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25 octobre 2022

Jeu d'enfant

Terrible lacune de ma cinéphilie, je n'avais encore jamais vu le premier Chucky. C'est maintenant fait, et je me sens plus léger. Bon, je n'avais pas non plus ignoré pendant tout ce temps un grand classique de l'histoire du cinéma d'horreur, loin de là. Mais Jeu d'enfant, traduction littérale du titre original, n'en demeure pas moins un petit film plutôt agréable dont on peut comprendre qu'il soit à l'origine d'une longue saga tant le personnage de poupée tueuse, introduit ici par le réalisateur Tom Holland et inventé par le scénariste Don Mancini, est suffisamment bien étoffé pour mériter et justifier quelques retours. Chucky, c'est le sobriquet de Charles Lee Ray (contraction des patronymes tristement célèbres de Charles Manson, Lee Harvey Oswald et James Earl Ray), un tueur en série sévissant à Chicago et friand de pratiques vaudous qui parvient, au moment de sa mort, à transférer son esprit maléfique dans une de ces poupées "Good Guy" que s'arrachent les enfants. Andy, pour ses six ans, rêve que cette poupée lui soit offerte par sa mère, mais celle-ci, de condition modeste et élevant seule son fils, n'a pas les moyens de la lui offrir. Jusqu'à ce qu'un camelot peu présentable lui revende un exemplaire à bon prix. Elle ignore qu'elle a mis la main sur la poupée possédée, seule rescapée de l'incendie qui a ravagé le magasin de jouets frappé par la foudre lors du rituel vaudou improvisé par le serial killer dans les derniers instants de sa sinistre vie... 



 
 
Le film de Tom Holland a le mérite d'aller à l'essentiel, il débute ainsi par une scène d'action que l'on prend en cours de route : la course-poursuite nocturne dans les rues puis les rayons du magasin entre un flic, qui s'avèrera par la suite d'une inertie et d'une inefficacité déplorables (il est joué par Chris Sarandon qui avait pourtant entamé sa carrière sous les meilleures auspices en épousant Susan puis en épouse transgenre devant la caméra du grand Sidney Lumet pour Une Après-midi de chien), et le fameux psychopathe, auquel Brad Dourif prête ses traits étranges et, surtout, sa voix inquiétante. Une entrée en matière efficace qui nous annonce d'emblée que l'on ne va pas s'ennuyer et que le rythme sera plutôt soutenu, le tout resserré sur 87 minutes : une promesse globalement honorée. Le montage initial durait paraît-il plus de deux heures et Tom Holland, recommandé aux studios par Spielberg après son travail appliqué pour sa série Histoires fantastiques et encore auréolé du succès de Vampire, vous avez dit vampire ?, n'approuva guère les changements imposés par la production. Celle-ci, suite à une projection test désastreuse, suggéra que l'on voit Chucky le moins possible pour maintenir autour de la poupée tueuse un suspense similaire à celui axé sur les apparitions fugaces de l'extraterrestre d'Alien, du poisson des Dents de la mer ou de n'importe quel monstre de ces années où le numérique ne permettait pas encore ce qu'il rend désormais possible. 
  



 
En l'état, le film fonctionne et on comprend le succès de ce premier opus qui pose donc efficacement les jalons du personnage star de la saga. Chucky ne fait pas partie de ces croque-mitaines et autres vedettes de slashers qui se contentent de tuer à la chaîne sans mobile apparent (ou bien très vague et vite oublié). Ses intentions sont claires et sa démarche est méthodique : Chucky veut se venger du complice qui l'a trahi, puis du flic qui l'a envoyé ad patres et, accessoirement, réintroduire une enveloppe corporelle humaine, celle d'Andy (il n'a pas le choix, par respect pour une sombre règle vaudou), avant d'être définitivement enfermé dans ces cinquante centimètres de plastique rosâtre et ridicule. Le premier objectif sera atteint sans souci, avec la complicité ignorante du gamin, soucieux d'amener son jouet chéri là où celui-ci lui demande d'aller, quitte à faire l'école buissonnière le temps d'une collaboration dérangeante que, curieusement, le cinéaste n'exploitera guère davantage, Andy et Chucky devenant aussitôt ennemis. Pour le reste, Chucky aura beau redoubler d'ingéniosité et de cruauté pour surmonter les limites de son propre corps de jouet, ses deux autres objectifs seront bien plus compliqués à accomplir, en particulier le dernier, qui nourrira les intrigues des épisodes ultérieurs, concentrés sur la rivalité entre Chucky et Andy.



 
 
Ma curiosité d'amateur de cinéma d'horreur est à présent satisfaite, ma culture générale considérablement élargie, et... c'est à peu près tout. Mais il y a tout de même une scène que j'ai trouvée particulièrement intéressante là-dedans, de loin la meilleure du film, elle survient très tôt, juste après l'intro décrite plus haut : c'est celle où l'on découvre le petit Andy, seul devant la télé, le jour de son sixième anniversaire. Désireux d'aller réveiller sa mère de bon matin pour rapidement ouvrir ses cadeaux, il prépare un plateau petit-déjeuner qu'il lui amène au lit, avec la maladresse et l'empressement du petit garçon qu'il est. Tom Holland joue alors très astucieusement de cette peur naturelle et irrépressible que suscite l'imprévisible spectacle d'un enfant livré à lui-même. Le garçon, incarné par Alex Vincent, qui ignorait alors qu'il endossait déjà le rôle de sa vie, a une bouille adorable, vêtu d'une salopette en jean et d'un haut à rayures identiques à celle du jouet qu'il convoite tant et dont des publicités passent en boucle à la télé. Son allure lunaire et toute mignonne conviennent parfaitement à cette introduction où nous le voyons, danger ambulant, faire n'importe quoi. On tremble presque devant ce qui, à chaque instant, manque d'un rien de tourner à la catastrophe totale. On grimace malgré nous en le voyant gâcher autant de ces délicieuses céréales multicolores gorgées de sucre dont les américains ont le secret, ici versées dans le bol et sur le plateau avec la nonchalance et l'application d'un ouistiti aveugle. On craint la brûlure au troisième degré quand il emploie le grille-pain pour carboniser les tartines de sa daronne. On plaint la personne qui passera derrière lui en le voyant arroser de jus d'orange et de lait la moquette de l'appartement. Pas de doute là-dessus : cette petite scène a priori anodine de préparation de petit-déj olé olé est bien la plus tétanisante du film ! 



 
 
Cette peur instinctive d'adulte face aux agissements insensés d'un enfant, si vulnérable et innocent, sera légèrement reconduite lors du second meurtre commis par Chucky  où Andy, sous l'influence diabolique de la poupée, s'aventurera dans un quartier malfamé de Chicago  mais guère au-delà. Et seul l'ultime plan du film jouera sur le trouble, trop peu développé, entre les personnalités d'Andy et celle de son avatar-jouet. C'est dommage car le cinéaste tenait là quelque chose d'intéressant, qu'il aurait pu creuser. On se contente donc de s'interroger sur la correspondance exacte entre les tenues portées par la poupée et son jeune propriétaire, la première aurait pu être l'expression des pulsions du second ou que sais-je, le film s'embarrasse peu de cet aspect-là (peut-être le director's cut ?). En dépit de son manque de profondeur, Jeu d'enfant n'est pas déplaisant à voir et bénéficie du savoir-faire propre à ce genre de productions des années 80. Car par ailleurs, la mise en scène du réalisateur, alors au sommet de sa courte gloire, se joue assez bien des contraintes inhérentes à cette histoire de poupée tueuse. Les effets spéciaux sont simples et réussis, ils font appel à divers subterfuges, utilisés à bon escient, pour créer l'illusion. Un nain a été engagé comme doublure pour certaines scènes, des marionnettistes hors pair ont aussi été sollicités, et la mise en scène s'est chargée du reste. Des plans en steadicam nous font adopter la vue subjective de Chucky, ils sont accompagnés de ses bruits de pas rapides et presque stressants, assez bien pensés. Cela nous permet d'être avec elle, de la faire exister, sans la voir. 
 
 

 
 
Autre point amusant, que les volets ultérieurs useront jusqu'à la corde et nous offre ici une amusante conclusion aux soubresauts interminables, l'irréductibilité de Chucky, qui nous fait immanquablement penser à un Terminator miniature animé de la même folie meurtrière qu'un Jack Torrance. Flingué, brûlé, découpé en morceaux, Chucky revient toujours à la vie, sous un aspect de plus en plus révulsant et éloigné de sa forme originelle. Manifestement comique et clairement horrifique, c'est l'essence même de Chucky, objet propice aux clins d'œil à l'échelle réduite aux classiques. De mémoire de cinéphage, sachez tout de même que Jeux d'enfants, au pluriel, le film homonyme franco-belge (dans ces cas, il faut partager les responsabilités), réalisé par Yann Samuell en 2003, avec Guillaume Canet et Marion Cotillard dans les rôles principaux, était beaucoup plus traumatisant. Beaucoup plus.


Jeu d'enfant (Child's Play) de Tom Holland avec Alex Vincent, Brad Dourif, Chris Sarandon, Catherine Hicks et Ray Oliver (1988)

19 septembre 2020

Le Diable, tout le temps

Adapter avec succès le bouquin de Donald Ray Pollock requérait les talents d'un cinéaste particulièrement doué et subtil, doté d'une personnalité assez forte pour s'émanciper d'un matériel de base potentiellement écrasant. Encensé par la critique à sa sortie en librairie en 2011, Le Diable, tout le temps, plongée noire de chez noire dans l'Amérique profonde, white trash, abrutie par la religion, peuplée de tueurs, de violeurs et autres fous amenés à se croiser pour mieux s'entretuer, était une lecture âpre et difficile. La plume acérée de Pollock inspirait facilement son lot d'images et de scènes marquantes et on ne pouvait s'empêcher d'imaginer et d'anticiper le film qui finirait forcément par en découler un jour. L'attente ne fut pas bien longue et c'est curieusement à l'ancien avant-centre brésilien du RC Strasbourg, Antonio Campos, que le projet a échu. Il s'agit du quatrième long métrage du bonhomme et nous étions prêt à lui faire confiance malgré tout. Un casting plutôt bien garni (encore qu'il ne faille pas en faire trop autour de types comme Tom Holland, Jason Clarke et Bill Skarsgård, qui ont accompli à peu près que dalle en termes d'acting et en tant qu'être humain en général) venait compléter le tableau pour essayer de nous appâter, de nous faire croire en quelque chose de possible. C'est enfin sur Netflix que le film a terminé, ce qui n'est évidemment jamais bon signe mais, période de crise sanitaire oblige, on pouvait expliquer ainsi cette funeste destinée.




Quelques minutes suffisent à être convaincu que la place d'Antonio Campos n'est pas derrière une caméra mais plutôt à la pointe haute d'un système en 4-4-3 classique, avec deux ailiers rapides à ses côtés l'approvisionnant en centres aériens pour mieux tirer partie de son gabarit imposant et de son profil dit de "renard des surfaces". C'est ainsi que le gaillard a effectué sa meilleure saison sous les couleurs du SC Corinthias en 92-93, avec 3 buts dont autant de penaltys et 2 passes décisives en 18 matchs, tapant dans l’œil des recruteurs alsaciens, qui avouèrent un peu plus tard qu'ils recherchaient avant tout quelqu'un capable d'animer le vestiaire, alors bien morne, de la Meinau. Mais recausons cinéma, car ce truc-là est bien supposé en être. Parasité du début à la fin par la voix off sursignifiante et explicative de Donald Ray Pollock himself, Le Diable, tout le temps est d'une platitude terrible et ne parvient strictement jamais à décoller. On a l'impression de subir de nouveau les pires événements du bouquin en étant cette fois-ci soumis à la vision médiocre d'un type à l'imagination ultra limitée. La narration de l'écrivain, qui permet toutefois de suivre tout ça en restant actif sur les réseaux sociaux sans jamais être largué, appuie encore la désagréable sensation de mater un film totalement prisonnier du livre, qui n'arrive jamais à s'en détacher. Antonio Campos passe d'un personnage à l'autre sans jamais produire cet effet, ce léger vertige, que parviennent à atteindre les films choraux de ce genre quand ils sont vraiment réussis et qu'un maître est à la baguette (je n'ai pas de contre-exemples à vous proposer, mais rappelez-vous que je fais ça bénévolement). On a ici plutôt l'impression de regarder une succession d'épisodes de mauvaise série télé, mise en boîte avec l'application d'un élève sérieux, pas méchant, qui fait de son mieux, mais sans aucun génie ni idée. Y'a pas à dire, ce film-là a tout à fait sa place dans le répertoire de Netflix !




Les acteurs ne rehaussent guère le niveau, sans doute très mal dirigés par le natif de São Paulo, plus connu pour l'atmosphère agréable qu'il entretient sur le plateau. Leurs accents de rednecks forcés sont très durs à supporter, en particulier celui de Bill Skarsgård qui a l'air de chercher absolument à aboyer dans sa gorge plutôt qu'à déblatérer naturellement. Robert Pattinson ne fait guère rêver non plus, s'obstinant à avancer encore davantage sa mâchoire inférieure, peut-être dans l'espoir de se donner une crédibilité en révérend du Midwest obsédé par les jeunes rousses. Il fait pitié. Il est aussi déprimant de voir Riley Keough et Mia Wasikowska réduites à de telles rôles. Seul Jason Clarke ne déçoit pas puisqu'il est aussi détestable que d'habitude. Plus étonnant, si l'on frôlait constamment l'overdose de sordidité et d'horreurs à la lecture des pages si sombres de Pollock, qui n'y allait pas de main morte pour nous dresser les portraits d'une galerie de tarés et nous raconter leurs actes odieux, le film d'Antonio Campos paraît très sage, inoffensif et insignifiant. L'histoire et les faits sont inchangés, il y a bien quelques atrocités qui sont commises à l'écran, mais on s'en fiche, tout simplement. Aucune ambiance, aucun souffle, aussi nauséabond soit-il, ne s'échappe de la mise en scène insipide du réalisateur et des deux longues heures glauques qui nous attendent. Face à un si triste et pâle résultat, on en vient à se demander quel cinéaste encore en activité aurait pu s'en dépatouiller et proposer une œuvre à part entière, digne d'intérêt. Entre les mains des frères Coen, le deuxième livre plus réussi et respirable de Pollock, Une mort qui en vaut la peine, pourrait peut-être donner quelque chose. Mais nous revoilà plongés dans nos rêves de spectateurs, hélas bien éloignés de la réalité actuelle du cinéma américain. 


Le Diable, tout le temps d'Antonio Campos avec Tom Holland, Jason Clark, Riley Keough et Robert Pattinson (2020)