22 mai 2022

Rapport confidentiel

Une suite de flashbacks s'enchaînant à un rythme assez soutenu et épousant différents points de vue nous révèlent progressivement comment un policier débutant a pu tuer une jeune collègue infiltrée dans le milieu de la drogue. Nous sommes au début des années 70 et le film de Milton Katselas cristallise les tensions de cette époque en nous dépeignant un New York poisseux et bouillonnant où la police est plus occupée à couvrir un scandale qu'à faire régner la justice dans des rues où la drogue et la prostitution sont omniprésentes. C'est donc un rapport confidentiel (le titre français du film, qui lui va plutôt bien, étant donné sa si modeste et injuste notoriété) dont nous avons l'impression d'éplucher chacune des pages en détail, du début de l'affaire, qui correspond à l'entrée dans la police de ce flic frêle et sensible, à sa résolution, c'est-à-dire les choix faits, dans le secret de grands bureaux à la lumière tamisée, par le chef de la police pour limiter ses conséquences, pour couvrir les failles et les incompétences des uns et des autres.


 

 
On peut d'abord craindre que le personnage au centre de l'intrigue, ce rookie au charisme inexistant qui apparaît d'emblée si fragile, ne soit un peu trop léger et transparent pour nous intéresser. Mais nous découvrons petit à petit la belle personnalité de cet ancien hippie qui reconnaît, face à ses interrogateurs, s'être engagé dans les rangs des forces de l'ordre pour faire plaisir à son père suite à la mort de son frère au Vietnam. Ce jeune flic, campé avec sensibilité par un Michael Moriarty très crédible, n'a pas peur d'afficher ses convictions et ses valeurs au collègue plus expérimenté qui lui est assigné, incarné par le sympathique Yaphet Kotto, et ses idéaux vont se confronter à la rude réalité. Nous percevons, sans que cela ait besoin d'être trop appuyé, le léger trouble qu'il ressent lorsqu'il rencontre la flic infiltrée, là encore solidement jouée par une charmante et énigmatique Susan Blakely. Ce personnage singulier prend donc peu à peu une vraie épaisseur et finira même par nous émouvoir, victime d'un monde impitoyable, lors d'un ultime plan cruel qui reste durablement en tête et achève de faire de ce Report to the commissioner une charge virulente contre la police et ses dérives. Milton Katselas semble également prendre la photographie d'une période : il nous montre sans chichi le racisme et la violence sous-jacente de la société américaine d'alors, avec le traumatisme, si prégnant, de la guerre du Vietnam, régulièrement évoquée dans les dialogues, et l'évocation explicite de la lutte pour les droits civiques des noirs. 


 

 
Le scénario, que l'on doit à deux spécialistes du polar (Abby Mann et Ernest Tidyman), est tiré d'un bouquin de James Mills, un type qui devait bien connaître l'ambiance du New York d'alors puisqu'il est également l'auteur du roman Panique à Needle Park à l'origine du mémorable film de Jerry Schatzberg avec Al Pacino. Ce scénar, c'est du costaud : il est assez subtil et jamais manichéen, mais aurait peut-être mérité d'être plus clair, plus explicatif, sur certains points, pour éviter que l'on suspecte la moindre incohérence. Le cinéaste donne l'impression de compter à fond sur la vigilance du spectateur, qui n'a pas intérêt à rater la moindre réplique s'il tient vraiment à comprendre le pourquoi du comment et à saisir chaque détail. Trois moments forts sortent du lot : une poursuite très originale entre un cul-de-jatte équipé d'une planche à roulettes et un taxi dans les rues bondées de la ville ; une autre course poursuite, cette fois-ci à pieds, depuis les toits des buildings jusqu'au hall d'un grand magasin, en passant là encore par les trottoirs surchargés de la métropole ; puis ce climax étonnant, long et tendu, claustrophobe... Il se déroule en bonne partie dans un ascenseur bloqué entre deux niveaux où flic et dealer se retrouvent face à face dans un des plus longs mexican standoff de l'histoire avant de devoir faire preuve d'une certaine solidarité puis d'être tous deux pris pour cible lors d'un final glaçant qui nous rappelle que nous sommes loin d'être tous égaux face à une horde de flics prêts à appuyer sur la détente. Auparavant, nous aurons notamment eu l'occasion de reconnaître Richard Gere dans un second rôle de mac au look douteux, pour sa première apparition au cinéma, et de regretter parfois la musique un peu datée d'un Elmer Bernstein en mode pilote automatique. Certes, il manque au film un brin d'intensité et une mise en scène plus enlevée pour être du niveau des plus grands thrillers policiers américains des années 70, mais il n'en reste pas moins une œuvre sous-estimée, injustement méconnue, qui mérite clairement le coup d’œil.
 
 
Rapport confidentiel (Report to the commissioner) de Milton Katselas avec Michael Moriarty, Yaphet Kotto et Susan Blakely (1975)

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