Pour clôturer notre très long dossier consacré aux films de super-héros, nous vous parlons aujourd'hui de celui qui est certainement le meilleur film du genre : Incassable, de M. Night Shyamalan. Nônon Cocouan, en bonne fan de Batman et de Pacman, se joint à nous pour évoquer le chef-d’œuvre de M. Nellyatu S.
A l'époque, M. Night Shyamalan, surnommé "Schumi", et Bruce Willis, étaient les deux meilleurs potes du tout Hollywood. Après le succès fracassant de Sixième Sens, Shyamalan avait promis à sa star de faire de lui un incontournable de la figure de super-héros, en jouant de sa filmographie passée - l'acteur n'ayant jamais incarné que des super mecs - via une trilogie dont Incassable devait être le premier jalon. Finalement le film n'a pas rencontré son public comme il aurait dû et ce fut un gros échec commercial relativement au succès de la collaboration précédente de Shyamalan et Willis. Pourtant il s'agit à n'en pas douter du meilleur film de Schumi et plus encore d'un chef-d’œuvre du film de super-héros (quand bien même la concurrence est maigre). Voilà un film réalisé par un vrai amoureux de comic book qui n'a pas pour autant 3 de QI, et c'est chose rare.
Après le succès faramineux de son premier film, Shyamalan déborde de confiance en lui et se permet des tas de petites inventions formelles originales sur la corde raide, à la limite du trop plein, au bord de l'épate irritante. Mais son style est alors complètement affirmé et sert un propos, une histoire bien ficelée. Plus tard ces facéties se retourneront contre lui et confineront au maniérisme légèrement gonflant dans des films terriblement moins inspirés mais dirigés par le même réalisateur sûr de lui et un brin mégalo, tels que Le Village, La Fille de l'eau ou Phénomènes. Au début d'Incassable, il y a notamment une séquence qui peut faire bouillir certains spectateurs un peu nerveux et qui a failli avoir notre peau la première fois qu'on a vu le film, mais que l'on apprécie tout particulièrement aujourd'hui : ce long plan-séquence dans le train où la caméra de Shyamalan filme Bruce Willis puis la jeune fille assise à côté de lui et qu'il tente de draguer, en passant de l'un à l'autre à travers l'écart entre les deux sièges face aux personnages. Shyamalan ose dans ce film, il ne ferme pas sa porte à la mise en scène contrairement aux trois quarts des films de super-héros et c'est aussi ce qui fait le prix d'Incassable.
Au contraire de l'écrasante majorité des films de super-héros, Shyamalan instaure dans son œuvre un rythme très lent qui peut sans doute expliquer en partie l'accueil très mitigé du public, mais qui pour nous participe largement de l'espèce de fascination qu'on a pour les personnages et pour cette histoire. Pour mémoire, le film raconte l'histoire de David Dunn (Bruce willis), un homme mélancolique et malheureux dans son mariage, qui réchappe sans la moindre égratignure d'un terrible accident ferroviaire dont il est l'unique survivant. Il est alors contacté par Elijah Price (Samuel L. Jackson), collectionneur de comic books, qui lui pose cette question étrange : "A quand remonte votre dernier rhume ?". Après quelques recherches, Dunn, circonspect, s'aperçoit qu'il n'a jamais été malade ni blessé, mais son ancienne institutrice lui apprend qu'enfant il a manqué se noyer dans la piscine de l'école. Conforté dans son scepticisme et rassuré d'être un homme parfaitement normal, Dunn s'empresse d'aller décevoir Elijah Price qui espérait avoir trouvé en lui un homme indestructible digne des super-héros de comics dont il est fanatique. Mais ce dernier persiste en rappelant à Dunn que tout super-héros a une faiblesse et qu'il vient de trouver la sienne. Progressivement, Dunn comprend, ou plutôt accepte ses dons : une force et une résistance surhumaine ainsi qu'une forme de télépathie par contact d'épiderme. Poussé par son fils et par Elijah, il assume son statut de super-héros et le met en pratique.
Shyamalan, plutôt que d'adapter à l'écran un comic book célèbre, écrit un scénario qui les prend pour sujet, mais selon une méta-discursivité nettement plus subtile et intelligente que celle déployée dans Scream, Sc2eam, Scr3am ou Scre4m, par exemple. Le cinéaste prend la problématique du super-héros à bras le corps en racontant l'instant fatidique où le personnage prend conscience de ses dons, ce moment où l'homme ordinaire devient extra-ordinaire. On se rappelle de la grande phrase de Spider-Man : "Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités", et c'est justement cette question que pose le film de Shyamalan de façon singulière et autrement plus passionnante que la moyenne des films de super-héros habituels. Son personnage refuse d'abord de se rendre à l'évidence et de s'avouer différent. Il ne veut ni être spécial, ni endosser la responsabilité du "bien". Cet homme-là ne semble pas vouloir être quelqu'un de particulièrement bon, ayant apparemment suffisamment d'emmerdes pour aller régler celles des autres. S'il finit par se résoudre à utiliser ses dons, c'est presque sous la contrainte, par une obligation morale qui le pousse à profiter de ses qualités exceptionnelles pour aider autrui. Et c'est finalement cette acceptation de soi et cette exhortation à agir qui le rendront plus accessible aux yeux des siens.
C'est ainsi que Shyamalan neutralise en quelque sorte la figure du super-héros à travers ce personnage psychologiquement faible, morne et presque neurasthénique. Le cinéaste déjoue les codes du film de super-héros (de la même manière qu'il utilise Bruce Willis à contre-emploi) et les renouvelle par là-même en déplaçant le contexte attendu du comic-book dans un quotidien placé sous le signe de la plus grise normalité. Le film est saturé de rappels à l'univers d'origine des super-héros, notamment par l'utilisation judicieuse des couleurs et des motifs, comme ces teintes vives dans les tenues d'Elijah Price ou cette inscription en jaune vif sur l'uniforme gris de David Dunn : "Security", qui évoque les sigles des costumes de Superman ou de Batman. La notion de costume est d'ailleurs très travaillée par Shyamalan qui, toujours selon cette logique consistant à rabattre le fantastique sur l'ordinaire, transforme le k-way de David Dunn en cape de super-héros. Shyamalan décortique tous les poncifs du film de super-héros, du fameux point faible exploitable par les ennemis jusqu'à l'opposition fondamentale entre le gentil et le méchant, passages obligés du genre auxquels il ajoute sa touche personnelle avec un twist final pour une fois bien senti. Que ceux qui n'ont pas vu le film décrochent à cet endroit. A la fin nous apprenons qu'Elijah Price a lui-même fomenté trois attentats terriblement meurtriers en vue de mettre la main sur le super-héros tant espéré avec un mysticisme effrayant. C'est bel et bien lui le super-vilain de l'histoire, cet homme de verre fanatique et dérangé qui a assassiné des centaines d'innocents pour faire surgir la figure d'un Dieu. On pourrait refourguer ici une nouvelle couche de philosophie morale expérimentale en se demandant s'il est moralement acceptable de tuer des centaines d'innocents pour révéler un super-héros susceptible d'en sauver dix fois plus... Frottons-nous également à l'hypothèse suivante : et si Elijah Price, cet homme réduit à l'immobilité sur son fauteuil, condamné à vivre ses fantasmes à travers les images de ses comic books favoris, n'était autre qu'un avatar du spectateur de ces blockbusters qu'Incassable démantèle, avide d'action et en quête d'un super-héros, prêt à voir sacrifier des innocents pour satisfaire à son besoin irraisonné de se projeter dans une figure idéalisée de héros toujours plus vaillant et noble.
Finalement Shyamalan nous livre un film très sobre, voire un peu languissant, délesté de toutes les contraintes de l'entertainment et, tout en baignant la figure du super-héros dans l'ordinaire, il enveloppe Incassable du mystère et de ce sens de l'inquiétant qui lui sont chers. Il nous offre en prime un duo d'acteurs comme on n'en voit plus, avec un Samuel Leroy Jackson hirsute et décapsulé collé aux basques d'un Bruce Willis apathique as cool as a cucumber, un des plus beaux duos d'acteurs après Elmaleh-Debouzze, Gibson-Glover et tous ces autres duos en noir&blanc. Le film regorge de climax en creux, comme cette scène où Bruce Willis soulève des poids, observé par son fils qui charge la mule jusqu'à ce que son père pulvérise son record et ceux de Sly Stallone et Schwarzy cumulés en soulevant sans s'en rendre compte plusieurs kilo-tonnes d'acier. Voilà une grande scène ! Une parmi tant d'autres, on peut citer également celle où le fils de David Dunn menace son père d'une arme à feu pour le forcer à révéler ses capacités hors-normes. Il faut voir le jeu de Bruce Willis dans cette scène, la façon dont il hausse le ton pour maîtriser son enfant, sa voix mêlée d'autorité et de crainte, et la manière dont il s'empare ensuite du revolver pour le décharger, qui nous prouve que le comédien n'a rien oublié de ses dizaines de milliers d'heures de film passées à manipuler des petits calibres. Une autre grande scène, dans un sacré film qui se suffit largement à lui-même, au point qu'on ne regrette pas tant que ça qu'il n'ait pas donné lieu à une trilogie, même si l'on s'attriste franchement qu'il n'ait pas inspiré d'autres films de son acabit ou qu'il n'ait pas poussé Shyamalan vers de plus nobles horizons.
Incassable de M. Night Shyamalan avec Bruce Willis, Samuel L. Jackson et Robin Wright Penn (2000)
A l'époque, M. Night Shyamalan, surnommé "Schumi", et Bruce Willis, étaient les deux meilleurs potes du tout Hollywood. Après le succès fracassant de Sixième Sens, Shyamalan avait promis à sa star de faire de lui un incontournable de la figure de super-héros, en jouant de sa filmographie passée - l'acteur n'ayant jamais incarné que des super mecs - via une trilogie dont Incassable devait être le premier jalon. Finalement le film n'a pas rencontré son public comme il aurait dû et ce fut un gros échec commercial relativement au succès de la collaboration précédente de Shyamalan et Willis. Pourtant il s'agit à n'en pas douter du meilleur film de Schumi et plus encore d'un chef-d’œuvre du film de super-héros (quand bien même la concurrence est maigre). Voilà un film réalisé par un vrai amoureux de comic book qui n'a pas pour autant 3 de QI, et c'est chose rare.
Après le succès faramineux de son premier film, Shyamalan déborde de confiance en lui et se permet des tas de petites inventions formelles originales sur la corde raide, à la limite du trop plein, au bord de l'épate irritante. Mais son style est alors complètement affirmé et sert un propos, une histoire bien ficelée. Plus tard ces facéties se retourneront contre lui et confineront au maniérisme légèrement gonflant dans des films terriblement moins inspirés mais dirigés par le même réalisateur sûr de lui et un brin mégalo, tels que Le Village, La Fille de l'eau ou Phénomènes. Au début d'Incassable, il y a notamment une séquence qui peut faire bouillir certains spectateurs un peu nerveux et qui a failli avoir notre peau la première fois qu'on a vu le film, mais que l'on apprécie tout particulièrement aujourd'hui : ce long plan-séquence dans le train où la caméra de Shyamalan filme Bruce Willis puis la jeune fille assise à côté de lui et qu'il tente de draguer, en passant de l'un à l'autre à travers l'écart entre les deux sièges face aux personnages. Shyamalan ose dans ce film, il ne ferme pas sa porte à la mise en scène contrairement aux trois quarts des films de super-héros et c'est aussi ce qui fait le prix d'Incassable.
Au contraire de l'écrasante majorité des films de super-héros, Shyamalan instaure dans son œuvre un rythme très lent qui peut sans doute expliquer en partie l'accueil très mitigé du public, mais qui pour nous participe largement de l'espèce de fascination qu'on a pour les personnages et pour cette histoire. Pour mémoire, le film raconte l'histoire de David Dunn (Bruce willis), un homme mélancolique et malheureux dans son mariage, qui réchappe sans la moindre égratignure d'un terrible accident ferroviaire dont il est l'unique survivant. Il est alors contacté par Elijah Price (Samuel L. Jackson), collectionneur de comic books, qui lui pose cette question étrange : "A quand remonte votre dernier rhume ?". Après quelques recherches, Dunn, circonspect, s'aperçoit qu'il n'a jamais été malade ni blessé, mais son ancienne institutrice lui apprend qu'enfant il a manqué se noyer dans la piscine de l'école. Conforté dans son scepticisme et rassuré d'être un homme parfaitement normal, Dunn s'empresse d'aller décevoir Elijah Price qui espérait avoir trouvé en lui un homme indestructible digne des super-héros de comics dont il est fanatique. Mais ce dernier persiste en rappelant à Dunn que tout super-héros a une faiblesse et qu'il vient de trouver la sienne. Progressivement, Dunn comprend, ou plutôt accepte ses dons : une force et une résistance surhumaine ainsi qu'une forme de télépathie par contact d'épiderme. Poussé par son fils et par Elijah, il assume son statut de super-héros et le met en pratique.
Shyamalan, plutôt que d'adapter à l'écran un comic book célèbre, écrit un scénario qui les prend pour sujet, mais selon une méta-discursivité nettement plus subtile et intelligente que celle déployée dans Scream, Sc2eam, Scr3am ou Scre4m, par exemple. Le cinéaste prend la problématique du super-héros à bras le corps en racontant l'instant fatidique où le personnage prend conscience de ses dons, ce moment où l'homme ordinaire devient extra-ordinaire. On se rappelle de la grande phrase de Spider-Man : "Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités", et c'est justement cette question que pose le film de Shyamalan de façon singulière et autrement plus passionnante que la moyenne des films de super-héros habituels. Son personnage refuse d'abord de se rendre à l'évidence et de s'avouer différent. Il ne veut ni être spécial, ni endosser la responsabilité du "bien". Cet homme-là ne semble pas vouloir être quelqu'un de particulièrement bon, ayant apparemment suffisamment d'emmerdes pour aller régler celles des autres. S'il finit par se résoudre à utiliser ses dons, c'est presque sous la contrainte, par une obligation morale qui le pousse à profiter de ses qualités exceptionnelles pour aider autrui. Et c'est finalement cette acceptation de soi et cette exhortation à agir qui le rendront plus accessible aux yeux des siens.
C'est ainsi que Shyamalan neutralise en quelque sorte la figure du super-héros à travers ce personnage psychologiquement faible, morne et presque neurasthénique. Le cinéaste déjoue les codes du film de super-héros (de la même manière qu'il utilise Bruce Willis à contre-emploi) et les renouvelle par là-même en déplaçant le contexte attendu du comic-book dans un quotidien placé sous le signe de la plus grise normalité. Le film est saturé de rappels à l'univers d'origine des super-héros, notamment par l'utilisation judicieuse des couleurs et des motifs, comme ces teintes vives dans les tenues d'Elijah Price ou cette inscription en jaune vif sur l'uniforme gris de David Dunn : "Security", qui évoque les sigles des costumes de Superman ou de Batman. La notion de costume est d'ailleurs très travaillée par Shyamalan qui, toujours selon cette logique consistant à rabattre le fantastique sur l'ordinaire, transforme le k-way de David Dunn en cape de super-héros. Shyamalan décortique tous les poncifs du film de super-héros, du fameux point faible exploitable par les ennemis jusqu'à l'opposition fondamentale entre le gentil et le méchant, passages obligés du genre auxquels il ajoute sa touche personnelle avec un twist final pour une fois bien senti. Que ceux qui n'ont pas vu le film décrochent à cet endroit. A la fin nous apprenons qu'Elijah Price a lui-même fomenté trois attentats terriblement meurtriers en vue de mettre la main sur le super-héros tant espéré avec un mysticisme effrayant. C'est bel et bien lui le super-vilain de l'histoire, cet homme de verre fanatique et dérangé qui a assassiné des centaines d'innocents pour faire surgir la figure d'un Dieu. On pourrait refourguer ici une nouvelle couche de philosophie morale expérimentale en se demandant s'il est moralement acceptable de tuer des centaines d'innocents pour révéler un super-héros susceptible d'en sauver dix fois plus... Frottons-nous également à l'hypothèse suivante : et si Elijah Price, cet homme réduit à l'immobilité sur son fauteuil, condamné à vivre ses fantasmes à travers les images de ses comic books favoris, n'était autre qu'un avatar du spectateur de ces blockbusters qu'Incassable démantèle, avide d'action et en quête d'un super-héros, prêt à voir sacrifier des innocents pour satisfaire à son besoin irraisonné de se projeter dans une figure idéalisée de héros toujours plus vaillant et noble.
Finalement Shyamalan nous livre un film très sobre, voire un peu languissant, délesté de toutes les contraintes de l'entertainment et, tout en baignant la figure du super-héros dans l'ordinaire, il enveloppe Incassable du mystère et de ce sens de l'inquiétant qui lui sont chers. Il nous offre en prime un duo d'acteurs comme on n'en voit plus, avec un Samuel Leroy Jackson hirsute et décapsulé collé aux basques d'un Bruce Willis apathique as cool as a cucumber, un des plus beaux duos d'acteurs après Elmaleh-Debouzze, Gibson-Glover et tous ces autres duos en noir&blanc. Le film regorge de climax en creux, comme cette scène où Bruce Willis soulève des poids, observé par son fils qui charge la mule jusqu'à ce que son père pulvérise son record et ceux de Sly Stallone et Schwarzy cumulés en soulevant sans s'en rendre compte plusieurs kilo-tonnes d'acier. Voilà une grande scène ! Une parmi tant d'autres, on peut citer également celle où le fils de David Dunn menace son père d'une arme à feu pour le forcer à révéler ses capacités hors-normes. Il faut voir le jeu de Bruce Willis dans cette scène, la façon dont il hausse le ton pour maîtriser son enfant, sa voix mêlée d'autorité et de crainte, et la manière dont il s'empare ensuite du revolver pour le décharger, qui nous prouve que le comédien n'a rien oublié de ses dizaines de milliers d'heures de film passées à manipuler des petits calibres. Une autre grande scène, dans un sacré film qui se suffit largement à lui-même, au point qu'on ne regrette pas tant que ça qu'il n'ait pas donné lieu à une trilogie, même si l'on s'attriste franchement qu'il n'ait pas inspiré d'autres films de son acabit ou qu'il n'ait pas poussé Shyamalan vers de plus nobles horizons.
Incassable de M. Night Shyamalan avec Bruce Willis, Samuel L. Jackson et Robin Wright Penn (2000)