12 juin 2019

If....

Le festival de Cannes vient de passer et nous ne nous sommes même pas fendus d'un petit édito pour débriefer le palmarès, ce qu'aurait fait tout bon blogueur ciné. On ne peut pas toujours être à l'affût. Mea culpa. Pas un mot non plus sur la finale de Roland Garros. C'est honteux. Cannes, c'est quand même pas tous les ans. En prime cette année le festival avait lieu en France. A défaut de tirer de grandes leçons de cette édition (la principale étant qu'un président de jury absolument médiocre peut décidément offrir un palmarès intéressant), j'ai envie de vous parler d'une palme d'or, au pif. C'est déjà ça. Et c'est tombé sur If...., avec quatre points de suspension, ce n'est pas une coquille, lauréat de l'édition de 1969, film anglais réalisé par Lindsay Anderson en 68, avec Malcolm McDowell dans son premier rôle au cinéma, qui lui vaudra d'être repéré par Stanley Kubrick pour Orange Mécanique, trois ans plus tard, Alex DeLarge étant le prolongement direct du personnage qu'il interprète ici.





La date du film, les affiches (originales et plus récentes) et un certain nombre de dialogues invitent à lire If.... comme une fable révolutionnaire, mais à le voir aujourd'hui on le perçoit surtout comme précurseur de ces films qui ont montré la rébellion meurtrière de jeunes adolescents face à une société trop normée et corsetée. If...., dont le titre sonne comme un avertissement, une prémonition des tueries de masse qui se sont depuis longtemps généralisées aux États-Unis et qui font aujourd'hui partie du décor, se déroule presque intégralement dans un collège privé d'Angleterre, où la jeunesse est violemment pliée aux codes absurdes d'une institution à la fois scolaire, religieuse et militaire qui délègue son embrigadement à une poignée d'élèves plus âgés voués à faire régner l'ordre et la peur avec zèle. Trois élèves, menés par Malcolm McDowell, et bientôt rejoints par une serveuse rencontrée dans un bar local, prennent peu à peu des libertés avec cette autorité, la contestent de plus en plus vivement, avant de se soulever dans une explosion de violence armée.





C'est un peu Le Cercle des poètes disparus mais sans Monsieur Keating (RIP Robin Williams, a beloved uncle taken from our lives but never from our hearts), où la poésie passe par des collages sur les murs de la chambre des étudiants, collision entre la reine d'Angleterre, Charlotte Rampling posant nue, les Black Panthers, Hitler ou la guerre du Vietnam, et où le suicide par revolver devient un massacre à l'arme de guerre. Lors d'une scène étonnante, où les élèves sont conviés par leurs professeurs à un entraînement militaire, les révoltés se munissent de quelques balles réelles et, cachés dans un fourré, mitraillent le reste du groupe, sans faire de blessés... à ce stade. A la fin de la séquence, le directeur de l'école s'approche des insurgés et leur intime l'ordre de le rejoindre. Malcolm McDowell, alias Mick, sort alors de sa cachette, s'approche du directeur, le braque avec son arme et lui tire dessus, à blanc, avant de faire mine de le transpercer avec sa baïonnette. Cette scène sonne comme un écho à celle, au début du Target de Peter Bogdanovich, sorti la même année, où le jeune mass shooter s'entraîne à tirer au fusil dans son jardin et place soudain son propre père dans son viseur avec l'envie irrépressible de le descendre. Elle préfigure aussi la fameuse séquence, au mitan de Full Metal Jacket (Kubrick encore), où le soldat Baleine confronte son sergent instructeur dans les chiottes du dortoir.





Mais plus globalement, If.... évoque un film comme Elephant de Gus Van Sant, même si son régime esthétique n'est ni aussi passionnant ni aussi abouti. Le film de Lindsay Anderson, représentant du free cinema anglais, a peut-être charmé le jury cannois en son temps par une forme relativement audacieuse, marquée notamment par de brusques et somme toute arbitraires passages au noir et blanc, qui paraissent plutôt gratuits en définitive (et seraient dus, selon certaines sources, à des coupes budgétaires), à l'image de quelques tentatives d'humour absurde, comme ce moment où le directeur de l'école, après l'agression évoquée ci-dessus, sort soudain du tiroir d'un buffet dans son bureau, comme un vampire reposant dans un tombeau - saillies loufoques un brin surfaites mais quant à elle assez réjouissantes. Comme quand les insoumis, de corvée de nettoyage après leur dernière mise en scène, découvrent, avant de mettre la main sur un énorme arsenal d'armes lourdes, un bocal contenant un fœtus, au fond d'une armoire, métaphore singulière du système éducatif auquel on les astreint.





Mais ce qui marque, et qui évoque en partie et par anticipation le film de Van Sant, c'est la convergence des causes possibles de l'explosion destructrice finale : autorité écrasante, discours débiles prônant l'effort à l'exclusion de tout plaisir, enseignements pédants et humiliants, confusions historiques, harcèlement moral, physique et sexuel quand des élèves en plongent un autre dans la cuvette des toilettes ou quand un jeune garçon sert d'esclave sexuel à un plus vieux, violence sadique quand les trois rebelles sont battus par leurs délégués, poids de la culpabilité religieuse et de l'idéal militaire, etc. Tout cela contenu dans le regard déjà habité de haine froide et le visage doucement effrayant de Malcolm McDowell, et qui aboutit à une scène terrible où les révoltés, perchés sur le toit d'un bâtiment, bombardent et mitraillent à vue les autres élèves et les adultes de l'école sortant d'une messe, qui s'empressent à leur tour de prendre les armes pour répondre aux balles par les balles.


If.... de Lindsay Anderson avec Malcolm McDowell (1969)

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