7 juillet 2018

Paranoïa

C'est peut-être lorsqu'il se montre humble et sans grands moyens que Steven Soderbergh devient le plus aimable. Unsane, platement réintitulé Paranoïa par chez nous et accompagné d'une triste affiche de série b, est un petit film sans prétention que le cinéaste américain a tourné dans le secret, qu'il a sans doute rapidement torché mais qui figure à coup sûr parmi ce qu'il a produit de mieux. Précisons au cas où que le réalisateur palmé d'or pour Sexe, Mensonges et Vidéo n'a jamais vraiment eu la côte par ici, on aime même tout particulièrement s'en moquer, lui qui nous a si souvent offert sur un plateau le bâton pour se faire démonter. Ça n'est pas le cas ici. Quoique... Son choix de filmer avec un iPhone 7, régulièrement posé en coin de table et pourvoyeur d'effets fish-eye rebutants, fait parfois tiquer, il faut bien l'avouer. Mais, globalement, Unsane a une allure singulière, avec cette caméra embarquée, cette image assez contrastée et ces couleurs délavées qui donnent au film des airs de documentaires tout à fait bienvenus étant donné le sujet traité. La mise en scène de Soderbergh est fluide et dynamique et se permet quelques expérimentations bienvenues qui rappellent un peu le génial Seconds de John Frankenheimer. Elle colle souvent au plus près de son actrice principale, l'irréprochable Claire Foy, dont les yeux bleus fatigués, un peu exorbités, la mine naturellement inquiète et l'allure vulnérable siéent parfaitement à ce personnage harcelé et coincé. La britannique campe Sawyer Valentini, une jeune femme en proie à un stress terrible, au boulot comme chez elle, qui décide donc de se rendre d'elle-même chez une thérapeute. Celle-ci l'oriente vers une institution psychiatrique où elle se retrouvera internée contre sa volonté, d'abord pour 24h puis une semaine, la durée de sa mise en observation s'allongeant à mesure que sa peur d'être poursuivie par son harceleur progresse...




Steven Soderbergh joue en réalité sur deux tableaux, et il faut reconnaître qu'il réussit pas trop mal sur chacun d'eux. Son film se présente d'abord comme un thriller paranoïaque efficace et glaçant, dans lequel nous apprenons que des centres psychiatriques internent des personnes contre leur gré afin d'aspirer tout l'argent de leur assurances santé. Quand l'assurance est à sec, le "patient" est considéré soigné et peut repartir, et ainsi de suite. Cette idée paraît terriblement crédible et participe à donner aux films cet aspect de faux documentaire avec caméra infiltrée dans l'une de ces institutions super glauques. Steven Soderbergh aurait peut-être mieux fait de se consacrer encore davantage à ce versant-là et y aller à fond dans le côté "thriller paranoïaque" nous révélant un complot gigantesque et révoltant. Car on y croit vraiment, et ça fait froid dans le dos. On se dit que c'est hélas bien probable, actuellement, que de telles organisations, de telles machinations, existent, pour se faire du fric sur le dos des plus vulnérables, derrière de pseudo établissements médico-sociaux. On a un peu de mal à croire, en revanche, que Sawyer Valentini, ce personnage très anxieux et méfiant, puisse rapidement signer un document donnant son accord pour être mise sous observation durant 24h, sans le lire et le relire de près, pour se prémunir de toute mauvaise surprise. Mais c'est un petit couac assez anodin, et puisque le suspense fonctionne, on n'en tient pas tellement rigueur à Soderbergh.




L'autre versant de son film est l'horreur, ou presque, disons le thriller pur et dur. Nous pourrions nous demander si le personnage principal fabule, si certaines choses que nous voyons bel et bien à l'écran ne sont pas issues de son imagination, tour de passe-passe bien connu, mais ces interrogations-là sont ici assez fugaces. Et pourtant, lorsqu'elle se rend compte qu'elle est internée contre son gré et qu'elle ne peut rien y faire, Sawyer se met à avoir un comportement agité, proche de celui que l'on peut attendre d'une personne effectivement dérangée. Le jeu impeccable de Claire Foy entretient ce trouble et l'ironie diabolique de sa situation nous fait un peu douter, mais pas trop. Progressivement, Steven Soderbergh choisit une voie plus terre-à-terre, s'aventurant quasiment dans l'horreur, un virage risqué mais qu'il gère assez bien, en asseyant la peur de son personnage principal, bel et bien victime d'un psychopathe au dernier degré. La dernière partie du film est ainsi plus convenue, plus classique, sans doute plus faible, mais elle n'oublie pas d'être assez tendue et nous sommes tenus en haleine comme il se doit. Au bout du compte, Unsane est un petit thriller paranoïaque pas mal du tout et une bonne surprise pour ceux qui, comme nous, sont toujours méfiants à l'égard du cinéaste. On se dit que ça aurait peut-être pu être encore mieux, en visant un peu plus haut, mais on s'en satisfait aussi, car c'est cette espèce d'humilité, de modestie, qui permet également au film d'être sympathique et divertissant, sans oublier, en outre, de développer en cours de route quelques idées réellement glaçantes... 


Paranoïa (Unsane) de Steven Soderbergh avec Claire Foy (2018)

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