28 janvier 2018

Pentagon Papers

C'était il y a dix piges, mon dernier Spielberg en salle... Dix ans se sont écoulés depuis la catastrophe Indiana Jones et le royaume du crane de cristal. Dix ans de mitard, c'était un moindre mal après cette infection de film. Mais on est en 2018, de l'eau a coulé sous les ponts des espions, on va dire qu'il y a prescription. Voir tonton Spielby, ce type en or, cent mille carats, que je considère depuis toujours comme mon oncle, promener sa tronche sur toutes les chaînes de la petite lucarne, assurant la promo de son nouveau film avec sa bonhommie naturelle, a pas mal aidé, j'avoue. Tonton a notamment été extraordinaire chez ce zonard de Yann Barthès, parvenant à répondre à des questions plus débiles les unes que les autres sans se départir de sa belle humeur et de son sourire ravageur, et même mieux, à analyser dans un plan en trois parties improvisé une séquence pseudo-amusante ô combien embarrassante, "les infos du jour en silence", vraisemblablement mise en boîte par un stagiaire de 3ème démotivé, alors que face à ce magnéto merdique tout être humain banal se serait immolé par le feu... Quel type. Tonton a vraiment été extraordinaire. J'ai donc daigné bouger mon cul vers un grand écran, et je ne regrette pas ma poignée d'euros.




Ce qu'il faut dire d'abord, c'est que l'oncle n'a toujours rien paumé de son savoir-faire et de son efficacité. On s'enfile les deux heures de Pentagon Papers sans broncher, vissé au fauteuil, chopé au colbac et le cigare au bord des lèvres. Tout cela est d'une maîtrise ès cinématographie et d'une rigueur technique à se tuer. C'est simple, mon oncle réinvente le langage audiovisuel plan après plan, nous rappelant à chaque cut les différents cadrages possibles et imaginables, avec un brio et un sérieux dont peu sont capables. On citera, parmi les rares équivalents, John Sturges, qui sut nous donner une leçon de mise en scène dans La Grande évasion, où, en un seul plan, le cinéaste prend la peine d'entourer à même la pellicule, certes de façon un brouillonne, les différents cadrages possibles, comme d'autres l'ont fait dans des schémas incompréhensibles :


exemple de schéma incompréhensible

démonstration par John Sturges

Rayon qualités, nous avons dit les principales : un rythme sans faille et une réalisation aux petits oignons pour un de ces films sur le journalisme comme les Américains savent les faire et qui n'oublie pas d'envoyer quelques répliques à la tronche de cette enclume de Trump. Quoi d'autre ? Sinon que les acteurs sont comme toujours parfaitement dirigés. Hanks, à l'aise comme papa dans maman, joue littéralement en pantoufles. Et Streep Meryl déroule, file droit sur l'autoroute de l'acting sans toucher au volant, en piquant parfois un somme, sans jamais dévier de sa trajectoire, sans même se soucier du compteur qui défile pour notre plus grande satisfaction. Du velours.




Si je devais quand même relativiser ce panégyrique, et quitte à me faire du mal, car je ne rêve que de dérouler un tapis rouge à mon oncle Spielb', depuis Hollywood Boulevard direction mon propre cul en traversant la Manche, on pourrait peut-être quand même s'interroger sur ce grand art, cette facilité à enchaîner les valeurs de plans et à diriger son petit monde pour mieux placarder le spectateur consentant à son siège. Le vieux Steven a une telle maîtrise de son outil qu'il en oublie (depuis pas mal de temps déjà) de se surprendre lui-même et de laisser grincer, couiner, sa machine ultra-huilée. Tout cela file, comme sur du beurre, mais on aimerait presque que parfois le temps s'arrête, qu'une scène, tirée par les cheveux pour sortir du moule, vienne dévier un brin le film de sa course téléguidée. Alors, certes, tonton semble avoir réécrit quelques séquences avant la sortie du film, sous l'influence de l'affaire Weinstein et pour prendre position dans ce qui se veut un film clairement féministe. Bien. Mais c'est au point d'y aller à la truelle sur les dernières séquences. Au dialogue entre Ben Bradley (Hanks) et sa femme, où cette dernière lui ouvre les yeux quant au courage de Katharine Graham, succède celui entre Graham (M. Streep) et sa fille, à propos de sa prise de fonction difficile dans un monde patriarcal, puis la courte scène au tribunal où une stagiaire du gouvernement cire les pompes de la même Katharine G., juste avant la descente des marches du tribunal où Katharine Golden Graham est adulée par un défilé de jeunes filles béates d'admiration. En soi, bonne nouvelle, le film est bien de son temps, mais, sur la fin, c'est un poil lourdingue. A l'image, plus globalement, de l'ensemble de cette dernière partie du film, qui en fait un peu trop, à coups d'orchestre symphonique et de lumière diffuse, en contradiction avec le propos du personnage de Tom Hanks disant "Pas de triomphalisme !" en réaction au verdict de la cour.




On aurait pu espérer percevoir plus sensiblement les années écoulées entre le vol des documents classés "secret défense" et leur publication, les mois passés pour les journalistes du Times à lire et à recouper ces milliers de pages de rapports annonçant très tôt la défaite inéluctable de l'Oncle Sam, la tension et la pression subies par tous ces journalistes, ceux du Times puis ceux du Post, détenant des informations confidentielles, une véritable bombe à retardement pour le gouvernement soucieux de les récupérer. Sans parler du dilemme terrible auxquels font face Katharine Graham et son équipe. Bien sûr, les questions sont posées : la peur de faire couler le journal, de trahir la confiance des puissants (le personnage de McNamara n'est d'ailleurs pas assez exploité !), de finir en prison, de mettre en danger les soldats sur le terrain ou la sécurité nationale sur le territoire, etc. Mais ce choix cornélien, publier ou non les dossiers secrets du gouvernement sur le Vietnam, est un peu vite balayé (notamment pour ce qui concerne Ben Bradlee, soit Tom Hanks, presque trop sûr de lui) et réduit à la question (néanmoins fondamentale et passionnante) de la prise de pouvoir effective de Katharine Graham sur les financiers mâles qui essaient de la convaincre de se coucher. Perdre un peu de temps pour développer ces questions et cette tension était un risque, celui de gripper la mécanique si parfaitement rodée d'un film qui tourne tout seul et qui tourne bien, mais ce risque était à prendre. Allez, on n'en veut pas trop à tonton, qui a le mérite d'avoir fait le jour sur une affaire peu connue (contrairement à celle du Watergate, qu'elle annonce) et de l'avoir fait avec ce tour de main qu'on lui connaît.


Pentagon Papers de Steven Spielberg avec Meryl Streep, Tom Hanks, Alison Brie et Sarah Paulson (2018)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire