11 août 2021

Terminal Sud

Entre amis, on n'aime pas garder une arête de poiscaille en travers de la gorge. Ni une pièce de monnaie coincée sur la tranche. RAZ est appelé à la barre. Rabah Ameur-Zaïmeche. Rabah-joie Ameur-Zaïmeche. Que faut-il dire de Terminal Sud ? C'est un film ambitieux, original, âcre et âpre, acide, astringent (première fois qu'on écrit ce mot), une particularité totale qu'il partage seulement avec le venin de crotale, au PH perché au plafond (on peut aussi le décrire par la négative en disant tout ce qu'il n'est pas : doux, sucré, pâtissier, gourmand, doucereux, langoureux, en un mot réconfortant ; ce n'est pas un repas-doudou, comme le sont les coquillettes au beurre pour l'un de vos serviteurs, les rognons et roustons de bestiole quelle qu'elle soit pour l'autre). C'est un film qui ne dit pas son nom (à part sur l'affiche et au générique d'introduction, et encore, à vérifier, on arrive toujours un peu en retard dans la salle).
 
 

 
Dans le paysage cinématographique français (expression assez originale de notre part), c'est un back hole, un cheval de Troie, un hoax. Terminal Sud nous saisit au futal dès la première seconde, dès le premier plan (serré, sur le regard anxieux d'Eric Judor, impérial), pour nous larguer sur le trottoir à la sortie du cinéma, le cœur en charpie, tout repère spatial, temporel et spatio-temporel brouillé, anéanti, perdu. Tel le Zardoz qu'il est, le magicien RAZ (à ne pas confondre avec ZAZ aux œuvres plus plaisantines, plus proches d'un repas-doudou qui satisferait tout le monde, du style coquillettes aux roustons de veau) nous a maraboutés avec sa magie blanche digne des sorcières de Salem Rushdie. On n'en menait pas large devant ce film que nous avons choisi de nous tailler au pire moment possible, soit un dimanche soir, pour la dernière séance, ultime respiration d'homme libre prêt à retourner pointer au commissariat faire biper son bracelet de cheville avec un high-kick sur le petit bouton pressoir de la sonnette des flics dans un grand craquement de jogging Kipsta. 
 
 

 
Peut-on parler du film ? Aucun repère spatio-temporel. A peine le visage du méconnaissable Eric Judor nous place-t-il en terrain vague. L'atmosphère est irrespirable (pas une trace d'humidité dans l'air). On suffoque dans son siège. Les huit premiers boutons de la chemise dégrafés, on halète face à l'étau que RAZ resserre tout doucement et avec un soin maniaque. On peut quand même dire un mot du film à proprement parler : du scénario. Nous avons nommé le fameux été où nous avons vu ce film en salles, soit la fin de l'été 2019, l'été meurtrier. Judor, le poids du monde sur les épaules et la sueur de tout un peuple sous les aisselles, traîne ses guêtres de médecin sans frontières dans un bled innommé et innommable, en une époque indéfinie et indéfinissable qui nous rappelle les heures les plus sombres de l'ère Sarkozy. Pas d'échappatoire. Contrôles à toutes les frontières. Palpations ad hominem. Pression sécuritaire. Frissons dans le bas du dos. Tortures à tous les étages. Géhennes à tous les coins de rue. Exécutions arbitraires, du moins celle du spectateur. 
 
 

 
En filmant un monde qu'il ne nomme pas, RAZ nous dresse un bouquet de souffrances qui n'a pas de couleur, qui n'a pas de limites, qui n'a pas de frontières. Toute la merde du monde sur un plateau. On dit souvent que les fêlés laissent passer la lumière. Il y a au moins ce bon côté chez RAZ, dont le film est cependant un abîme de noirceur. Courageux, pertinent, sec comme une tasse de chaï latté, ce film laisse des marques, des cicatrices. Aussi nécessaire que dispensable. C'est le film terminal d'un homme en colère, d'une colère (f)roide. On aurait peut-être préféré que RAZ pète un bon câble une fois pour toutes dans un court métrage exutoire et expiatoire, mais le mal est fait, bien fait, on y a goûté, on en a pris notre grosse louche, c'était une joie et une souffrance, surtout une souffrance, espérons que l'orage est passé. On attend, tels les lendemains qui chantent, les prochains musicals du grand et unique RAZ, le mage de Serpentar, le prince des ténèbres. Notre ami RAZ.


Terminal Sud de Rabah Ameur-Zaïmeche avec Ramzy Bedia (2019)

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