18 mai 2011

De la guerre

J'ai trouvé des qualités à ce film de Bertrand Bonello qui connut en 2007 un cuisant échec commercial et critique, mais je dois bien dire qu'il m'a tout de même déçu. Le début du film m'a totalement happé, notamment cette idée d'une nuit béate et révélatrice que le héros passe dans un cercueil suite à un bête incident, idée prometteuse s'il en est. A son réveil, le personnage (Mathieu Amalric) n'est plus le même et il suit avec dévotion un drôle de type (Guillaume Depardieu) qui le conduit vers un lieu coupé du reste du monde, le "Royaume", une secte vouée à la quête du plaisir. Dans ce lieu qui symbolise le cerveau humain, l'érotisme et l'horreur se conjuguent de liens en liens, et le plaisir n'étant pas chose acquise, c'est un manuel de guerrier à la main que les adeptes doivent y accéder. Mais le film se perd très vite dans une sorte de fourbi aux milles influences. De Brisseau à Eyes Wide Shut, en passant par Breillat ou Desplechin, sans oublier de faire un tour chez Weerasethakul et Lynch, avec George Bataille en toile de fond, on baigne dans toutes les références appelées de près ou de loin par le sujet. Il y a à boire et à manger et on frôle le haut le cœur. Quand on penche du côté Deplechin tout va bien (ce sont les scènes hors de la secte qui sont concernées), mais quand on se laisse aller vers Brisseau ou Lynch, ça devient périlleux, et parfois très laid, sauf exceptions comme nous le verrons.



Dans Le Pornographe, Bonello digérait - et avec excellence - l'héritage de la Nouvelle Vague (comprise et intégrée, non pas ressassée sur le mode nostalgique et platement imitée comme peut le faire Christophe Honoré dans Les Chansons d'amour). Dans Tiresia il en était détaché et pouvait se plonger dans un cinéma résolument moderne. Un cinéma difficile, rugueux, dangereux, extrêmement contemporain, dans une veine exploitée par Bruno Dumont ou Pedro Costa. C'était ce que c'était mais ça avait le mérite d'être singulier. Là on a plutôt affaire à une sorte de pot pourri de tout un tas d'influences modernes, qui, dans un patchwork désordonné et inégal, laissent un sentiment de déséquilibre, un goût d'inachevé, sinon de raté. Il y a des choses que je trouve très réussies dans le film. Comme le début, je l'ai déjà dit, mais certaines scènes au milieu du récit aussi, quand Bertrand (c'est le nom du personnage, double fictionnel de Bonello il est d'ailleurs réalisateur et prépare un film intitulé Tiresia) retourne en ville. La séquence est très bonne, notamment la scène dans le magasin de disques avec Clotilde Hesme. Cette scène est excellente même si elle m'a semblé un peu trop écrite, un peu trop belle (cinématographiquement parlant) et un peu trop séduisante (scénaristiquement parlant), ce qui contraste avec le reste du film et semble témoigner d'un désir de Bonello de rattraper le spectateur à ce moment-là et de raccrocher les wagons de son film. Et ça marche puisqu'on prend un grand bol d'air avec cette scène.



La séquence où le personnage retrouve sa mère est excellente aussi, et puis celle où le bruit des ambulances dans la rue devient assourdissant. Ceci dit je dois avouer que j'aurais préféré, sur l'instant, que le retour à la ville fût définitif. Quand le personnage revient à la vraie vie, je me suis dit que c'était brillant de la part de Bonello d'arrêter la partie "secte" assez vite pour surprendre le spectateur d'une part et d'autre part pour laisser le film jouir de l'empreinte de cette première partie et en renaître pendant presque une heure. J'ai pensé que toutes les scènes de secte allaient peut-être prendre un nouveau sens à l'aune de ce qui allait en découler. C'est pourquoi, même si cette séquence est excellente, j'ai été déçu que Bertrand retourne au Royaume après elle. C'est aussi parce que les scènes du Royaume sont souvent ratées. Sauf celle où Bertrand raconte à Léa Seydoux le film qu'il a écrit et qu'il aimerait faire, qui est donc Tiresia, film qui le hante jusque dans la nuit. Amalric, une fois de plus très convainquant, joue parfaitement ce dialogue. Il raconte l'histoire de son film exactement comme le ferait quiconque a écrit une histoire et la raconte pour la 20ème fois à quelqu'un après l'avoir déjà brassée 100 fois dans sa propre tête. Dans des scènes comme ça, Bonello insuffle une justesse remarquable à son film.



Autre très belle scène, la danse mystique en groupe dans les bois avec la musique répétitive et les lumières blanches qui clignotent. Cette séquence est très belle parce que Bonello a depuis toujours le corps pour obsession, ou plutôt les mouvements tantôt gouvernés tantôt incontrôlés du corps. Cette séquence se fait l'écho de la danse spasmodique accélérée de Jérémie Rénier sur Marcia Baila des Rita Mitsouko, seul sur la piste d'une boîte de nuit, dans l'une des plus belles scènes du Pornographe. Bonello semble être passionné par ce genre de mouvements irraisonnés, appelés par la musique, où le corps se libère de tout contrôle et se désarticule jusqu'à l'abstraction. Cette scène de groupe répond littéralement au plan-séquence sur Jérémie Rénier, où c'était un être seul, libéré, heureux, jeune, et bientôt père alors qu'il venait de ressusciter le sien (de père, joué par Jean-Pierre Léaud), qui s'agitait gracieusement sur une musique populaire en plan fixe accéléré. A quoi vient donc s'opposer une mise en scène très présente, dans un cadre douteux (celui de la secte), sur une musique expérimentale et dans un décor aussi naturel que travaillé (les bois, parsemés de lumières blanches scintillantes).



Bertrand, le personnage du film, a digéré sa Nouvelle Vague (Le Pornographe), puis il a travaillé à un film tranchant qui affichait la volonté de heurter (Tiresia), et il n'a désormais plus de père pour panser ces plaies. Il a perdu le sien, comme le lui rappelle violemment sa mère, entraînant littéralement une chute (Amalric commence à y être habitué après tous ses effondrements dans les films de Desplechin). Le père est réduit à son cercueil, l'endroit précisément où Bertrand se retrouve enfermé et où il veut être sans y retourner. C'est toute la question, celle de vivre dans et avec la mort sans vouloir mourir pour autant. Alors la libération du corps passe par un travail, un décor, une mise en scène, ici une secte. C'est ce travail-là, cette quête de la vérité dans le faux organisé, que filme Bonello, qui montre les corps évoluer, ramper, danser, courir, se pénétrer, se chevaucher, se bousculer, se substituer et ainsi de suite. Il filme une progression, comme toujours, une évolution, un changement, un travestissement, une fusion (du père et du fils, de l'homme et de la femme, de la vie et de la mort). Très contemporaine, la transformation du corps vers la liberté est dans ce film le fruit d'une schizophrénie concertée.

Mais le film s'embourbe souvent autant que ses personnages et il en vient à ressembler à son propos au point de paraître lui-même trop organisé dans sa désorganisation, trop travaillé dans son fouillis. A la fin du film on voit Bertrand faire sa guerre seul, et quand il est dans la forêt et qu'il semble frapper dans le vide avec son épée, ce sont en réalité les plans de danse collective qu'il frappe grâce à un montage alterné tout en faux raccords. Son ascèse se fera en solitaire, pas dans le groupe factice de la secte. A ce moment là il évolue seul, il progresse dans la forêt à sa manière, il danse en solitaire, il se libère et il peut trancher dans la thérapie de groupe. C'est définitivement dans le meurtre (du père, de soi) que se trouve le plaisir de l'existence, ou quand le fantôme de Georges Bataille plane sur le film... Certains plans sont très beaux et beaucoup de scènes sont savamment orchestrées. D'autres moins. Je prendrais pour exemple la métaphore un peu facile du héros qui arrive enfin à nager pour symboliser sa victoire intime et psychologique.



Bonello a fait un film très intelligent, savamment mis en scène, mais un peu trop long, un peu trop inégal, un peu trop... et un peu fatiguant. Bien des scènes sont ennuyeuses voire regrettables, notamment celles de la secte, avec le gros chien noir, le macchabée, les scènes de sexe, et ainsi de suite. Je trouve donc le film assez brillant sous bien des aspects, très spirituel, et parfois très beau, mais malheureusement souvent trop chargé et parfois bien maladroit. C'est quelque peu irritant, globalement décevant, même si le film demeure très intéressant, et si je ne parle pratiquement que des bons moments du film c'est aussi parce qu'il constitue une prise de risque évidente et parce qu'il fait figure de transition dans l’œuvre de Bonello, cinéaste remarquable et déjà essentiel.


De la guerre de Bertrand Bonello avec Mathieu Amalric, Guillaume Depardieu, Asia Argento et Clotilde Hesme (2007)

5 commentaires:

  1. Ce film a été une plaie pour moi. Malgré des qualités évidentes dont tu parles bien, j'ai trouvé ça surfait et boursoufflé par un discours plus qu'agaçant. Le plus triste c'est que je m'en souviens bien mieux que du Pornographe, qui est pourtant bien bien meilleur, la vie est mal faite.

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  2. Je pense tout comme Nonon. Mais ton texte est malin et donnerait presqu'envie de le revoir. Bonello est effectivement un type intelligent, mais il ne sait pas toujours choper.

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  3. Je pense tout comme Djojé, ton article est effectivement bien pertinent.
    Très hâte de voir son Apollonide !

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  4. _witchcraft_21 mai, 2011 18:51

    "de la guerre"?!! De la merde ouais plutôt!!!!

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  5. Bien aimé la longue séquence où "Bertrand" pars en couille avec une guitare, à la fois juste et maladroite. Quelque-chose de pur et d’égoïste, à l'image de tout le film je trouve.
    C'est vrai que de nombreuses scènes mettent mal à l'aise au début, on se dit "oh putain il en à pas marre de filmer de la merde" pour au final rentrer à fond dedans

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