6 janvier 2015

Fidelio, l'odyssée d'Alice

Ce beau premier film raconte l'histoire d'Alice (Ariane Labed), mécanicienne sur un immense cargo vieillissant, le Fidelio. Elle y est engagée pour un remplacement de quelques mois suite au décès mystérieux du mécano précédent. Elle laisse à terre son fiancé Félix (Anders Danielsen Lie, le héros de Oslo, 31 août), et retrouve à bord son ancien amant, le capitaine du bateau, Gaël (Melvil Poupaud, dont la présence évoque celle de Gaspard, le héros de Conte d'été d'Eric Rohmer, qui aurait vieilli et pris le large).

Le renversement du schéma habituel des histoires de marin (ici, c'est la fille qui part et le garçon qui attend), et l'immersion d'Alice dans un univers strictement masculin sans qu'on ne tombe dans la lourdeur initiatique (Alice est ici dans son milieu, parfaitement à l'aise dès le départ) ni que le personnage ne soit assimilé à un garçon manqué, donnent au récit une belle richesse narrative et thématique, et lui font éviter tous les pièges.




Le film est avant tout très fort dans sa peinture strictement documentaire de la vie dans le cargo, machine immense et effrayante, particulièrement ses salles des machines et son moteur, énorme bête à dompter et métaphore discrète de la « mécanique des sentiments » qui tourmente et anime Alice.  Les hommes (et la fille) alternent missions dangereuses et moments de détente, voire de lâcher-prise total, à bord ou lors des escales. Beaucoup de ces scènes sont très drôles mais aussi révélatrices d’une certaine mélancolie, la liberté offerte par cette vie de marin semblant aussi euphorisante qu’illusoire. Lucie Borleteau parvient à construire un équipage hétéroclite, reflet d’une société mondialisée dont tous les membres sont très bien incarnés, jusqu'aux techniciens philippins à qui une vraie place est donnée au gré de très belles scènes à portée spirituelle.




Mais l'essentiel du film réside dans le personnage d'Alice, à la fois entière et mystérieuse, et dans l’interprétation énergique et subtile qu'en donne la belle Ariane Labed. A travers elle le film brasse beaucoup de questions sur l'amour, le désir, l'engagement, le souvenir, le rêve et les fantasmes, et vient greffer à sa force documentaire et réaliste de très belles idées visuelles sur le plus grand (l'océan, le bateau) comme le plus petit (un visage, des bouts de peau... les scènes d'amour sont nombreuses et très réussies, à la fois intenses, simples et joyeuses), dans les deux cas magnifiés par le format scope. Fidelio, l’odyssée d’Alice est donc tout à la fois un portrait de femme d’une désarmante simplicité et d’une belle douceur, mais aussi une œuvre au souffle romanesque et épique étonnant, particulièrement remarquable dans le jeune cinéma français actuel.


Fidelio, l'odyssée d'Alice de Lucie Borleteau avec Ariane Labed, Melvil Poupaud et Anders Danielsen Lie (2014)

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