22 novembre 2023

Vincent doit mourir

Pauvre Karim Leklou. Du jour au lendemain, il devient la cible d'agressions gratuites. Celles-ci surviennent d'abord à son boulot, dans l'ambiance d'ordinaire feutrée de bureaux de graphistes aux larges baies vitrées, puis à l'extérieur, dans la rue, partout, n'importe quand, et se font de plus en plus systématiques dès qu'il croise trop longtemps le regard d'un autre. Obligé à se confiner, à se mettre au vert, à éviter tout contact, il réalise bientôt qu'il n'est pas le seul concerné par cette sorte d'épidémie de violence irrationnelle. C'est donc à partir d'une idée de départ aussi simple que se déploie le premier long métrage de Stéphan Castang, un film original et audacieux, mélangeant les tons et les genres avec un certain succès, qui mérite pleinement d'être salué. Les premières minutes sont parsemées de quelques situations assez loufoques où Stéphan Castang dépeint le monde du travail en quelques coups de crayons glaçants, mettant en avant son ineptie par l'emploi malicieux du néo-lexique propre à ce milieu. Toute la première partie du film est la plus réussie, on hésite alors entre l'effroi et l'amusement, on en sait encore le moins possible et on a cette impression tenace de nager en plein cauchemar, un effet accentué par l'absurdité déconcertante de certaines situations et l'atmosphère digne d'un thriller paranoïaque progressivement instaurée par le cinéaste.





Il n'est jamais simple de tenir la longueur à partir d'un concept si fort et Vincent doit mourir s'essouffle un peu quand il choisit une voie plus consensuelle, tirant vers la comédie romantique un brin déjantée voire carrément torturée, en plein contexte de crise de plus en plus globale. Cela coïncide avec l'entrée en scène du personnage campé par la pourtant irréprochable Vimala Pons, toute désignée dès qu'il s'agit de s'amouracher d'un Vincent bizarre quelques années après Vincent n'a pas d'écailles, autre curieux film de genre français signé Thomas Salvador. L'actrice circassienne aux choix souvent judicieux va ici former un duo d'infortune avec Karim Leklou, dont la solitude s'achève enfin, remplacée par une harmonie en dents de scie. À partir de là, Le pas du cinéaste débutant semble moins assuré, plus timoré et convenu, moins incisif aussi. On peut le regretter. Heureusement, grâce à un final plutôt impressionnant, le film retombe tout de même sur ses pattes et nous laisse sur un souvenir positif, celui d'une version française originale de ce qui peut surtout s'apparenter à un film de zombies. Surprenant dans le sens où nous avons en effet rarement autant eu la sensation d'être mis à la place de la victime, collant à la peau d'un Karim Leklou dont nous suivons au plus près tous les malheurs. L'acteur au physique ambivalent, un peu gauche et ramollo, est idéalement choisi pour un rôle qui semble avoir été écrit pour lui. Son allure singulière participe pour beaucoup à l'étrange humour burlesque présent en filigrane. Son regard de chien battu, régulièrement cadré au plus près, s'avère aussi parfait. Nous sommes très souvent placés sous tension, à redouter pour lui les éclats de violence irrationnels à venir, et ce tout particulièrement avant la bifurcation amoureuse du récit. Miroir à peine déformé d'une société malade, le film de Stéphan Castang nous rend cette violence proprement repoussante, sciemment répugnante. On grimace bel et bien lors d'une scène mémorable d'affrontement à mort dans une fosse sceptique, sans doute le meilleur moment du film. 



 
 
En dehors de ce terrible morceau de bravoure bien crado, on peut par ailleurs regretter que la mise en scène de Stéphan Castang ne soit pas plus inventive et savante pour générer la peur. Je repense par exemple à une scène a priori banale de discussion dans un bar où une menace commence à poindre à l'extérieur, menace que l'on pourrait deviner et voir s'approcher en arrière-plan mais qui est ici assez platement amenée, la caméra du réalisateur n'exploitant guère la profondeur du champ, trop aimantée par le visage de ses acteurs (il y a une situation quasi identique dans L'Antre de la folie de John Carpenter, pour un résultat à l'écran autrement plus marquant et efficace). L'œuvre de Stéphan Castang pourrait aussi vaguement évoquer It Follows (dont une suite, réunissant le même réalisateur et la même actrice vient d'ailleurs d'être annoncée, et je suis très curieux de voir ça !), s'il faisait preuve de la même habileté que David Robert Mitchell pour faire surgir le danger et l'inquiétude au milieu de la plus vaste banalité. Malgré ces petites faiblesses et la légère déception suscitée suite à son départ canon, Vincent doit mourir est tout de même très largement recommandable, notamment pour les amateurs du cinéma de genre, dont le manque d'enthousiasme m'étonne un peu, eux qui d'ordinaire s'emballent pour bien moins que ça.


Vincent doit mourir de Stephan Castang avec Karim Leklou et Vimala Pons (2023)

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