Du flan ! Ce film-là, c'est vraiment du flan. Et ça suffit à faire le buzz, à récolter des prix, à susciter des critiques enthousiastes... Cela me laisse songeur.
Boiling Point, transformé en un très plat
The Chef pour sa distribution en France, nous propose de passer une soirée dans la vie chaotique d'un restaurant londonien, à la veille de Noël. Le chef de cuisine (Stephen Graham) est un tocard pur jus, camé, fraîchement divorcé, mauvais père, on le prend en grippe très vite et on ne croit pas une seconde en ses prétendus talents de cuistot, encore moins quand on le voit furtivement dresser des assiettes quelconques avec la délicatesse d'un ours sous influence. Il est épaulé par une équipe dont chaque membre a sa petite particularité : il y a la française débutante et étourdie, le jeune pâtissier appliqué mais mal dans sa peau, la cuisinière quinquagénaire, expérimentée et maternelle, la latina en cloque, bouillonnante et débordée à la plonge, le grand black au rôle indéfini, qui n'en branle de toute façon pas une, la serveuse black sérieuse mais timide et victime de racisme, la serveuse blonde désinvolte et plus occupée à flirter avec le guignol du bar, le type doué et sûr à la préparation de la viande, la responsable de salle merdeuse et fille-à-papa-proprio-du-restau et, enfin, la seconde de cuisine au caractère bien trempé qui rattrape toutes les conneries du chef mais dont la patience, comme celle de pas mal de ses collègues, est bientôt épuisée. Tout ce beau monde est épinglé à la va-vite comme autant de clichés minables servis en brochette : le passage le plus gênant du lot étant celui où le pâtissier gringalet, auquel le chef demande de retrousser ses manches, finit par s'exécuter à contrecœur et donc par révéler ses cicatrices à l'avant-bras... Sa collège plus âgée et un brin émotive fond immédiatement en larmes et le prend dans ses bras, lors d'une scène au ridicule achevé, très représentative de la lourdeur du film.
Le programme de la soirée est forcément chargé avec, en guise de préambule glacial, la visite d'un inspecteur d'hygiène intraitable et imbuvable, puis la présence, parmi les clients, d'un père de famille xénophobe et tyrannique, d'une critique culinaire de premier plan, de l'ancien collègue rancunier du chef, d'une bande d'influenceurs instagram teubês venus manger un steak-frites, et d'un jeune couple amoureux dont la demande en mariage est prévue en cours de soirée... Bref, il y a de quoi faire, la tension est supposée être maximale et les enjeux sont d'emblée posés, il ne faudrait pas qu'on s'ennuie. Le but est vraiment de nous captiver et de nous fatiguer. Le pire est toujours certain et quand il nous est lourdement indiqué qu'une cliente (la future mariée !) est allergique aux noix, on se doute bien qu'elle finira aux urgences (tu parles d'une soirée foutue en l'air). On doit sortir de cette expérience le souffle court, avec la sensation d'avoir couru un marathon, d'avoir vraiment passé une soirée de folie dans les coulisses d'un grand restau. Une soirée vécue en temps-réel s'il vous plaît. Philip Barantini cherchant très fort à nous prendre en tenaille et à impressionner la galerie, il a donc filmé tout ça en un seul plan-séquence, histoire d'essayer de retranscrire au mieux l'intensité, l'agitation et l'ambiance de son triste restau, aussi bien en salle qu'en arrière-cuisine. Dans les faits, ce nouvel as de l'esbroufe a sans doute torché là ce qui figure aisément parmi les plans-séquences les plus longs et laids de l'histoire du cinéma. En optant pour un tel dispositif, c'est d'ailleurs presque un exploit de réussir à ne strictement jamais épater, même bêtement, même artificiellement, le spectateur avide d'audaces visuelles. Les mouvements de caméra ne sont jamais harmonieux, aucune impression de fluidité naturelle ne se dégage de l'ensemble tant tout est laborieux et moche. Cela a dû être pénible à mettre en place, c'est également pénible à regarder ! Le caméraman épouse piteusement les déplacements des différents personnages, leurs petits gestes stressés, interrompant souvent sa course sur un bout de comptoir, une poignée de frigo ou un four hideux, pour des moments qui nous laissent perplexe et où l'on en vient à regretter la miniaturisation des caméras que le progrès scientifique a rendu possible.
L'idée riquiqui du film aurait pu donner lieu à quelque chose de très simplement divertissant et plaisant à suivre : nous aurions pu passer d'une table à l'autre, au gré des allées et venues d'une caméra volatile, et connaître l'évolution des diverses situations en présence à différents stades de la soirée, passant ainsi d'une atmosphère à une autre, allant de surprises en déconvenues, au cours d'une courte épopée londonienne culinaire riche en contrastes et en péripéties. Le tout aurait pu être entrecoupé d'allers-retours en cuisine et nous rendre ainsi curieux et fasciné de découvrir l'envers du décor, avec l'impression grisante de saisir la réalité du travail des équipes et de la vie d'un tel établissement. D'une idée simple et d'un dispositif audacieux, propices à un résultat ludique et animé, Philip Barantini a donc accouché d'un film tape-à-l'œil, épuisant et d'une lourdeur infinie. Le plan final, le chef en PLS après avoir sniffé un rail de trop, est à l'image du naufrage global du projet et reflète notre état au terme de ce si vain spectacle. Un supplice. En interview, le réalisateur insiste sur le fait qu'il a une expérience de douze ans dans le milieu de la restauration. Cela nous fait une belle jambe tant l'authenticité revendiquée ne transparaît quasiment jamais à l'écran. De rapides recherches sur le parcours de cet énième charlot nous apprennent qu'il s'agit là d'une version longue, étirée jusqu'au point de rupture, de son premier court métrage à succès. Une information peu surprenante qui nous confirme que ces courts transformés en longs par des cinéastes, déjà en manque d'inspiration en début de carrière, sont de vraies plaies, des coups fourrés, qui, généralement, annoncent des filmographies mort-nées. Aucune prouesse dans ce film indigeste et m'as-tu-vu, si ce n'est celle de dégoûter à la fois de ce type de cinéma de petit malin, qui fait malheureusement encore un tabac, et de ce genre de restau à la mode, dont on aimerait pouvoir danser sur les cendres encore chaudes.
The Chef (Boiling Point) de Philip Barantini avec Stephen Graham et Vinette Robinson (2021)