Titre plutôt méconnu du cinéma américain des années 70, Cinderella Liberty, platement transformé en Permission d'aimer en VF, est tiré d'un scénario écrit par Darryl Poniscan et adapté de son propre roman. Cet auteur est la personne idéale quand il s'agit de nous raconter de poignantes histoires de marins de l'US Navy puisqu'il avait également inspiré l'inoubliable The Last Detail de Hal Ashby ainsi que sa suite spirituelle, Last Flag Flying, transposé avec nettement moins de bonheur à l'écran l'an passé par Richard Linklater. Le film de Mark Rydell se présente comme un très beau compagnon au chef d'œuvre de Hal Ashby sorti la même année. Il se concentre non pas sur une nouvelle histoire d'amitié entre marines mais sur une très belle et simple romance, celle que vont vivre deux personnages attachants campés par des acteurs au meilleur de leur forme, James Caan et Marsha Mason.
Immobilisé à la base navale de Seattle à cause d'un souci de santé peu glorieux (un kyste pilonidal), John Baggs (James Caan) fait la rencontre de la jolie Maggie (Marsha Mason) dans un bar des quartiers animés de la ville lors d'une "cinderella liberty" (dans le jargon militaire, une permission de sortie s'achevant à minuit). Après avoir passé un premier bout de nuit avec elle, John tombe rapidement amoureux de cette femme sans le sou, prostituée aux mœurs légères et mère d'un garçon noir de 13 ans qui aurait bien besoin d'être un peu recadré. Nous suivons avec plaisir cette jolie histoire d'amour, contrariée par la malchance et parasitée par les péripéties de Baggs (dossier perdu par l'administration militaire, corvées pénibles à effectuer en binôme avec un collègue pot-de-colle trop causant, etc).
Le film fonctionne à plein régime car nous croyons à la sincérité des sentiments qu'éprouve John pour Maggie. Comme face à un film romantique réussi, nous avons juste envie de voir les deux personnages heureux ensemble. James Caan donne subtilement vie à cet officier de l'US Navy qui cherche simplement à s'occuper de la femme dont il est tombé amoureux mais aussi de son garçon, par pure bienveillance, prenant leurs problèmes à bras le corps et essayant de les aider autant qu'il peut, sans doute animé par le noble désir de fonder une famille et de réussir ce que sa vie militaire lui a jusque-là rendu impossible. L'acteur reconnaît avoir fait quelques mauvais choix suite à sa consécration dans Le Parrain mais il n'oublie jamais de mentionner le film de Mark Rydell comme une exception, il en est très fier et l'on comprend aisément pourquoi. Il y trouve à l'évidence l'un de ses plus beaux rôles.
Cinderella Liberty apparaît également comme une conjugaison de talents particulièrement harmonieuse puisque le générique est l'étonnante réunion de quelques grands noms, au-delà des acteurs comme Burt Young et Eli Wallach que nous retrouvons avec joie dans des seconds rôles sympathiques. La musique est ainsi signée John Williams, dans un registre inhabituel loin de ses envolées lyriques spielberguiennes. Surtout, le grand Vilmos Zsgimond, au sommet de son art, officie au poste de directeur photo et ce dernier y est sans doute pour beaucoup dans l'allure du film, un vrai régal pour les yeux, magnifiant notamment les couleurs de la ville la nuit. Quant à Mark Rydell, dont je n'avais vu que La Maison du Lac sans en garder le souvenir d'un film esthétiquement très marquant mais plutôt de belles performances d'acteurs, il s'avère ici très inspiré et nous offre quelques beaux moments où sa mise en scène est d'une fluidité bluffante.
Évidemment, on retrouve un peu le même ton que dans The Last Detail et son doux voile mélancolique, avec quelques scènes assez amusantes mêlées à des événements bien plus douloureux, mais on ne pense pas vraiment à cette petite cuisine tant tout paraît naturel, à la différence des films indé actuels qui donnent cette désagréable impression d'alterner mécaniquement ces registres pour forcer l'adhésion du spectateur, sans le moindre effet si ce n'est de nous agacer. Tout est ici cohérent et juste, Mark Rydell semble simplement saisir la vie de ses personnages dans ce qu'elle peut tour à tour avoir d'heureux ou de triste. Le second rôle joué par Eli Wallach cristallise bien ces nuances et ces différentes facettes. Sans que l'on comprenne vraiment pourquoi, John Baggs passe une longue partie du film à la recherche d'un dénommé Forshay (Eli Wallach donc), il demande régulièrement aux secrétaires de sa base où il pourrait se trouver, etc. On s'imagine qu'il s'agit d'un ami qu'il espère retrouver bientôt ou quelque chose comme ça. Mais quand il tombe enfin dessus, tout à fait par hasard, Baggs veut immédiatement lui faire la peau ! On comprend alors que Forshay était le sergent-instructeur de Baggs lors de ses premières années dans l'armée et qu'il lui a rendu la vie impossible.
Après leurs retrouvailles tendues, une chouette scène nous montre James Caan l'interroger, le sourire crispé aux lèvres, au sujet de leur passé commun. "Tu te souviens de cette fois où tu m'as fait passer la nuit dehors par moins 15 ? A surveiller des poubelles sans raison ? J'ai fini par m'y planquer pour avoir un peu chaud, une nuit à me les geler dans une poubelle, pour des conneries...", on sent qu'il est prêt à exploser. Les deux hommes finissent par se lier d'amitié dans une relation émouvante ou l'un et l'autre échangeront à propos de ce à côté de quoi ils sont passés, de la vie qu'ils ont choisie, etc. Forshay aura même un rôle décisif à la toute fin, nous quittant sur une dernière pirouette qui permet à son acolyte de voir le futur avec un plus grand optimisme. Bref, vous l'aurez compris : tous les ingrédients sont réunis pour faire de Cinderella Liberty l'une de ces pépites du Nouvel Hollywood qui valent vraiment le coup d’œil.
Cinderella Liberty (Permission d'aimer) de Mark Rydell avec James Caan et Marsha Mason (1973)
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