De Mike Nichols je n'avais vu jusqu'ici que les films les plus célèbres : Le Lauréat bien-sûr, son chef-d’œuvre, puis ses films populaires du début des années 90, la comédie Working Girl, le drame A propos d'Henry, la comédie dramatique Wolf, avec Jack Nicholson transformé en loup-garou aux babines écumantes devant Michelle Pfeiffer. Et puis beaucoup plus récemment il y a eu Closer, entre adultes consentants, film assez vulgaire qui avait pour seul mérite de montrer Natalie Portman en string at her seductive best, et, dernier film en date du réalisateur, l'excellent La Guerre selon Charlie Wilson, film historique et politique, court, efficace, engagé et instructif. Curieux d'en savoir un peu plus sur la carrière du cinéaste et alléché par un casting masculin intriguant, j'ai découvert tout récemment Carnal Knowledge (sorti sous le titre "Ce plaisir qu'on dit charnel" en France), le cinquième film de Mike Nichols, réalisé en 1971, dans cette période plus creuse pour le réalisateur, entre Le Lauréat de 67 et son retour en grâce au box-office dans les années 80, époque où il peinait à rencontrer le succès en salles.
Carnal Knowledge n'est toujours pas aujourd'hui un film très connu, c'est pourtant une œuvre sympathique, parfois drôle et toujours intéressante. On y retrouve la patte Nichols puisque le film raconte le parcours de deux amis à travers les âges et au fil de l'évolution de leur rapport aux femmes. D'abord étudiants lambdas dans les années 50, partageant une chambre et passant tout leur temps ensemble à débattre sur ces dames pour palier leur désir immense d'enfin dévoiler le mystère féminin, puis jeunes adultes aux parcours différents, l'un marié, l'autre courant les jupes, et enfin adultes confirmés au début des 70s, prêts à faire le point sur leurs échecs et leurs relatives réussites. On pense au Lauréat pour le portrait des jeunes étudiants en fin de cycle prêts à perdre leur pucelage pour découvrir la réalité du sexe et du rapport amoureux. On retrouve dans les rôles principaux Art Garfunkel, du célèbre duo Simon and Garfunkel qui signa la bande-originale du Lauréat, et Jack Nicholson, un acteur fétiche pour Nichols, qui en fit plus tard la star de son fameux Wolf. Et, toujours dans la liste des marques de fabrique du réalisateur, le scénario et la liberté de ton sur les questions sexuelles et sur les difficultés à vivre en couple évoquent bien sûr Closer, même si le film est infiniment plus fin que ce dernier.
La première partie de Carnal Knowledge est peut-être la meilleure, c'est en tout cas sinon la plus "légère" en tout cas la moins cruelle, où nous voyons Nicholson et Garfunkel, dans les rôles de Jonathan et Sandy, discuter sans fin, dans leur chambre, dans la rue, à la fac, à propos des femmes et de leurs progrès respectifs dans la conquête de l'impossible. Le générique d'ouverture du film laisse entendre en voix-off une conversation sur la femme idéale, "intelligente, douce, grande, avec des gros nichons, souriante aussi, mais surtout avec des gros nichons", discussion que les deux compères semble partager depuis leurs lits respectifs (où nous les retrouverons régulièrement plus loin dans le film), tard la nuit, à voix presque basse, et qui ne manquera pas de rappeler beaucoup de souvenirs aux spectateurs mâles du film. En tout cas cette introduction m'en a personnellement rappelé énormément et de très bons, aussi ai-je immédiatement associé l'interprétation des deux acteurs en voix-off à un certain décor et à une certaine heure de la nuit, à un contexte que j'ai bien connu fut un temps. Puis la comédie devient "douce-amère" lorsque Sandy (Garfunkel) sort avec une jeune femme magnifique, Susan (Candice Bergen), puis raconte ses aventures à son meilleur ami qui part aussitôt courtiser la même fille et parvient à sortir avec elle aussi, sans que l'autre ne soit au courant. Le personnage de Susan, dont les raisons et les sentiments ne sont jamais directement évoqués et qui se révèle d'autant plus mystérieuse, contribue à rendre le premier tiers du film particulièrement passionnant, notamment grâce à des scènes comme celle, marquante, où Susan pleure au téléphone avec Jonathan, qui l'exhorte à tout révéler de leur union à un Sandy doublement trompé, ou celle, étonnante, où Nichols filme uniquement la jeune femme lors d'un repas au restaurant avec ses deux amants maintenus hors-champ, riant longuement et aux éclats à des blagues en séries que nous n'entendons pas. Le ballotage de Susan et le déchirement lentement consommé avec l'un des deux hommes (avec les deux en réalité, même s'il n'est officiel qu'avec un seul et se transforme en mariage malheureux avec l'autre) font alors pencher la comédie vers le drame pur et dur.
L'amertume se ressentira plus encore dans la troisième partie du film, rapidement concentrée sur le trajet de Jack Nicholson qui a abandonné Susan à Sandy et courtise énormément de filles puis raconte ses exploits à son ami marié, rangé des voitures, que le cinéaste semble ne plus suivre précisément parce qu'il n'a rien à vivre. C'est d'ailleurs une force narrative du film : on a beau ne pas suivre une seule seconde le parcours de Sandy, ne pas même en entendre parler, les rencontres des deux protagonistes au restaurant ne tournant qu'autour des récits érotiques de Jonathan que son acolyte casé écoute passivement, on imagine néanmoins les scènes de la vie conjugale de ce couple sans histoires qu'il forme avec Susan, la routine et le train-train, on voit les lectures au coin du feu et les repas silencieux que Nichols ne filme pourtant jamais, le cinéaste parvenant par là même et paradoxalement à étendre la fiction bien au-delà de frontières désormais resserrées. Plus tard Nicholson s'installe avec l'une de ses conquêtes, playmate aux énormes obus, qui tâche de lui mettre le grappin dessus et le regrettera vite quand elle sera devenue femme au foyer, sans projection sociale et sans envies, puis sans vie sexuelle ni désir. Nichols tourne alors une séquence de dispute assez géniale où il cadre l'actrice nue assise sur le lit juste au-dessus des seins pour qu'à chaque inspiration sa poitrine soulevée soit sur le point de surgir du bord inférieur du cadre et d'apparaître au spectateur hypnotisé. Le cinéaste crée une tension érotique réelle avec pas grand chose et surtout en ne montrant rien, érotisme qui dénote complètement avec la guerre que se mènent la playmate et Jack Nicholson face à elle. L'acteur, géant comme à son habitude, est emporté par sa verve et sa colère, qu'il crache à la face de sa femme, aveugle au corps de rêve de cette bombe sexuelle en puissance ; ou comment résumer à merveille le paradoxe du personnage, qui a aimé cette fille pour ses "gros nichons" (ceux-là même qu'il jugeait indispensables à la femme idéale au début du film) mais qui, même posté face à ce que le corps de sa femme a de plus beau à offrir, se retrouve insensibilisé par un quotidien blafard. Le couple éclate dans cette empoignade assez violente qui se termine avec l'arrivée de leurs invités, Sandy, depuis divorcé, et sa nouvelle compagne manifestement très détachée. Les deux amis de toujours se proposent alors d'échanger leurs femmes pour la soirée, afin de vivre quelque chose de stimulant, mais sans succès. Aux cadrages fixes très organisés et très composés de la première partie du film se substituent alors des mouvements de caméra plus lâches balayant les espaces où les personnages se querellent sans cesse, dans un appartement surcadré aux espaces délimités qui peut évoquer en mode mineur celui du Mépris. Le montage lui-même se veut plus délié, moins rassurant, plus moderne en somme, dévidant toujours la linéarité chronologique du récit mais sur la base d'ellipses nombreuses et non-soulignées qui donnent au spectateur le sentiment, bien de son époque, de la fuite du temps et de la perte de contrôle des personnages.
A la fin du film, après une séance de diapositives organisée par Nicholson où, désabusé, il passe en revue toutes les femmes de sa vie, les deux camarades, qui ne seront jamais restés fidèles que l'un à l'autre (encore que la tromperie s'en soit mêlée et que la divergence de trajectoires et de vues pollue leurs débats), marchent dans la rue et font le point sur leurs parcours pour élire le plus glorieux des deux, mais aucun ne parvient à convaincre l'autre, ni le spectateur du reste, assez dépité face aux échecs sentimentaux cuisants des personnages et au portrait assez inquiétant de la vie amoureuse dressé par Nichols dans ce film somme toute bien construit, certes inquiétant mais prévenant, qui donne à voir ce qu'il faut éviter à tout prix et par tous les efforts possibles sous peine de se réveiller à 50 ans avec une gueule de bois terrible, celle-là même qui semble terrasser Nicholson dans l'ultime séquence où il est réduit à fréquenter une pute récitant le scénario qu'il a scrupuleusement écrit pour elle dans l'espoir de parvenir encore à bander... Ni le mariage à l'ancienne avec un amour de jeunesse, ni la libération sexuelle battant son plein en ce début des années 70 n'aboutissent à un quelconque espoir de bonheur, et si Sandy émet l'hypothèse qu'il n'y a pas peut-être pas de plaisir à attendre d'une femme qu'on aime, Jonathan n'en trouve pas davantage auprès d'une playmate aux seins énormes ou d'une pute quelconque, à moins de faire jouer un rôle à cette dernière et de s'en remettre à un automatisme sexuel morbide pour fuir toute réalité des rapports humains sincères et véritables. Nichols ne propose aucun entre-deux et réalise un film d'un désenchantement total.
A la fin du film, après une séance de diapositives organisée par Nicholson où, désabusé, il passe en revue toutes les femmes de sa vie, les deux camarades, qui ne seront jamais restés fidèles que l'un à l'autre (encore que la tromperie s'en soit mêlée et que la divergence de trajectoires et de vues pollue leurs débats), marchent dans la rue et font le point sur leurs parcours pour élire le plus glorieux des deux, mais aucun ne parvient à convaincre l'autre, ni le spectateur du reste, assez dépité face aux échecs sentimentaux cuisants des personnages et au portrait assez inquiétant de la vie amoureuse dressé par Nichols dans ce film somme toute bien construit, certes inquiétant mais prévenant, qui donne à voir ce qu'il faut éviter à tout prix et par tous les efforts possibles sous peine de se réveiller à 50 ans avec une gueule de bois terrible, celle-là même qui semble terrasser Nicholson dans l'ultime séquence où il est réduit à fréquenter une pute récitant le scénario qu'il a scrupuleusement écrit pour elle dans l'espoir de parvenir encore à bander... Ni le mariage à l'ancienne avec un amour de jeunesse, ni la libération sexuelle battant son plein en ce début des années 70 n'aboutissent à un quelconque espoir de bonheur, et si Sandy émet l'hypothèse qu'il n'y a pas peut-être pas de plaisir à attendre d'une femme qu'on aime, Jonathan n'en trouve pas davantage auprès d'une playmate aux seins énormes ou d'une pute quelconque, à moins de faire jouer un rôle à cette dernière et de s'en remettre à un automatisme sexuel morbide pour fuir toute réalité des rapports humains sincères et véritables. Nichols ne propose aucun entre-deux et réalise un film d'un désenchantement total.
Ce Plaisir qu'on dit charnel (Carnal Knowledge) de Mike Nichols avec Jack Nicholson, Arthur Garfunkel, Candice Bergen et Ann-Margret (1971)
Ça a l'air rude mais génial ! J'ai méga envie de me le mater :D
RépondreSupprimerPS : pourquoi Harrison Ford dans les tags ?
Bien vu l'aveugle ! J'avais davantage développé sur les films de Nichols au début de l'article puis j'ai coupé pour pas faire trop long :)
Supprimercela ne me donne pas envie de le voir
RépondreSupprimerEh bien ne le vois pas.
SupprimerWolf, dans mon souvenir, c'est une belle daubasse.
RépondreSupprimerDans la filmographie de ce Michael Igor Peschkowsky, il y a vraiment de tout. Celui-ci me tente bien, pour y voir un festival Jack Nicholson et ce qu'il faut de nibards !
Wolf c'est typiquement le film de deuxième partie de soirée de TF1.
SupprimerMike Nichols avait déjà 73 ans quand il filmait le boulard endiablé de Natalie Portman, et 3 années de plus au compteur quand il s'attardait sur celui tout aussi sympathique d'Amy Adams.
RépondreSupprimerPas de retraite pour les queutards !
De ce même Mike Nichols, j'ai "The Day of the Dolphin" (1973) qui m'attend dans un coin depuis un bail. Je ne l'ai pas téléchargé pour lui, mais pour la présence au casting du génial George C. Scott, dans le rôle principal. J'ignorais même qu'il en était le réalisateur, jusqu'à il y a quelques instants. Je finirai par le mater et peut-être en dire deux mots !
RépondreSupprimerTrivia : Roman Polanski, qui devait initialement réaliser "The Day of the Dolphin", était en plein repérages en Angleterre, quand sa femme, l'actrice Sharon Tate, fut assassinée par « la Famille » de Charles Manson. :-[
Le titre ("The Day of the dolphin") fout les j'tons. Mate-le et tu nous diras ce que ça vaut. Nichols est capable du meilleur comme du pire, ou presque.
SupprimerC'est pour quand le prochain article? Vous deviez pas en publier un aujourd'hui ?
RépondreSupprimerCa me tente pas mal ! Un gros Nicholson en roues libres ça me rappelle Five Easy Pieces, tourné à peu près la même époque et où il était limite de cracher à la gueule de sa gonzesse aux gros nibards tel un Dieudonné en Patrick.
RépondreSupprimer