28 août 2024

The Visit

En 2015, dans le creux de la vague après de fameuses bouses nommées La Fille de l'eau, Le Maître de l'air ou After Earth, réalisés pour égayer les longs après-midis de ses trop nombreux enfants, Shyamalan se demande : "Que vais-je faire ? C'est l'hchouma... Il ne me reste que deux dollars en poche...". La réponse lui vient très vite : un found foutage de gueule. Bonne idée : ça coûte deux dollars tout pile, et ça peut en rapporter au moins le centuple, vu que les aficionados de ce genre ont à peu près le niveau d'exigence (et de culture, voire de discernement, mais aussi de courage et d'endurance) d'un supporter moyen du PSG en LDC. Bingo : pari réussi, Shyamalan retrouve ses esprits et relance sa carrière moribonde, doublant carrément la mise quelques temps plus tard avec Slipt, qui confirmera son retour en forme auprès de ses fans de la première heure, ceux qui se souvenaient encore de son nom mais ne suivaient plus sa trajectoire que d'un œil discret et inquiet, tel Donnarumma (n')anticipant (guère) la courbe d'un centre au cordeau sur corner après coup de pied arrêté de coin.
 
 

 
Les deux dollars d'avance étaient là mais il fallait encore une idée, laquelle vint à l'esprit bondissant de Schumi lors d'un week-end prolongé du 8 mai où l'homme conduisait sa ribambelle de mioches attardés chez ses beaux-parents adorés qu'il, comme il le dit à longueur d'interview, "ne peut pas saquer". Ce jour-là, qui plus est, Schumi sortait d'une séance de trois heures chez l'orthoptiste (compliqué de trouver un rendez-vous un 8 mai, mais possible quand on a pondu Sixth Sense et que l'orthoptiste du coin se dit toujours "retourné" par le mindfuck final, et "à genoux" devant l’Ethernet, aka Schumi, pour ça). Après ladite orthoptie, ses pupilles ayant colonisé le blanc de ses yeux, victimes d'une double conjonctivite en réaction à une séance un peu longue et trop intense, sa vision fut teintée d'horreur et d'un sombre voile de ténèbres opaques qui lui permit de voir sous un jour d'autant plus menaçant les deux vieux cons coupables d'avoir engendré sa femme et sur le point de se farcir ses gosses à sa place, eux qui le surnommaient alors "Apu", ou, en fin de week-end, "EL HIJO D'APU".
 
 
 
 
Idée géniale et jamais vue en plus de cent ans de cinoche et des millions d'années d'idées : centrer l'angoisse sur un couple de grands-parents aimants. Avec la sortie récurrente de films d'horreur basés sur des gosses flippants, comme le récent Abigail, dont personne n'a parlé à part nous à l'instant, de La Mauvaise Graine de Mervyn LeRoy à L'Autre de Robert Mulligan en passant (pour les gens qui n'ont qu'une culture ciné assez réduite et seront ravis de retomber sur des titres plus connus leur offrant le sentiment d'avoir des connaissances et de bien faire partie de ce monde) par Damien la malédiction ou L'Exorciste, on oublie de dire que la vie ne s'arrête pas à 12 ans avec la puberté, et que les vieillards sont ô combien plus nombreux et ô combien plus flippants que les ados, pour ne pas dire ô combien plus gênants que des mômes, même si, enfants comme vieillards, en vérité, pas de quoi flipper : on peut les retourner d'une balayette sur l'asphalte. Pourquoi, d'ailleurs, personne n'a eu l'idée d'en retourner une grosse à Damien de La Malédiction, pour lui faire voir un peu de paysage en mode 360° ? Gregory Peck avait les biceps et la grinta pour balancer deux allers sans retours dans la tronche de ce sale gamin, en visant le coin extérieur de la mâchoire tel un Dustin Poirier des grands soirs, KO technique direct, ou pourquoi pas l'achever par une petite "guillotine" qui le laisse pantois sur le tapis de l'octogone sans règle. Comme quoi, de la pire situation (ce week-end sordide chez les beaux-parents, commencé pour le fils cadet de Schumi-Apu en vol plané, propulsé par le toit ouvrant de la Xanthia par son cinéaste de paternel pressé de foutre les voiles, tel Carlton jeté en l'air d'un geste limpide par oncle Phil pour avoir trop louché sur Hillary), et d'un oubli mondial (filmer des vieux terrifiants), peut naître l'idée du siècle, et l'un des rares found footage que le dernier des esthètes, encore attaché aux belles choses, peut regarder sans avoir envie de mourir.
 
 
 
 
Quoi d'autre au menu de ce film ? Une sortie en luge qui se finit en boulet de canon contre le seul platane à cent kilomètres à la ronde, façon Dodi Di et Lady Al Fayed. Une partie de cache-cache entre deux bambins innocents et une mamie survoltée sous les pilotis de la maison, qui de notre côté s'est terminée en caca-culotte. Quelques jump-scares de haut vol pour fuites urinaires à peine contrôlées, telles celles de feu Bernardo Silva, plaquiste de métier, usant de sa couche intime lors d'une "pas-nenka", ni faite ni à faire, devant le goal de Madrid, Arsène Lupin (celui qui a volé la place de Thibault Courtois). Quoi de plus abominable que deux vieillards zonant à poil, en perte de contrôle de leur sphincter, dans les couloirs de leur airbnb de montagne ? C'est un peu la scène de la salle de bain de Shining mais pendant 2 plombes (Kubrick avait eu l'intuition, jadis, qu'il y avait un terrain avec les vieilles peaux qui fondent et font baliser, mais remplacez le solide Nicholson, incarnant un taré délirant, par deux enfants naïfs qui passent le début du film à chanter du Taylor Swift dans une private joke intra Schumi-family que M. Night Shumiland a portée à la vue de toute la planète, et vous comprenez qu'on ne se contienne plus devant ce film). Quoi d'autre encore ? De la peur à tous les étages, captée par des petites caméras planquées par les deux gamins paniqués devant les comportements de plus en plus déviants de leurs ancêtres. On sort du film en se languissant de la prochaine canicule bien frappée. Ce n'est pas anodin. Bref, മനോജ് നൈറ്റ് ശ്യാമളൻ (Shyamalan), en tout cas, les poches bourrées de blé, ses beaux-parents perdus à tout jamais, prêt à confirmer son retour en grâce avec Slip puis Glass, deux suites offertes à son grand Unbreakable (le tout connu sous l'appellation "trilogie d'Apu"), était parvenu à se relancer comme personne. Incassable.
 
 
The Visit de M. Night Shyamalan avec Olivia DeJonge et Ed Oxenbould (2015)

12 août 2024

Sang pour sang

Critique repentance. Que nous avons été durs avec les frères Coen. Qu'ont-ils fait de mal ? A part avoir un style un peu trop stylé, une bande d'acteurs fidèles toujours là au piquet, un humour décalé d'une ironie pince-sans-rire qui si elle vous laisse froid vous congèle carrément, et peut-être un public agaçant. Résultat des courses, pendant longtemps nous n'avons pas pu les saquer. Il faut parfois que le temps passe, qu'une carrière s'essouffle, que des dents se déchaussent, que la critique se détourne et que les rangs des fans s'éclaircissent pour qu'on donne une nouvelle chance aux cinéastes qui nous ont durablement gavés et, mine de rien, contre lesquels on a aussi pu se construire, bien malgré eux et à leur insu. Cf. Serge Daney, qui a forcément écrit là-dessus, et qui lui aussi s'est mépris de son vivant sur quelques cas, ne citons que Spielberg, dérouillé en règle pour ses Dents de la mer, ou Cimino, flingué à bout portant pour Voyage au bout de l'enfer. Nous avons un droit à l'erreur, ou plutôt aux multiples et impardonnables erreurs. Ne citons que nos griefs de jadis, parfois immortalisés dans ces pages, à l'égard de Brian de Palma, de Wes Anderson, de David Lynch. Autant de dégoûts anciens qui nous ont fait passer pour des guignols plus souvent qu'à notre tour, alors qu'ils étaient dus, le plus souvent, aux guignols eux-mêmes qui, en portant ces cinéastes aux nues avec des arguments débiles, creux et fallacieux, nous confortaient dans nos petites haines quotidiennes. (Déjà on change d'avis et on s'excuse, on va pas non plus assumer nos erreurs et s'abstenir de les imputer à autrui). Si ça peut vous rassurer, on a longtemps détesté les endives au jambon, pour l'amertume desdits jambons, oubliés sur la plage arrière de la Seat Córdoba en plein mois d'août. Or, pas plus tard qu'hier soir, on s'en est farci douze à deux. Et pas les plus fines endives du marché. Plutôt du gros chicon maous, vendus par le gardois du coin avec un p'tit sourire ambigu : "Dix euros les deux ! Et une barquette de fraises offertes pour cinq euros de plus !" Adorable.


 
 
Ce film-là, parangon du néo-noir, dont il est le premier spécimen (ou parmi les), contient tout le meilleur des frères Coen et a contribué, visionné tardivement, à les réhabiliter totalement à nos yeux. Seul hic : on a revu pas mal de leurs films après et celui-ci, qui est leur premier, reste pratiquement, pour nous, un sommet de leur art. Mais c'est un détail. Blood Simple, basé sur un scénario écrit à quatre mains de fées, mis en scène avec une efficacité et une audace dingues pour un premier essai, porté par des acteurs idéaux incarnant des personnages bien racés, est une grande réussite. (On a juste aimé le film putain, le fait est qu'on est blogueurs ciné et qu'on essaie de poser des arguments, disons des mots-clés, mais on est à poil pour expliciter tout ça, pour formaliser le plaisir pris devant ce qui reste un parangon du néo-noir). Un dernier mot quand même sur ce qui enlève le film pour de bon : la longue scène où l'enjeu est de se débarrasser du corps velu de Dan Hedaya. Une demi-heure muette où c'est simplement la magie du cinéma qui opère, un plan après l'autre, bien dans l'ordre, bien cadrés, bien timés. Thoret le dit toujours : un vrai bon film se jauge à l'aune de la touche "mute" de votre télécommande, virez le son et si vous captez la tempé c'est gagné. Ici, et dès leur premier coup d'essai, les Coen le font pour nous et c'est limpide. Quel toupet ces jeunes loups. Ils se trimballaient avec l'assurance d'un Eduardo Camavinga âgé de 7 ans et portant déjà le maillot du Real en quarts de finale de la Ligue des Champions.




Sang pour sang de Joel et Ethan Coen avec Frances McDormand, Dan Hedaya et John Getz (1984)