20 mars 2019

Triple frontière

Après Margin Call, qui s'intéressait aux coulisses de la crise financière de 2007, All is Lost, métaphore aquatique d'une société capitaliste à la dérive, et A Most Violent Year, qui nous dépeignait la chute d'un entrepreneur mafieux obnubilé par ses rêves de grandeurs, voici donc donc la nouvelle démonstration, par l'absurde, des vilains tours que peut jouer la cupidité, signée J.C. Chandor. Cette fois-ci, le réalisateur cherche à nous scotcher à nos fauteuils en nous livrant un film d'action et d'aventure, à l'ancienne, mettant en scène des mercenaires, des soldats, des hommes de terrain, réunis pour une ultime mission, avec du Metallica en fond sonore pour les accompagner. Le casting musclé annonce lui aussi la couleur. Ben Affleck, Charlie Hunnam... Ils ne sont pas connus pour leur talent de comédien, certes, mais ils peuvent sortir les muscles si besoin. Dans le premier rôle, on retrouve un habitué du cinéaste, Oscar Isaac, qui parvient à convaincre toute la petite bande de mener une opération commando dans la zone dite de la « triple frontière » (quelque part en Amérique du Sud). Leur mission : braquer la résidence surprotégée du narcotrafiquant qui règne en maître sur la région pour mettre à mal son petit commerce et, accessoirement, lui dérober son important pactole. Lors de ladite opération, la découverte d'un magot encore plus impressionnant que prévu va perturber nos hommes qui, préparés à tout sauf à ça, vont faire n'importe quoi pour emporter un maximum de dollars à la maison. Ce sont des débiles profonds.




Ramener tout cet argent au pays d'Oncle Sam s'avèrera bien plus compliqué que prévu, d'abord en raison de son poids considérable, mais aussi de la géographie et de la population locale... On devrait tenir là le prétexte à un grand film d'action quasi existentiel qui pourrait par exemple nous rappeler le génial Sorcerer de William Friedkin. On pourrait très bien ne pas s'attarder sur des détails, faire fi de la cohérence du scénario et même fermer les yeux sur les agissements idiots des personnages. Si, et seulement si, le film dépassait cela en nous saisissant par son intensité et son suspense. Or, ça n'est pas vraiment le cas... Passé une longue mise en place, étonnante par les temps qui courent, durant laquelle J.C. Chandor nous présente ces gaillards tous plus cons les uns que les autres (la palme revenant encore une fois à Ben Affleck, ridicule en soi-disant stratège de l'équipe dont les tactiques se résument le plus souvent à proposer de "foncer dans le tas", avec un petit sourire en coin, fier de sa trouvaille), la deuxième partie du film se consacre pleinement au récit linéaire de leurs mésaventures, sans temps mort. Là où d'autres devaient traverser la jungle dans des camions remplis de nitroglycérine, Ben Affleck et ses copains essaient lamentablement de traverser la Cordillère des Andes avec environ trois tonnes de dollars sur le dos et quelques poursuivants revanchards aux trousses. Malheureusement, J.C. Chandor ne s'appelle pas William Friedkin, loin s'en faut !




C'est tout de même dommage que ces personnages soient si nuls et méprisables. On se moque éperdument de ce qui peut bien leur arriver. On rigole et on est déçu quand l'un d'eux manque de justesse d'être emporté par la chute pathétique d'une mule transportant sur une corniche des sacs remplis de billets. Il faut dire qu'ils ne sont pas aidés par des acteurs au jeu très stéréotypé, qui n'embellissent pas là leurs CV, tout comme J.C. Chandor. Après un polar qui avait été très (trop !) bien accueilli à sa sortie, le cinéaste fait un bond en arrière. Lui qui faisait partie de ces jeunes cinéastes américains en vogue et considérés comme prometteurs signe là un long métrage très brouillon et mal fagoté. Les scènes d'action, si l'on peut voir bien pire chaque semaine sur grand écran dans ces films de super-héros minables, ne sont vraiment pas terribles. Le périple de notre troupe d'élite du dimanche passe pratiquement pour une randonnée ma foi assez tranquille, où l'on ne craint ni le froid ni la faim. Le scénario, aux trous béants et aux raccourcis bien faciles, ne sert en rien la nouvelle illustration des dangers de l'appât du gain par J.C. Chandor, même si l'on peut saluer le fait que ce cinéaste ait au moins un leitmotiv clair...




Au bout du compte, si Triple frontière se mate sans grande difficulté et ne constitue pas franchement un mauvais moment à passer, il n'en demeure pas moins un Expendable à peine amélioré, qui se croit bien plus beau et malin qu'il ne l'est vraiment ("Je ne me sens bien qu'avec un flingue entre les mains" reconnaît, lors d'un de ses rares moments de lucidité, un Ben Affleck au sommet de son acting). Une preuve supplémentaire que ça n'est jamais tout à fait un hasard quand le nouveau film d'un réalisateur qui a le vent en poupe finit sur Netflix. Cela cache très souvent quelque chose. En général, un film raté et voué à l'oubli. Évidemment, si l'on compare à la moyenne des trucs dispos sur la plateforme VOD, on se situe là dans le haut du panier, à l'aise. Mais tout est relatif, n'est-ce pas... Et, en l'état, Triple frontière comptera autant dans l'année cinématographique 2019 que le pet fumeux d'un petit animal malade dans l'atmosphère terrestre. 


Triple frontière de J.C. Chandor avec Oscar Isaac, Ben Affleck, Charlie Hunnam et Adria Arjona (2019)

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