29 avril 2021

Éléonore

Qu'il est difficile d'avoir la trentaine en l'an 2020. La pression sociale, professionnelle, familiale, et j'en passe... L'enfer ! Et qu'il est pénible de regarder un film sur ce sujet quand celui-ci est écrit et réalisé par Amro Hamzawi et joué par sa sœur Nora. Celle-ci incarne donc Éléonore, une écrivaine ratée qui vit dans un petit appart parisien avec son chat, multipliant les coups d'un soir et les projets sans lendemain. Elle n'est pas encore vraiment sortie de l'adolescence aux yeux de sa sœur et de sa mère qui, infectes et étouffantes, veulent la remettre sur les rails manu militari, la recadrer dans tous les domaines, y compris vestimentaire (ce qui ne sert à rien d'autre que nous montrer Nora Hamzawi passer du vieux pyjus ou survêt' trop large à des tenues affriolantes incongrues). Elles la pistonnent d'abord vers un job "normal" : secrétaire de direction dans une maison d'édition de romans érotiques, ce qui sera propice à quelques tentatives d'humour pathétiques. C'est qu'il serait temps d'avoir un vrai boulot et d'arrêter de croire une bonne fois pour toutes en ses talents d'autrice imaginaires. Accessoirement, pour compléter le tableau, il serait bon de s'engager enfin dans une relation stable, adulte, satisfaisante sous tous rapports : mère et sœur conditionnent donc la rencontre d'Éléonore avec un homme friqué, présenté comme le mari, le coup, idéal. Quand bien même le type en question ressemble littéralement à un gland mal décalotté, il est pété de thunes et propriétaire d'un vaste appartement en plein Paris, c'est bien là le plus important, cela garantit la stabilité tant recherchée. Monsieur est aussi très enclin à pourvoir sa conquête facile en plaisirs simples, ce qui nous fout un peu mal à l'aise lorsqu'Amro Hamzawi filme sa propre sœur simulant un orgasme au cours d'une piètre scène de sexe oral. 




Au bout de 90 minutes de supplice, le petit message que nous délivre la famille Hamzawi est le suivant : il faut s'assumer. Il faut d'abord s'accepter soi-même et s'aimer tel qu'on est pour être heureux et pour réussir à faire fi des pressions sociales. Et peut-être ainsi pour mieux s'y plier naturellement... Dans la dernière partie de cette abomination autocentrée qui semble ne jamais finir et pourrait dégoûter à tout jamais le spectateur innocent et mal informé des notions de "film d'auteur" et de "cinéma français", Éléonore plaque cette vie étriquée qu'elle n'avait pas choisie, retourne dans son T1 puant la litière pour chat, ressort sa vieille machine à écrire vintage de son carton puis se met à taper d'une salve ses réflexions, que nous imaginons tellement profondes et justes, inspirées par l'expérience et les épreuves vécues. A la toute fin du film, notre héroïne du monde moderne finit par rencontrer par hasard, au coin de la rue, à la sortie de la supérette où elle va s’approvisionner en croquettes, un grand dadais qui lui ressemble étonnamment : il achète la même marque de croquettes, rendez-vous compte !, il semble un peu décalé, lunaire, pas tout à fait fini. C'est son duplicata masculin, la promesse d'un amour enfin durable, et au reste de suivre bon an mal an... Amro Hamzawi peut nous quitter sur un plan final sublime, à ajouter sans plus tarder à la collection des One Perfect Shot, nous montrant sa sœur, aux côtés de son nouvel ami, remonter son quartier si vivant de Paris, sous la lumière pleine de promesse du bon matin, avançant le pas décidé vers un avenir plus radieux et serein. J'en avais les larmes, je vous jure !




Si vous êtres un lecteur régulier de ce blog, vous aurez peut-être constaté qu'au fil des années, nous nous sommes drôlement adoucis, nous parlons de moins en moins souvent des films que nous n'aimons pas. C'est la raison pour laquelle, par exemple, j'ai préféré garder le silence au sujet de cette infâme bouillie nommée Tenet : cela reviendrait à se mettre deux fois pour le prix d'une dans cet état d'affliction terrible dans lequel m'a plongé le dernier bébé de sieur Nolan. C'est trop pour moi, j'ai passé l'âge, ça vaut pas l'coup ! Cependant, il reste parfois des films, pourtant plus petits et inoffensifs, comme celui-ci d'Amro Hamzawi, qui n'échappent pas aux balles. Pourquoi ? Allez savoir, le monde est ainsi fait : cruel et injuste... Peut-être simplement, aussi, pour la petite satisfaction fugace, très personnelle et égoïste que cela procure, durant quelques précieuses secondes, lors de la rédaction et de la publication du billet en question. Ce papier est donc une anomalie et, pour rejoindre le thème si cher à Nora Hamzawi et son frère, ça doit aussi être ça, la trentaine : s'assagir, apprendre à laisser pisser, éviter les saloperies de ce genre, préférer kiffer. Des fois, on n'y arrive pas, les vieux démons nous rattrapent. Désolé !
 
 
Éléonore d'Amro Hamzawi avec Nora Hamzawi, André Marcon, Julia Faure et Dominique Reymond (2020)

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