Plusieurs films en un : aucun n'est franchement raté, aucun n'est 
vraiment réussi. Mais il ne faudrait pas pour autant tomber à bras 
raccourcis sur le premier long métrage de Just Philippot sous l'idiot 
prétexte que quelques médias zélés ont voulu en faire  – avec Teddy, film
 de loup garou rural sorti au même moment – le symbole d'un renouveau du
 cinéma de genre français. Dans le genre, Philippot s'aventure 
effectivement, mais peut-être trop timidement ou par opportunisme, en 
tout cas sans l'ardeur attendue chez un cinéaste habité et désireux de 
s'y spécialiser. Matérialisée par ces sauterelles avides de 
chair et de sang, l'horreur est ici un simple prétexte à une métaphore dans l'air du temps, somme 
toute pertinente mais assez convenue, sur la situation du monde
 agricole et notre société en général, toute commandée par le 
rendement et la production. L'agricultrice, 
incarnée avec une belle conviction par Suliane Brahim, 
est une veuve, mère de deux enfants, dont on devine par le biais d'une 
allusion dialoguée que le mari s'est suicidé sur son exploitation. Elle 
en vient à se saigner, littéralement, pour espérer s'en sortir, jusqu'à 
ce que les fruits bourdonnants de son dur labeur ne finissent par se 
retourner contre elle et sa famille... Le fantastique vient donc peu à 
peu parasiter ce qui se présente d'abord comme une chronique agricole actuelle, 
un drame social et familial réaliste dans la lignée de certaines œuvres 
récentes (Petit Paysan, Au nom de la terre) s'attachant elles aussi à 
montrer la précarité paysanne. Le scénario est couru d'avance et le 
récit est mené d'une façon sans doute trop programmatique, alternant sur
 un rythme de métronome les scènes de tension domestique, où grandit la 
folle obsession de la mère et se multiplient les frictions avec son 
adolescente de fille, avec les percées horrifiques plus ou moins gores, 
où l'on mesure progressivement la menace écologique que constituent les 
sauterelles. 
 
Malgré
 ses petites faiblesses évidentes, La Nuée se laisse tout de même 
regarder sans déplaisir et parvient à nous accrocher efficacement. Il y a
 quelque chose d'assez original pour nous captiver dans ce point de 
départ, dans cette idée d'une entomoculture novatrice qui tourne mal, 
remettant au goût du jour de vieilles peurs chères au cinéma d'horreur. 
Notamment grâce au talent de l'actrice principale, issue de la Comédie 
Française, on croit en la bataille déraisonnable de cette agricultrice 
solitaire pour sauver son entreprise de la faillite et l'on se met à 
espérer que son fidèle ami viticulteur et amant frustré (sympathique Sofian Khammes) la persuade de venir trouver du réconfort dans ses bras. 
Bien que Just Philippot n'exploite peut-être pas suffisamment le fort potentiel
 de certaines idées 
visuelles et sonores (les serres rondes et lumineuses dans lesquelles 
sont élevées les 
sauterelles et la stridulation stressante et incessante qui en émane), 
quelques images
 de son film restent tout de même en tête et visent juste. On n'oublie 
guère ces gros
 plans, quasi documentaires, simples, longs, fascinants, sur les 
insectes, qui nous
 permettent de saisir toute leur monstrueuse altérité. S'imprime 
aussi durablement sur notre rétine cette vision de cauchemar pourtant fugace
 du corps de notre 
agricultrice surmenée entièrement recouvert de sauterelles s'abreuvant 
de sa chair. La conclusion, assez spectaculaire, étonnamment courte, a 
le mérite de ne pas s'étendre inutilement et recèle une belle 
trouvaille (qui plus est bien pratique pour se débarrasser d'un coup d'un seul de ces 
fichues bestioles). Une semi-réussite, donc, mais on relève l'effort et 
on espère que Philippot saura faire mieux par la suite.
La Nuée de Just Philippot avec Suliane Brahim et Sofian Khammes (2021) 
 


 
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