillet 2004. Après une très rapide présentation des particularités du Nanga Parbat et de sa sordide réputation, Baur se consacre à la reconstitution de l'ascension, régulièrement entrecoupée par les témoignages des quelques survivants, dont les visages attestent des épreuves terribles qu'ils ont dû traverser. Lèvres blanches striées de profondes gerçures, extrémités des oreilles noirâtres attaquées par les engelures, peau du visage ravagée et brûlée par le soleil, regard fatigué et dans le vague... les bonhommes, que l'on jurerait interrogés au pied de la montagne après leur descente, font vraiment peine à voir et leurs tronches en disent plus long que leurs mots. A leur façon d'insister sur la personnalité rayonnante de leur collègue Günter, on comprend bien vite que celui-ci n'a pas dû faire le chemin du retour. Günter, que l'on voit sur des photos et vidéos prises avant l'ascension, est le portrait craché de Benoît Poelvoorde en phase ascendante de dépression, un type jovial, plein de charme, au sourire irrésistible. Nous le voyons évoquer son obsession pour cette montagne si difficile à gravir, obsession qui lui sera malheureusement fatale. RIP Günter.
On est d'abord bluffé par la qualité et le sérieux de la reconstitution, qui nous amène même à douter de la présence ou non d'une caméra pendant la fameuse épopée ! On est dedans, plutôt pris par la tension mise en place par Baur. Bien que le film affiche des ambitions assez sommaires, on a ce que l'on était venu chercher : un documentaire efficace qui nous fait passer un sale moment dans la zone de la mort. Hélas, cela ne dure pas. Nanga Parbat, la montagne tueuse perd beaucoup de son allant et de son intérêt à partir du moment où la randonnée dégénère pour de bon et prend une tournure meurtrière. La reconstitution, qui en devient alors clairement une, pêche et frôle le ridicule lorsqu'il est question de nous montrer l'un des alpinistes en proie à de terribles hallucinations, premiers signes d'œdème cérébral, un phénomène très courant dans un tel contexte. Nous assistons alors au spectacle pathétique d'un type en combinaison bleue faisant des roulés-boulés dans la neige pour exprimer son mal-être, se prenant la tête entre les mains comme pour chasser les démons qui l'assaillent. La scène se déroule de nuit, le gars est supposé être seul, dans le dur, à quelques pas du rencard avec la Grande Faucheuse, mais le tout est assez mal filmé et éclairé par la lampe torche d'un observateur passif que l'on ne devrait pas pouvoir deviner et que l'on imagine se fendre la gueule. Le pauvre mec est en plein délire et va sans doute y rester, mais on voit les jambes du caméraman ! Cela a pour effet de nous sortir du film et même de nous faire dès lors adopter un regard critique, presque moqueur, sur ces pauvres alpinistes qui jouent leurs vies pour des exploits bien inutiles... Ne pouvaient-ils pas opter pour un hobby plus tranquille ? Un vrai bon film de montagne ne doit pas inspirer ce type de réflexions au spectateur. Le verdict tombe, sans appel, si Nanga Parbat, la montagne tueuse pourra en contenter quelques uns, les moins regardants, il n'est pas une grande réussite d'un genre qu'il ne participe pas à élever.
Nanga Parbat, la montagne tueuse de Gerhard Baur (2005)
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