Ce film est celui d'un double come-back au premier plan. Deux retours que l'on attendait plus et dont on attendait rien. Celui de Jude Law, également producteur, qui trouve enfin un rôle à sa (dé)mesure ; et celui du cinéaste Sean Durkin qui nous revient plus sage, plus mûr, neuf ans après son premier long métrage, Martha Marcy May Marlene —
un film, assez remarqué à sa sortie, avec lequel nous nous étions montrés impitoyables parce qu'il nous semblait l'avoir bien cherché : à force de trop vouloir se faire mousser, Sean Durkin avait trouvé notre bâton. Heureuse surprise aujourd'hui, The Nest paraît bien plus maîtrisé et aimable que le titre breakthrough de son auteur qui, entre temps, a perdu ses cheveux filasses, son look d'hipster mais a gagné en maturité et, sans doute aussi, en humilité, et c'est bien là le plus important, car c'est justement ce qui lui manquait le plus.
Sean Durkin nous narre cette fois-ci les déboires d'une petite famille qui, portée par l'ambition dévorante et les rêves de grandeur du paternel (Jude Law), déménage de la côte est des États-Unis vers l'Angleterre. Nous sommes dans les années 80 et l'entrepreneur avide de luxe et de succès qu'incarne très solidement Jude Law sent qu'il y a de gros coups juteux à jouer avant que la dérèglementation des marchés financiers n'englobe également l'Europe. Il contraint donc sa femme, monitrice d'équitation, et ses deux enfants, un garçon timide et une ado rebelle, à abandonner leur vie bien réglée et leur confort américain pour s'installer dans un immense manoir situé dans la campagne au sud de Londres. Évidemment, rien ne se passera aussi bien que prévu et l'acclimatation en Surrey s'avèrera, pour tout ce beau monde, assez compliquée...
On nage en effet en plein drame familial, et celui-ci prend quasiment la forme d'un thriller psychologique feutré, à l'angoisse latente, certaines images flirtant même avec le film de maison hantée, effet appuyé par le style gothique de la vaste demeure. La tension monte très progressivement au sein du couple, sans aboutir à de véritables éclats, mais de manière plus subtile et pernicieuse. Jusqu'au bout, on se demande comment les choses vont déraper et si elles vont dégénérer pour de bon. Sean Durkin plante patiemment et habilement le décor, nous laissant cerner petit à petit les caractères et les forces en présence. Si ses petits effets de mise en scène sont parfois un peu redondants ou forcés, avec notamment ces espèces de zooms et de travellings avant presque imperceptibles qui essaient trop souvent de venir apporter un peu de gravité et d'alourdir une atmosphère déjà pesante, on a aucun mal à s'intéresser à son histoire.
En étant très bienveillant à l'égard de Sean Durkin, on pourrait dire que l'on est désormais plus proche d'un Paul Thomas Anderson que des travers du cinéma indé vers lesquels penchait méchamment son précédent essai.
Les deux acteurs principaux y sont pour beaucoup dans la réussite globale du film. Jude Law est vraiment impeccable, dans un registre qu'on lui connaissait mal et dans un rôle d'homme entre deux âges, toujours habité par ses blessures et ses rêves de jeunesse, où il est très crédible et juste. Jeune premier au physique d'éphèbe devenu DILF de second choix, l'acteur britannique a lui aussi été victime d'errements et de problèmes capillaires cruels qui n'ont pas dû faciliter sa carrière, en dents de scie depuis quelques années (il a touché le fond dans Captain Marvel où, au diapason du film, il était ridicule à souhait). Peut-être ce souci de cheveux fuyants est-il le fondement de la solidarité que l'on ressent entre la star et son cinéaste qui, devenu chauve au cours de la décennie séparant ses deux longs métrages, a de son côté choisi d'assumer sa calvitie en se rasant la tête. Vous aurez compris que l'on est ici très sensible à cette question. Quant à Carrie Coon, dont la ressemblance avec Cate Blanchett est assez troublante, elle offre une prestation très convaincante, riche en nuances, loin des clichés, nous croyons sans problème à son personnage.
Si tout cela fonctionne, c'est aussi parce que le film est bien écrit. L'une des grandes qualités du scénario signé Durkin est de s'intéresser aux quatre membres de la famille, de n'en laisser aucun sur le bord de la route. Bien qu'il se concentre évidemment davantage sur les parents, ce couple au bord de l'implosion, il n'oublie pas pour autant les deux enfants : le peu qu'il dit et montre d'eux est suffisant pour qu'ils existent bel et bien et soient plutôt intéressants.
Un regard attentif est ainsi porté sur toute la famille, et la belle scène finale achève de nous convaincre de la finesse du trait. Autre signe d'intelligence particulièrement appréciable : Sean Durkin joue très adroitement avec les non-dits, sans toutefois en abuser, laissant quelques questions en suspend, quelques éléments secondaires à notre interprétation. Cette imprécision volontaire et très bien mesurée participe du sentiment de malaise diffus et de plus en plus envahissant qui émane de notre couple en péril. Elle permet aussi au film de ne pas être trop lourd, psychologiquement parlant, de ne pas tomber dans les explications vaseuses et les raccourcis faciles, on déduit ce qu'il y a à déduire.
Enfin, tout au long de cette descente non pas aux enfers mais en pleine crise conjugale et familiale, Sean Durkin a le bon goût de toujours savoir s'arrêter pile quand il faut. Au moment où la barque menace dangereusement d'être trop chargée, il n'insiste pas, et s'en tire de justesse, sans jamais nous paumer par une accumulation excessive de pépins, d'emmerdes en tout genre et d'autres joyeusetés. Tout part en vrille, le gracieux cheval de madame finit par clamser pitoyablement, le mignon petit garçon se fait harceler à l'école par ses camarades, la gamine récalcitrante sombre dans la dark wave et les soirées enfumées improvisées, mais ppfffiou, ça passe, il n'en fallait vraiment pas plus, on aurait pu frôler l'overdose et lâcher l'affaire tout net. The Nest parvient à rester sur les bons rails jusqu'à sa très satisfaisante conclusion et nous voilà donc réconciliés avec Sean Durkin. Nous espérons même à présent le retrouver pour un troisième film du même acabit dans un peu moins longtemps qu'il nous en a fallu pour découvrir celui-ci.
The Nest de Sean Durkin avec Jude Law, Carrie Coon, Oona Roche et Charlie Shotwell (2020)
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