Puis la caméra nous révèle petit à petit que nous sommes sur les lieux d'un terrible accident d'avion, nous découvrons les décombres, les restes fumants de la carlingue, les secours en alerte, les corps calcinés, et les quelques rescapés qui assistent à cela, sous le choc, comme nous. Mais Peter Weir est si habile que nous découvrons tout cela sans jamais avoir l'impression d'abandonner Jeff Bridges une seconde. Celui-ci, avec seulement quelques éraflures et un complet gris quasiment impeccable, trimballe une classe pas croyable et a l'air de déjà flotter au milieu des événements, l'air ahuri, comme s'il n'était pas concerné par la tragédie. On suivra ensuite le lent retour à la réalité de son personnage.
Suite au crash aérien dont il ressort parfaitement indemne, Jeff Bridges perd la boule. Il devient littéralement fearless. Il se met d'abord à conduire comme Ace Ventura, la tronche par la fenêtre pour apprécier l'effet de l'air dans ses cheveux, tout en fermant les yeux. Heureusement pour lui, il roule à ce moment-là sur la fameuse route 66, droite comme la justice, aucun risque. Jeff Bridges s'arrête ensuite dans un diner pour se goinfrer de fraises, alors qu'il était allergique avant l'accident et ne pouvait pas les voir en peinture ! Plus incompréhensible encore, il abandonne sa femme, incarnée par une Isabella Rossellini encore au faîte de sa beauté, pour une chicanos rescapée du crash qui ne se remet pas d'avoir perdu son gamin (dont le petit corps brûlé vif a été retrouvé à plus de 10 kilomètres de la carlingue !).
Avouons-le, ce personnage-là, joué par Rosie Perez, est véritablement la plaie du film, son boulet. On en a très vite ras-le-bol de l'entendre gémir et chialer son gosse, très souvent hystérique, toujours inconsolable. Lors d'une scène assez osée, Jeff Brdiges la fait asseoir sur la banquette arrière de sa bagnole et fonce à toute berzingue contre un mur. Il accomplit alors le souhait le plus cher du spectateur, bien qu'en ce qui me concerne, je n'aurais pas pris le soin d'attacher sa ceinture de sécurité. Si elle se tire de ce crash test en pleine forme, elle ressort de cette expérience calmée, apaisée, on s'en contente donc largement. On n'est pas du tout étonné d'apprendre que Rosie Perez n'a rien fait de notable par la suite. On remarquera aussi que le mari de cette triste femme n'est autre que Benicio Del Toro, dans l'un de ses premiers rôles filmés (il était jusque là abonné aux apparitions coupées au montage). Aux côtés d'un Jeff Bridges qui éclipse un peu tout le monde, on peut aussi entrevoir le nez aquilin de John Turturo, dans le rôle d'un psychiatre tout à fait inutile, mais conscient de l'être, alors tout va bien.
En découvrant ce film aujourd'hui, on se dit que Shyamalan a dû tomber dessus avant de réaliser Incassable. Pas de super-héros ici, bien sûr, mais Peter Weir s'attache comme le natif de Pondichéry à décrire les conséquences de la survie à un tel accident sur la personnalité de son héros. Il nous raconte l'histoire d'un inadapté se croyant invincible, immortel et perdant progressivement pied. Au delà de ça, on retrouve un peu une même ambiance, langoureuse et embrumée. La première scène pourrait d'ailleurs tout à fait avoir été signée par un Shyamalan en pleine possession de ses moyens. On suit avec un réel intérêt les élucubrations de Jeff Brdiges dans son entreprise de réadaptation. La très belle scène finale nous prouve qu'il est bien de retour parmi nous, qu'il revient à la raison et donc vers Isabella Rossellini. Le film nous quitte ainsi sur une bonne impression. La scène du crash aérien, que Jeff Brdiges revit en souvenirs lors de cette ultime séquence, est franchement efficace. Peter Weir nous démontre alors qu'il n'est pas n'importe qui. Un bon Peter Weir, j'vous dis !
État second (Fearless) de Peter Weir avec Jeff Bridges, Isabella Rossellini, Rosie Perez, John Turturo et Benicio Del Toro (1993)
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