Qu'il est difficile d'avoir la trentaine en l'an 2020. La pression
sociale, professionnelle, familiale, et j'en passe... L'enfer !
Et qu'il est pénible de regarder un film sur ce sujet quand celui-ci est
écrit et réalisé par Amro Hamzawi et joué par sa sœur Nora. Celle-ci
incarne donc Éléonore, une écrivaine ratée qui vit dans un petit appart
parisien avec son chat, multipliant les coups d'un soir et les projets
sans lendemain. Elle n'est pas encore vraiment sortie de l'adolescence
aux yeux de sa sœur et de sa mère qui, infectes et étouffantes, veulent
la remettre sur les rails manu militari, la recadrer dans tous les
domaines, y compris vestimentaire (ce qui ne sert à rien d'autre que nous montrer Nora Hamzawi passer du vieux pyjus ou survêt' trop large à des tenues affriolantes incongrues). Elles la pistonnent d'abord vers un
job "normal" : secrétaire de direction dans une maison d'édition de
romans érotiques, ce qui sera propice à quelques tentatives d'humour
pathétiques.
C'est qu'il serait temps d'avoir un vrai boulot et d'arrêter de croire
une bonne fois pour toutes en ses talents d'autrice imaginaires.
Accessoirement, pour compléter le tableau, il serait bon de s'engager
enfin dans une relation stable, adulte, satisfaisante sous tous rapports
: mère et sœur conditionnent donc la rencontre d'Éléonore avec un homme
friqué, présenté comme le mari, le coup, idéal.
Quand bien même le type en question ressemble littéralement à un gland mal décalotté,
il est pété de thunes et propriétaire d'un vaste appartement en plein
Paris, c'est bien là le plus important, cela garantit la stabilité tant
recherchée. Monsieur est aussi très enclin à pourvoir sa conquête facile
en plaisirs simples, ce qui nous fout un peu mal à l'aise lorsqu'Amro
Hamzawi filme sa propre sœur simulant un orgasme au cours d'une piètre scène
de sexe oral.
Si
vous êtres un lecteur régulier de ce blog, vous aurez peut-être
constaté qu'au fil des années, nous nous sommes drôlement adoucis, nous parlons de
moins en moins souvent des films que nous n'aimons pas. C'est la raison
pour laquelle, par exemple, j'ai préféré garder le silence au sujet de cette infâme bouillie nommée Tenet : cela reviendrait à se mettre deux fois pour le
prix d'une dans cet état d'affliction terrible dans lequel m'a plongé
le dernier bébé de sieur Nolan. C'est trop pour moi, j'ai passé l'âge,
ça vaut pas l'coup ! Cependant, il reste parfois des films, pourtant
plus petits et inoffensifs, comme celui-ci d'Amro Hamzawi, qui
n'échappent pas aux balles. Pourquoi ? Allez savoir, le monde est ainsi fait : cruel et injuste... Peut-être simplement, aussi, pour la petite
satisfaction fugace, très personnelle et égoïste que cela procure, durant quelques précieuses secondes, lors de la rédaction et de la publication
du billet en question.
Ce papier est donc une anomalie et, pour rejoindre le thème si cher à
Nora Hamzawi et son frère, ça doit aussi être ça, la trentaine :
s'assagir, apprendre à laisser pisser, éviter les saloperies de ce
genre, préférer kiffer. Des fois, on n'y arrive pas, les vieux démons
nous rattrapent. Désolé !
Au bout de 90 minutes de
supplice, le petit message que nous délivre la famille Hamzawi est
le suivant : il faut s'assumer. Il faut d'abord s'accepter soi-même et
s'aimer tel qu'on est pour être heureux et pour réussir à faire fi des
pressions sociales. Et peut-être ainsi pour mieux s'y plier
naturellement... Dans la dernière partie de cette abomination autocentrée qui semble
ne jamais finir et pourrait dégoûter à tout jamais le spectateur
innocent et mal informé des notions de "film d'auteur" et de "cinéma
français", Éléonore plaque cette vie étriquée qu'elle n'avait pas
choisie, retourne dans son T1 puant la litière pour chat, ressort sa
vieille machine à écrire vintage de son carton puis se met à taper d'une salve
ses réflexions, que nous imaginons tellement profondes et justes,
inspirées par l'expérience et les épreuves vécues. A la toute fin du
film, notre héroïne du monde moderne finit par rencontrer par hasard, au
coin de la rue, à la sortie de la supérette où elle va s’approvisionner
en croquettes, un grand dadais qui lui ressemble étonnamment : il
achète la même marque de croquettes, rendez-vous compte !, il semble un peu décalé, lunaire,
pas tout à fait fini. C'est son duplicata masculin, la promesse d'un amour enfin durable, et au
reste de suivre bon an mal an... Amro Hamzawi peut nous quitter sur un
plan final sublime, à ajouter sans plus tarder à la collection des One
Perfect Shot, nous montrant sa sœur, aux côtés de son nouvel ami,
remonter son quartier si vivant de Paris, sous la lumière pleine de
promesse du bon matin, avançant le pas décidé vers un avenir plus
radieux et serein. J'en avais les larmes, je vous jure !
Éléonore d'Amro Hamzawi avec Nora Hamzawi, André Marcon, Julia Faure et Dominique Reymond (2020)
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