4 janvier 2020

The Beach Bum

Il a quelque chose ce film... Une aura, peut-être. Celle de Moondog, ce personnage complètement déjanté que l'on ne quitte pas d'une semelle, joué par un grand Matthew McConaughey. The Beach Bum est un poème destroy, trash, craignos, qui ne pourra pas plaire à tous et qui a moi-même failli me perdre. Je ne m'attendais pas à ça. A vrai dire, je ne m'attendais à rien du tout. J'ai lancé ce film vierge du moindre a priori, j'ai chassé de ma mémoire son affiche très moche et j'ai simplement laissé sa chance à ce que je savais tout juste être un stoner movie signé Harmony Korine. "Stoner movie", ça ne me dit jamais rien qui vaille, moi qui n'ai pas besoin d'un film pour être naturellement dans le gaz et en apprécier les vertus. Je ne savais donc pas du tout si j'allais tenir jusqu'au bout, n'étant d'ordinaire pas spécialement friand de ce genre de trip. Sauf que The Beach Bum m'est apparu comme une très agréable parenthèse enfumée de 90 minutes qui nous propose donc de suivre les pas chancelants du dénommé Moondog (Matthew McConaughey), un poète à la réputation flatteuse qui vit, tel un clodo, dans la débauche et la luxure, sur les plages de Floride. Alors que l'on pourrait s'attendre à ce que le scénario se contente de suivre les pérégrinations sous influence de son imprévisible personnage principal et ne finisse par nous perdre petit à petit, le film parvient de justesse à trouver un fil conducteur assez solide et trouve d'emblée une espèce de rythme envoûtant qu'il tiendra jusqu'au bout. Suite à la mort accidentelle de sa richissime compagne (Isla Fisher), Moondog se voit contraint de boucler enfin son nouveau livre pour espérer pouvoir continuer sa vie de pacha et éviter de passer son temps en centre de désintox ou en taule.




Éloge de l'oisiveté, de l'hédonisme, de l'insouciance et de la recherche du plaisir immédiat, résumez-ça comme vous voulez, The Beach Bum ne se limite pas pour autant à être une petite chose inconséquente, un peu débile et seulement divertissante. Car Harmony Korine atteint effectivement une certaine poésie, en ne perdant jamais de vue sa ligne de conduite et en filmant tout cela avec une fluidité épatante (il s'appuie aussi sur les jolies couleurs captées par le chef opérateur Benoît Debie, avec lequel il avait déjà collaboré pour Spring Breakers). Fort d'une bande son aux petits oignons, le film trouve également une musicalité bien à lui, avec ces ambiances, ces musiques, ces échanges qui s'enchaînent et se chevauchent, dans un courant continu qui nous permet de le suivre avec plaisir. Le montage parfois anarchique choisi par Harmony Korine participe pour beaucoup à l'effet comique de certains dialogues, de certaines scènes, ainsi qu'à la drôle d'énergie du film. L'important, ici, c'est le rythme, le flow, sans pour autant que celui-ci soit trop soutenu ou nerveux, non, c'est en douceur que le cinéaste nous embarque dans les délires et les dérives de Moondog. Ces qualités formelles indéniables nous amènent à penser qu'il est franchement désolant qu'un tel film n'ait pas été distribué en salles par chez nous, elles le rehaussent au-delà du simple stoner movie trop con trop bon, de la farce nawak qui sent bon la fumette. Cela, et la consistance que finit par trouver le beach bum, le clochard des plages campé par un génial Matthew McConaughey.




Car ce qui m'a surtout emballé là-dedans, c'est la tendresse du regard que porte Harmony Korine sur son personnage principal et tous ces marginaux hauts en couleurs. Aucune sorte de jugement moral n'est porté sur ce type en roue libre, totalement débridé, ni sur les énergumènes chelous et plus ou moins fréquentables qui l'entourent et l'accompagnent le temps d'aventures cocasses ou de divagations sans fin. Malgré tous les excès auxquels Moondog se livre, celui-ci n'en demeure pas moins crédible, cohérent, attachant, amusant. Dans mon esprit, c'est pour ce rôle-là que Matthew McConaughey a été récompensé d'un Oscar et pour aucun autre. L'acteur réussit à trouver la juste place. Il parvient même à rendre son personnage touchant quand, vers la fin du film, celui-ci se livre à un chouette et inattendu monologue introspectif et explique sa vision atypique de la vie à un journaliste médusé. Il se décrit notamment comme un "paranoïaque inversé", convaincu que le monde entier conspire pour son propre bien. McConaughey a beau être omniprésent, puisqu'on lui colle aux basques du premier au dernier plan, jamais il n'éclipse ses partenaires, bien au contraire, il leur permet de briller, avec son air ahuri et ses ricanements idiots qui s'avèrent terriblement contagieux et ponctuent leurs tordantes conversations.




La galerie de personnages secondaires vaut vraiment le détour et je pense d'abord à Martin Lawrence, tout simplement énorme dans le rôle d'un capitaine de bateau obnubilé par les dauphins qui propose à de malheureux touristes des excursions au grand large pour aller à leur rencontre, ce qui nous vaut le passage le plus débile du film (que j'avoue m'être repassé en boucle...). Zac Efron, en compagnon de cure ingérable et allumé dont l'arrivée correspond au virage définitivement comique pris par le film, Snoop Dogg, amant de la femme de Moondog mais néanmoins lié à ce dernier par une espèce de loyauté et d'amitié à toute épreuve, ou encore Donovan Williams, en pilote rasta aveugle à 99% : tous apportent leurs pierres à ce curieux édifice et contribuent à faire de The Beach Bum une série de belles rencontres. Seul Jonah Hill, dans le rôle de l'agent de Moondog, en fait peut-être un peu trop, donnant l'impression d'être le premier spectateur amusé de ses propres improvisations, mais on ne lui en veut pas une seconde. Tous ces éléments forment un ensemble étonamment plaisant et, à coup sûr, l'un des films les plus drôles que j'ai vus l'an passé. Et aussi l'un des plus doux. 


The Beach Bum de Harmony Korine avec Matthew McConaughey, Isla Fisher, Jonah Hill et Snoop Dogg (2019)

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