Nous accueillons aujourd'hui le joliment pseudonymé Nick Longhetti, lecteur assidu et compagnon de route du blog, qui s'est proposé de nous et de vous parler d'un film de Blake Edwards :
Pour que le cinéma puisse prétendre à une fonction d’art majeur, il se doit de s’imprégner de motivations sociales mélioratives. La mise en scène doit être au service du récit. Blake Edwards n’est pas Billy Wilder ni même Ernst Lubitsch. Pourtant ce réalisateur de talent est un magnifique conteur. Il n’est pas l’initiateur de la comédie sociale mais il en est un bon continuateur. Le Jour du vin et des roses est un véritable pied de nez, un choc qu’il est difficile d’analyser. Un film profondément humain, profondément réaliste et surtout profondément moderne dans sa construction. Days of Wine and Roses ouvre des possibilités nouvelles de mise en scène : la simplicité, l’empathie, le détachement mais surtout le réel. Révélateur de son temps, ce film dissèque, déconstruit les affres de la modernité, de ses faux semblants et de ses réussites illusoires. La formulation de « possibilités nouvelles » peut paraitre présomptueuse mais il est indispensable de voir l’avance considérable de ce film et de son impact sur le cinéma mondial.
La distribution est excellente. Le choix de Jack Lemmon est magistral. Cet acteur de génie possède une palette de jeu véritablement complète. Il peut tout jouer. Chez Edwards, il personnifie la continuation du dogme de la comédie sociale : de l’humour, de la tristesse. Véritable bête de cinéma, il vampirise par sa bonté et son charme débonnaire nombre de scènes réussies. Il est très bien dirigé ce qui prouve également l’aisance manifeste de Edwards dans son rapport avec ses acteurs. Un Cassavetes qui s’ignore. Pour répondre à la bestialité d’un Lemmon, il fallait une figure féminine en apparence espiègle. Lee Remick sera l’élue. Remick représente l’idée d’une Amérique provinciale et inadaptée au changement. Aussi devient-elle vulnérable aux nombreux pièges de la ville, après avoir, de bonté de cœur, suivi son amoureux dans une terrible escapade. Les seconds rôles sont exceptionnels. Les personnages ont eux-mêmes leur propre blessure. Il serait un peu vain de tous les citer mais leur importance est réelle : ils sont la réponse de la société vis-à-vis de ce couple. Ils sont la conscience collective du bien et du mal. Protection et aide contre dépravation et compromission.
Le pitch est assez classique : une romance tragicomique sur fond d’alcool. Cependant son déroulement cinématographique est beaucoup plus élaboré. On peut délimiter Le jour du vin et des roses en deux parties : la première est une véritable comédie avec un petit fond de critique sociale, la seconde par contre détériore fortement l’ambiance joyeuse du début du film pour la faire basculer dans le tragique. La force du film est de ne pas faire ressentir au spectateur le désespoir des personnages. Mais plutôt de lui faire comprendre l’origine du mal de la boisson chez des êtres fragilisés. Dans son intitulé, Le Jour du vin et des roses contribue à lui donner une fonction pédagogique. Car il est vrai, nul fond de moralisme douteux mais simplement la représentation à la manière du documentaire, de la puissance du réel. Le récent Foxcatcher de Bennett Miller et le classique Citizen Kane du sorcier Orson Welles, à des degrés divers, s’inscrivent dans cette lignée. Sunset Boulevard de l’ami Wilder était un film plus ambitieux, très drôle mais moins « docufiction ». Que les admirateurs de Billy se reprennent : il n’est pas question de comparer un film aussi parfait que Sunset Boulevard, il est juste utile de rappeler que du point de vue innovation, Edwards a lui aussi apporté sa pierre à l’édifice d’un cinéma ancré dans les perspectives de son temps.
Ce papier est une invitation. Découvrir un film plébiscité par la critique mondiale mais un peu oublié en France. Pour réellement s’imprégner de son ambiance unique, il est judicieux de ne pas trop exposer les épisodes qui jalonnent le film, tous plus puissants les uns que les autres. On retiendra par nécessité une scène particulièrement émouvante où un Lemmon à l’agonie déclare à sa dulcinée devant un miroir qu’ils doivent se refaire… Certes il restera sans doute très longtemps dans l’oubli dans notre beau pays, certes il y a eu avant lui et il y aura après lui des films meilleurs mais Le Jour du vin et des roses a un charme particulier : celui de l’honnêteté et du respect du genre humain.
Pour que le cinéma puisse prétendre à une fonction d’art majeur, il se doit de s’imprégner de motivations sociales mélioratives. La mise en scène doit être au service du récit. Blake Edwards n’est pas Billy Wilder ni même Ernst Lubitsch. Pourtant ce réalisateur de talent est un magnifique conteur. Il n’est pas l’initiateur de la comédie sociale mais il en est un bon continuateur. Le Jour du vin et des roses est un véritable pied de nez, un choc qu’il est difficile d’analyser. Un film profondément humain, profondément réaliste et surtout profondément moderne dans sa construction. Days of Wine and Roses ouvre des possibilités nouvelles de mise en scène : la simplicité, l’empathie, le détachement mais surtout le réel. Révélateur de son temps, ce film dissèque, déconstruit les affres de la modernité, de ses faux semblants et de ses réussites illusoires. La formulation de « possibilités nouvelles » peut paraitre présomptueuse mais il est indispensable de voir l’avance considérable de ce film et de son impact sur le cinéma mondial.
La distribution est excellente. Le choix de Jack Lemmon est magistral. Cet acteur de génie possède une palette de jeu véritablement complète. Il peut tout jouer. Chez Edwards, il personnifie la continuation du dogme de la comédie sociale : de l’humour, de la tristesse. Véritable bête de cinéma, il vampirise par sa bonté et son charme débonnaire nombre de scènes réussies. Il est très bien dirigé ce qui prouve également l’aisance manifeste de Edwards dans son rapport avec ses acteurs. Un Cassavetes qui s’ignore. Pour répondre à la bestialité d’un Lemmon, il fallait une figure féminine en apparence espiègle. Lee Remick sera l’élue. Remick représente l’idée d’une Amérique provinciale et inadaptée au changement. Aussi devient-elle vulnérable aux nombreux pièges de la ville, après avoir, de bonté de cœur, suivi son amoureux dans une terrible escapade. Les seconds rôles sont exceptionnels. Les personnages ont eux-mêmes leur propre blessure. Il serait un peu vain de tous les citer mais leur importance est réelle : ils sont la réponse de la société vis-à-vis de ce couple. Ils sont la conscience collective du bien et du mal. Protection et aide contre dépravation et compromission.
Le pitch est assez classique : une romance tragicomique sur fond d’alcool. Cependant son déroulement cinématographique est beaucoup plus élaboré. On peut délimiter Le jour du vin et des roses en deux parties : la première est une véritable comédie avec un petit fond de critique sociale, la seconde par contre détériore fortement l’ambiance joyeuse du début du film pour la faire basculer dans le tragique. La force du film est de ne pas faire ressentir au spectateur le désespoir des personnages. Mais plutôt de lui faire comprendre l’origine du mal de la boisson chez des êtres fragilisés. Dans son intitulé, Le Jour du vin et des roses contribue à lui donner une fonction pédagogique. Car il est vrai, nul fond de moralisme douteux mais simplement la représentation à la manière du documentaire, de la puissance du réel. Le récent Foxcatcher de Bennett Miller et le classique Citizen Kane du sorcier Orson Welles, à des degrés divers, s’inscrivent dans cette lignée. Sunset Boulevard de l’ami Wilder était un film plus ambitieux, très drôle mais moins « docufiction ». Que les admirateurs de Billy se reprennent : il n’est pas question de comparer un film aussi parfait que Sunset Boulevard, il est juste utile de rappeler que du point de vue innovation, Edwards a lui aussi apporté sa pierre à l’édifice d’un cinéma ancré dans les perspectives de son temps.
Ce papier est une invitation. Découvrir un film plébiscité par la critique mondiale mais un peu oublié en France. Pour réellement s’imprégner de son ambiance unique, il est judicieux de ne pas trop exposer les épisodes qui jalonnent le film, tous plus puissants les uns que les autres. On retiendra par nécessité une scène particulièrement émouvante où un Lemmon à l’agonie déclare à sa dulcinée devant un miroir qu’ils doivent se refaire… Certes il restera sans doute très longtemps dans l’oubli dans notre beau pays, certes il y a eu avant lui et il y aura après lui des films meilleurs mais Le Jour du vin et des roses a un charme particulier : celui de l’honnêteté et du respect du genre humain.
Le Jour du vin et des roses de Blake Edwards avec Jack Lemmon, Lee Remick, Charles Bickford et Jack Klugman (1962)
Merci Nick de revenir sur ce film bouleversant, aussi beau que son titre — ce qui n'est pas peu dire. Ton choix de ne pas déflorer ses grands moments est méritoire, car pour ma part je n'aurais sans doute pas résisté au désir de raconter le point de départ, en lui-même excellent, du drame qui est au principe du film (même s'il faut porter le crédit de cette excellente idée au scénariste du téléfilm, antérieur de quelques années, qui racontait la même histoire).
RépondreSupprimerSi tant est que cela puisse intéresser qui que ce soit, j'ai à quelques reprises fait part ici même de mes réserves (extrêmement relatives, mais réelles) à l'égard du cinéma de Billy Wilder, alors que je n'en ai absolument aucune à l'égard de celui de Lubitsch, mais il y a indéniablement un « axe » Lubitsch-Wilder-Edwards, et le Jack Lemmon du présent film doit sans doute quelque chose à celui de 'La Garçonnière' de Wilder. Pour autant, de même que je suis plus réellement touché par 'Le Jour du vin et des roses' que par 'La Garçonnière', je préfère de très loin le film d'Edwards au 'Poison' de Wilder, autre film antérieur de ce dernier traitant lui aussi de l'alcoolisme (ça vaut ce que ça vaut, mais en dehors même des malignités wilderiennes qui m'ont toujours un peu agacé, on peut avancer qu'Edwards était plus intimement touché par le sujet).
(Ceci étant dit, Wilder n'a lui-même pas inventé de toutes pièces la « persona » cinématographique de Jack Lemmon. Celle-ci était déjà en germe dans 'Une femme qui s'affiche', une comédie épatante réalisée par George Cukor en 1954 dont le point de départ — une jeune femme fraîchement arrivée à New York qui, afin de sortir de l'anonymat, loue un panneau publicitaire pour que son nom y figure en lettres géantes — était lui aussi formidable. Lemmon y jouait le jeune documentariste qui tombait amoureux de l'inénarrable Judy Holliday tout en déplorant son arrivisme, aussi désarmant d'innocence fût-elle.)
La musique de Henry Mancini n'est pas pour rien dans l'émotion du 'Jour du vin et des roses' (bien que moins célébré que d'autres, Edwards et Mancini ont formé l'un des plus beaux duos cinéaste-compositeur). C'est devenu un standard du jazz que pour ma part je connaissais avant d'avoir vu le film par une belle version d'Oscar Peterson (beaucoup plus enjouée que celle, très mélancolique, qu'on entend dans le film) :
www.youtube.com/watch?v=1ypoE5YB8hc
Enfin, après ce trop long développement à partir du texte de Nick (mais c'est de ta faute, aussi, tu m'as remis en tête ce 'Jour" tant aimé !), je me permets de faire le lien avec un film contemporain de celui d'Edwards, lui aussi assez méconnu en France et réalisé par son complice Richard Quine, sécrétant une émotion comparable sur certains points, il me semble :'Liaison secrète' ('Strangers When We Meet', 1960), avec Kim Novak, Kirk Douglas et Walter Matthau.
Je ne vois pas de quel film vous parlez dans cet article. Avez-vous vu Mad Max? Il est énorme!
RépondreSupprimerSi tu as aimé tant mieux :)
RépondreSupprimerEn effet ,Le Jour du vin et de la nuit semble un peu meilleur que Le Poison de Wilder. J'avais été énormément déçu par ce film qui avait par ailleurs énormément la côte aux USA.
Je comprends ta réaction, sincère qui plus est, mais je dois admettre à mon humble avis que Wilder malgré quelques films mineurs et un peu mielleux a une petite longueur d'avance sur Edwards. Non pas que je puisse préférer Billy à Blake mais en observant le déroulé de leurs carrières respectives il est très difficile à mon sens de les mettre au même niveau. La Garçonnière est un véritable chef d'œuvre , Days of wine and roses s'en rapproche un peu.
Merci pour le rappel sur le cas Lemmon. On a tendance à l'oublier. Malgré ses nombreuses apparitions chez Wilder , il n'en est pas sa créature unique même si cet acteur est quand même l'un de ses modèles préférés.
Je n'avais pas évoqué la musique du film car je voulais me baser sur les éléments les plus simples du film. Evidemment le thème musical est un classique mais je ne suis pas assez spécialiste pour en parler. je ne connaissais pas ce film de Quine par ailleurs
Bien qu'il soit, comme tu le remarques, tout à fait sincère (pas du tout dû à un dandysme cinéphile qui chercherait à faire passer le « mineur » avant le « mineur » — 'The Major and the Minor', c'était d'ailleurs le titre du premier film américain de Billy Wilder !), je ne chercherai nullement à imposer mes réserves à l'égard de Wilder : disons que c'était plutôt une occasion pour moi de dire à quel point certains films d'Edwards (pas tous, mais plusieurs d'entre eux) comptent pour moi.
RépondreSupprimerEn ce qui concerne la musique, je ne suis pas plus spécialiste que toi, particulièrement du point de vue technique, mais quand j'ai vu 'Le Jour du vin et des roses' pour la première fois j'ai été frappé par le fait que ce thème musical, que je ne connaissais auparavant que dans la version formidablement swinguante d'Oscar Peterson, ait pu être à l'origine aussi romantique, et même élégiaque : Mancini a tellement le jazz dans la peau que même ceux de ses thèmes qui paraissent éloignés de ce genre musical prêtent à une réinterprétation de cet ordre.
Un certain cinéma romanesque des années 1960 a d'ailleurs donné lieu à plusieurs reprises à des thèmes musicaux très émouvants : les compositions de Kenyon Hopkins pour 'Le Fleuve sauvage' et de David Amram pour 'La Fièvre dans le sang' — deux films successifs d'Elia Kazan —, de Johnny Mandel pour 'Le Chevalier des sables' de Vincente Minnelli (devenue elle aussi un « standard » de jazz), jusqu'à celle, en 1971, de Michel Legrand pour 'Un été 42' de Robert Mulligan.
En taille ? Combien de gigas ?
RépondreSupprimerUn max !
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