A priori, un film sur la F1 nous narrant la rivalité entre deux pilotes (incarnés par deux ploucs du cinéma) qui ont marqué leur époque, le tout mis en scène par un faiseur rarement inspiré : nous chions dessus. Mais quelques voix s'élevaient dès sa sortie pour pointer du doigt cet ODNI (Objet Déboulant Non-Identifié), parmi lesquelles celle du Bleu du miroir (blog qui présente une fameuse page concours, grâce à laquelle nous allons deux ou trois fois par semaine au cinéma, par le biais de nos très nombreuses boîtes postales factices et autres noms d'emprunts voués à multiplier nos chances). Un beau soir, on a sauté le pas : nous avons invité Ron Howard et ses deux pilotes de F1 dans notre chambre à coucher. Et c'est bien la première fois qu'on laisse autant de traces de frein dans notre plumard... car Rush est, tenez-vous bien, une petite bombe.
L'amitié des trois stars s'est poursuivie après le tournage. Ils sont ici en vacances dans la capitale anglaise, venus à la rencontre du fan londonien de leur film.
Dans chaque ville se terre un fan absolu de ce film, qui l'aime et le défend sans vergogne auprès de tous ceux qui ne veulent plus l'inviter. Quand nous partons en vacances, c'est la mort dans l'âme, car nous quittons nos postes respectifs de fans, dans les deux villes les plus ensoleillées de France, vidées pour un temps de leur représentant légal de Rush. Il existe des forums consacrés à ce film, des cercles de lecture, des partis politiques, des centres de désintox. On se serre les coudes entre fans, on se convainc les uns les autres, on se remotive aussi, quand il y a une petite baisse de motivation sur Rush. On se regroupe, on se retrouve autour du film, élément fédérateur : ce n'est pas un film culte, c'est un culte à proprement parler.
Ron Howard, à l'écoute, avoue avoir passé un tournage de rêve : ses trois idées griffonnées sur un post-it étaient toujours contrecarrées par des acteurs impliqués.
En têtes d'affiches, ceux que nous avons au préalable qualifiés de ploucs. A notre gauche, le blond le plus laid actuellement en salles, Chris Hemsworth, membre proéminent d'une fratrie qui nous débecte, celui-là même qui a participé à la médiocrité du dernier Michael Mann ; à notre droite, l'acteur allemand venu de la forêt noire, Daniel Brühl, qui est une jauge à bon goût chez les dames (celles qui prétendent avoir flashé sur lui dans Good Bye Vietnam sont aussi sec disqualifiées), l'éternel collégien en flagrant délit d'excès de sébum, dont le nom d'emprunt américain (Jim Sturgess) ne trompe personne. Eh bien ces deux glandus composent le casting d'une vie. Il fallait deux imbéciles comme eux pour donner vie à des pilotes qui étaient réellement cons comme leurs pieds dans le fait réel dont s'inspire le film. La rencontre entre les acteurs et les hommes qu'ils incarnent l'a d'ailleurs prouvé : ils sont devenus les meilleurs amis du monde (même si les deux vrais pilotes sont bourrés d'acouphènes et n'entendent strictement rien - quoique l'un des deux prétende lire sur les lèvres tandis que l'autre affirme avoir lu et relu son bouquin de chevet : Les gestes qui nous trahissent, pour s'en sortir dans sa chienne de vie). Les comédiens sont parfaitement choisis. Hemsworth, avec son air bonhomme de gros labrador, Brühl, avec ses sourcils étroits, dans le rôle du petit clebs teigneux. Ce dernier aurait d'ailleurs dû s'appeler Daniel Brühlàmoitié puisque son personnage fini à moitié cramé dans sa bagnole. Mais aucun acteur ne s'appelle Daniel Brühlàmoitié, ni Daniel SemiBrühlé.
Le seul moment du film où Daniel Brühl lève le pied pour ralentir.
Rendons à César ce qui appartient à Ron Howard : après avoir lu ce scénario, Ron Howard s'est découvert une passion pour la F1, et pour cette histoire de rivalité entre deux pilotes rendus encore plus bêtes et aveugles qu'ils n'étaient déjà par excès de ressentiment. La haine que les deux hommes se vouent les conduit à un véritable zèle de débilité, quitte à cramer toutes les règles de la F1 : démarrer au feu vert ; ne pas chevaucher un autre véhicule sur la ligne d'arrivée ; ne pas conduire en état d'ébriété ; ne pas affubler ses adversaires de tous les noms d'oiseaux en conférence de presse ; ne pas éclater la bouteille de champagne du vainqueur sur la tronche du deuxième ; ne pas faire de tête-à-queue en plein stand et ainsi sacrifier la vie de quelques réparateurs seulement pour gagner une paire de secondes ; ne pas traverser une tribune bondée de spectateurs médusés pour couper un virage ; ne pas conduire nu et sans casque pour économiser quelques précieux grammes qui feront la diff' au chrono ; ne pas faire de son réservoir une arme de destruction massive radioactive pour un départ canon ; ne pas transformer sa F1 en dragster pour fumer tout le monde au sprint final quitte à finir dans le décor dès le démarrage en sacrifiant de nouveau quelques vies (celle du type qui brandit son drapeau avec enthousiasme et un sourire figé sur le capot avant, et celles de tous les pilotes derrière, aveuglés par le parachute salvateur ouvert un peu trop tôt). Ron Howard, qui a su donner une identité visuelle à son film, fait de toutes ces courses des moments d'anthologie, d'où les traces de frein dans nos draps et notre nouvelle passion pour la F1 (qui fut comme un feu de paille, puisque depuis, on ne suit pas du tout l'actualité des courses - d'ailleurs Michael Schumacher est-il toujours le numéro 1 ?).
Les vrais Niki Lauda et James Hunt : La Guerre des Roses sur l'asphalte, et un mariage homo à la clé.
Les couleurs dominantes de ce film sont le rouge, le blanc et le feu. Autre atout : la présence au casting d'Erich Maria Remarque, l'actrice allemande prix Nobel de nos cœurs, trimbalée dans ses valises par Daniel Brühl. Premier jour du tournage : un Ron Howard tout sourire affirme à son acteur : "Tkt, on va lui trouver un rôle...". Et Hemsworth de conclure : "Quitte à trahir l'histoire vraie : bat les couilles". La rivalité des deux personnages nous captive jusqu'à la fin car ils vont toujours plus loin, nous rappelant que le sentiment de haine est celui qui pousse aux pires écarts de conduite. Le film véhicule ainsi un triple message sur l'amitié : Hemsworth n'existerait pas sans Brühl, Brühl serait intègre physiquement sans Hemsworth, et ces deux benêts mettent du temps à s'en rendre compte puisque ce n'est qu'au crépuscule de leur vie qu'ils s'adressent enfin un sourire. Qui plus est, pour une fois la ressemblance physique entre les comédiens et leurs personnages n'a pas dicté le choix d'un directeur de casting que nous tenons de nouveau à saluer bien bas (et qui depuis vit à Hawaï, estimant avoir fait le tour du job). Daniel Brühl est particulièrement admirable, car il porte de fausses dents pour ressembler à Niki Lauda, l'homme aux chicots impressionnants, ces dents de malade qui franchissaient toujours la ligne d'arrivée avec quelques secondes d'avance (la fédération avait même fini par disqualifier ses canines pour qu'elles arrêtent de fausser les chronos) : on ne comprend pas un traitre mot de ce que dit le comédien durant tout le film. C'est bien la ressemblance d'âme entre les deux acteurs qui les a réunis. Seul regret : l'absence au casting d'Olivia Wilde (aka Roswell).
Rush de Ron Howard avec Daniel Brühl, Chris Hemsworth, Alexandra Maria Lara et Olivia Wilde (2013)
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