2 décembre 2023

Terrifier 2

Le cinéma d'épouvante compte donc dans ses rangs un nouvel énergumène. Celui-ci a fait une entrée particulièrement remarquée, allant jusqu'à squatter les pages des Cahiers du cinéma après avoir provoquer évanouissements et vomissements dans les salles obscures. Il a été définitivement admis cette année à l'académie des pires boogeymens du septième art, auprès des Jason Voorhees, Freddy Krueger, Michael Myers et consorts, mais ne ferait qu'une bouchée de tous ces types qui passeraient presque pour des enfants de chœur à ses côtés. Il s'agit évidemment d'Art le clown, la création de l'esprit torturé de Damien Leone. Réalisateur, scénariste, producteur, monteur, en charge des effets visuels, Leone est un véritable esthète, un pro des SFX et un amateur de boucherie fine, le genre de type adorable au quotidien, doux comme un agneau, qui canalise toutes ses plus noires pensées dans son art, animé d'un amour sincère pour l'horreur et sans doute même pour la fantasy, ce qui suinte de son travail et réfrène notre envie de l'attaquer sur ses faiblesses et ses excès. 





Si Terrifier 2 marque ma première rencontre avec ce maudit clown, il s'agit déjà de sa sixième apparition sur les écrans, puisqu'il a d'abord commencé par sévir dans des courts métrages puis des segments de films à sketchs, toujours confectionnés par Damien Leone. C'est le deuxième long métrage qui lui est consacré, le premier avait déjà tapé dans l'œil de quelques amateurs vigilants, le deuxième, considéré comme supérieur et dont on peut très bien comprendre toutes les subtilités du scénario sans avoir vu le précédent, l'a fait exploser aux yeux du grand public, qui n'en demandait pas tant. Si le clown de Ça vous faisait peur, il y a des chances que celui-ci vous traumatise à vie. Personnage mutique, mime Marceau diabolique, expert en cruauté et en souffrance, Art entre directement au panthéon des plus infréquentables croque-mitaines en redonnant un sacré coup de fouet au sous-genre d'ordinaire moribond et ennuyeux du slasher surnaturel. Nous sommes ici en plein dedans, ne cherchez pas d'explications ni de repères tangibles. De la première à la dernière seconde, le film baigne pour son plus grand bien dans une atmosphère surréaliste inquiétante à souhait, déployant progressivement un univers visuel solide, empruntant beaucoup au monde forain et riche des créations multiples d'une équipe artistique motivée par un chef de chantier survolté, Damien Leone en personne.  



 
 
On tient donc là un slasher pur jus, sans sous-texte social, apparemment dénué de la moindre morale, et, à vrai dire, comme on n'en fait plus. Le genre de trucs clivant, sale et gratis qui aurait fait un ravage à l'époque révolue des vidéoclubs, alimentant les discussions des couche-tard, attisant la curiosité des plus jeunes. On peut très bien rejeter d'un bloc l'œuvre sanglante et abstraite de Damie Leone. Je ne vous jetterai pas la pierre, j'ai failli en faire autant. Déjà, il est assez culotté de proposer un slasher long de près de 2h20. Mais cela fait partie du délire, nous répondra-t-on, et c'est un fait. Cette démesure participe en effet au sentiment de malaise et à l'ambiance brumeuse et automnale de ce cauchemar qui semble sans fin, sans issue, sans queue ni tête. Accessoirement, cela permet à Terrifier 2 d'être le film gore le plus long de l'histoire (information que je vous invite tout de même à vérifier, on ne sait jamais qu'un hurluberlu se soit déjà amusé à commettre pire méfait). Pendant tout ce temps, Damien Leone esquisse une sorte de mythologie autour d'Art the Clown, ici accompagné d'une fillette fantôme particulièrement flippante, complice passive de ses exactions. On devine qu'il s'attachera à compléter cet univers et à l'enrichir lors des forcément nombreux opus à venir. Pour ma part, cela a suffit à m'intriguer et à me donner envie d'en savoir plus. Je préfère quelques petites touches intelligemment distillées ainsi, et une large part laissée au mystère, plutôt qu'une pénible anamnèse de l'origine d'un tel tueur, de ses motivations éventuelles et une présentation laborieuse de ses piteuses victimes, surtout dans un tel film, où les explications de texte correspondent en général à des passages douloureux ou pathétique. 



 
 
Cet horrible film d'horreur et d'horreurs est empli de visions proprement abjectes, d'images marquantes et révulsantes. Les corps, particulièrement les visages et plus précisément les yeux, subissent tout, éclatent, fondent, s'ouvrent en deux et éclaboussent de long en large les fameux décors bariolés avec un soin savant. Terrifier 2 est un spectacle baroque à l'humour noir en pointillé, farci de détails macabres, et ponctué de longues scènes gore jusqu'au-boutistes, outrancières, où la violence est déréalisée, ce qui la rend plus tolérable. Ces excès amènent une distance salutaire, qui permet de ne pas rendre son déjeuner et tout simplement de tenir bon, mais ils peuvent néanmoins choquer. Il y a là comme un acharnement qui fascine et révulse tout à la fois. Car si la surenchère amène un décalage nécessaire et que certains plans ne laissent aucun doute quant à la fausseté des matières ou fluides en présence ainsi qu'au malin plaisir pris en coulisse par les artisans souriants aux manettes, ils sont aussi associés à une pointe de réalisme glaçante qui peut secouer, mettre à mal. Quelques pures visions de cauchemar restent en tête, l'air de rien, et on se souviendra d'une scène de meurtre sauvage dans une chambre à coucher dont la brutalité et la cruauté laissent coi. Elle peut évoquer l'un des premiers meurtres particulièrement sanglants des Griffes de la Nuit, de Wes Craven, quand Freddy tailladait une jeune fille blonde en nuisette et la traînait jusqu'au plafond en défiant les lois de la gravité, mais tout est ici bien plus cruel et cru, et on ne doute pas que cette scène-choc aura le même effet sur toute une génération de nouveaux spectateurs impressionnés. En fin de compte, on peut noter qu'il n'y a là-dedans aucun jump scares, Damien Leone préfère provoquer notre dégoût et engendrer un malaise plus lancinant, par ces différents moyens. L'action a beau se dérouler principalement durant Halloween et le tueur être un clown sadique, Damien Leone s'affranchit de la franchise lancée par Carpenter et renvoie Pennywise dans son bac à sable, il ne tire pas sur les mêmes ficelles et s'entête principalement à mettre en forme ses sordides hallucinations, à nous proposer un grand huit horrifique plus sec et dénué des idioties hideuses d'un James Wan.



 
 
Damien Leone atteste donc d'une brutalité graphique assez inédite, qui est vierge de toute explication psychologique. On sent d'ailleurs que ça n'est pas là le fort du cinéaste, qui peine un peu à dépeindre une famille monoparentale avec une mère dépassée par les événements et les agissements incompréhensibles de ses enfants, en réalité obnubilés ou dictés par le clown maléfique ; une petite famille vivant toujours dans l'ombre du deuil de leur paternel, qui était lui aussi fasciné par le tueur en costume et ses crimes odieux. Plus occupé à faire traîner en longueur des scènes quasi oniriques vouées à s'achever dans un bain de sang plus qu'à faire avancer le semblant d'une intrigue, le réalisateur se concentre seulement sur deux personnages, son clown au nez crochu mais aussi sa jeune rivale (Lauren LaVera), inévitable final girl. Il les dessine, littéralement, plus qu'autre chose, de la même façon que l'héroïne se conçoit elle-même une armure inspirée des dessins de son défunt père (sa famille est donc liée au clown, mais ce background assez brouillon n'est pas vraiment le point fort du projet, vous l'aurez compris, il sera néanmoins creusé dans la suite déjà tournée). Et le cinéaste semble y croire très fort, essayant à fond, et donc parvenant au moins un peu, même au regard des plus sceptiques, à leur donner ce caractère quasi mythique tant recherché. On est curieux de retrouver Art le clown à l'avenir, mais aussi de recroiser cette héroïne aux ailes d'ange factices, énièmes déclinaisons du sempiternel combat du bien contre le mal. Le long duel final et l'ultime mise à mort du clown, à la dernière mimique effrayante, concluent avec une logique certaine cet interminable circuit en train fantôme, qui en dégoûtera beaucoup mais pourra ravir quelques amateurs.
 
 
Terrifier 2 de Damien Leone avec Lauren LaVera et David Howard Thornton (2023)

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