18 avril 2021

First Man – le premier homme sur la Lune

Au moment de faire le bilan ciné des années 2010, cet inventaire indispensable que nous nous devons d'établir à présent que cette décennie est (enfin !) entièrement révolue, il y a un film dont nous n'avons dit mot et qui nous avait pourtant marqués au fer rouge. Trêve de suspense, ce film, c'est évidemment le First Man du sorcier Damien Chazelle, le fils prodigue du cinéma contemporain. Sorti à l'automne 2018, ce métrage est une épopée sensorielle, puissante et même lyrique : First Man ou quand le cinéma devient cosmique. Il y a tant et à la fois si peu à dire de cette œuvre que je vais me risquer à une titrologie analytique. "First Man : le premier homme" : cette double répétition dans le titre complet, suggéré par l'auteur lui-même (dont on rappelle au passage les racines françaises – cocorico !), en dit long sur le projet artistique visant à nous livrer un double portrait de cet homme, premier marcheur sur la Lune, dans l'espace et au foyer. Plutôt confiant et sûr de lui dès qu'il passe la porte de ses bureaux à la NASA et qu'il s'envoie en l'air avec ses petits copains en tenue de bibendum Michelin, Neil Armstrong s'avère être une larve amorphe, impuissante et inexpressive quand il rentre chez lui, où il doit affronter la colère de sa femme et la maladie de sa fille, débiles de naissance. Damien Chazelle nous place sur orbite, non sans oublier de nous faire tourner sur nous-mêmes : il révolutionne l'intime et l'Histoire, mêle l'utile à l'agréable, dans un film-miroir, comme son intitulé intégral, qui n'a pour reflet que ce que nous acceptons de révéler à nous-mêmes. First Man : le premier homme, c’est aussi l'exemple-type d'un titre éponyme concentré sur la dualité du personnage éponyme de ce film éponyme. Vertigineux.
 
 
 
 
Ce film éponyme est une expérience amniotique, fœtale même (en tout cas, c'est bien dans la position du fœtus que je me souviens m'être surpris, à la fin de la séance). Je n'ai pas touché terre de toute la projo, mais quelque chose de plus mou... de plus doux... le sol de la Lune ? Non, simplement le fauteuil de la rangée de devant, à laquelle un filet de bave me reliait ! Loin d’être un trip régressif, les stimulis qu’active Chazelle sont de toute nature. On tient là un film qui a besoin de décanter 2-3 jours, mais pas plus, surtout pas, il pourrait tourner... Sur le coup, on est un peu sonné. First Man ne ressemble à rien, et il est assez compliqué de situer Chazelle sur l'échiquier cinématographique actuel où il a pris tant d'importance. C'est un peu du Kubrick easy-listening, le melon en moins, ou du Bergman réactualisé, à la portée de la plèbe. Un homme dont on attend aussi des réponses... Alors qu'il était attendu au tournant comme le messie, le film ne prend pas parti sur un sujet encore polémique : pied droit, pied gauche ? On ne saura pas. On ne saura jamais. Satellite ? Planète ? Le film laisse aussi cette autre question en suspens, plus désireux d'ouvrir de nouvelles pistes que d'en baliser d'anciennes, dans un grand chamboule-tout des repères spatio-temporaux. Ivre de la superbe de son film étincelant, épaulé par un Ryan Gosling de nouveau synesthésique, Chazelle laisse place aux rêveries : on en a même oublié notre alarme le lendemain matin ! C'est peut-être le cinéma d'après-demain, et il est encore impossible d'en mesurer l'impact ; c'est une expérience physique hors du commun en termes d'immersion et de submersion. Tétanisant, bouleversant, renversant, malfaisant et d'une beauté sans égal, on en ressort avec une gerbe terrible, et un goût de reviens-y... Dans l'espace, personne ne nous a entendu pleurer. 


First Man – le premier homme sur la Lune de Damien Chazelle avec Ryan Gosling et Claire Foy (2018)

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