28 octobre 2014

Le Flambeur (The Gambler)

On annonce aujourd'hui un remake mettant en vedette Mark Wahlberg du film de Karel Reisz sorti en 1974, The Gambler. Inspiré de la nouvelle de Dostoïevski, Le Joueur, et basé sur l'expérience personnelle du scénariste, James Toback, on y suit les mésaventures d'un homme, issu d'un milieu aisé et professeur de littérature, qui souffre d'une très sévère addiction aux jeux d'argent. Alors qu'il commence le film avec une importante dette à régler, il remet systématiquement en jeu tout l'argent nécessaire à la rembourser et qu'il récolte bien difficilement en pariant auprès de bookmakers véreux. Cet addict complet est incarné par James Caan, tout bonnement excellent dans la peau de ce personnage difficile à cerner. On se dit d'abord que sa débordante confiance en lui est typiquement celle propre aux héros de ce genre de films, finissant toujours par s'en tirer en beauté sans jamais oublier de placer quelques bons mots ici ou là. Puis on devine progressivement que cette confiance n'est que de façade et cache une immense faiblesse, le film nous révélant petit à petit, et assez subtilement, les rapports compliqués du "flambeur" avec sa mère et son père adoptif (joué par un excellent Morris Carnovsky), très éclairants sur son cas.




Au sommet de son art, le charisme au beau fixe, James Caan réussit parfaitement à donner vie à toute l’ambiguïté de ce personnage, lui qui à l'époque luttait en réalité contre son addiction à la drogue. Je l'ai rarement vu aussi bon. Il arrive également à être très crédible en prof de littérature, les scènes où nous le voyons donner des cours magistraux à un par-terre d'étudiants conquis sont très réussies. Karel Reisz parvient alors sans lourdeur, assez miraculeusement, à relier les œuvres analysées et les passages citées par professeur Caan aux thèmes et aux enjeux de son film, participant ainsi à l'illuminer intelligemment. On a aussi le plaisir de retrouver au casting la trop rare Lauren Hutton, que j'avais déjà vue et appréciée dans Someone's Watching Me, l'excellent téléfilm très hitchockien de John Carpenter. Cette actrice, qui a débuté sa carrière comme mannequin, a un visage atypique avec ses dents du bonheur et son très léger strabisme, mais elle montre de sacrées gambas et a une présence toujours agréable. On pourra aussi s'amuser de croiser James Woods, en employé de banque zélé qui, lors d'une très courte apparition, trouve le temps de se faire violemment secouer par James Caan (ce dernier l'étrangle d'une manière raffinée avec le cordon de son téléphone pour lui réclamer quelques sous, et cela s'avère diablement efficace... bon à savoir !).




Le film, très captivant, est donc particulièrement intéressant dans le superbe portrait qu'il nous offre de ce personnage autodestructeur et obnubilé par le goût du risque, attiré de toutes ses forces par le danger, la défaite, et totalement prisonnier d'un cercle vicieux dont la scène finale, aussi déconcertante que géniale, nous montre qu'il n'est pas prêt d'en sortir. Un joueur invétéré qui rejoint ceux, parfois tout aussi fascinants, interprétés par Steve McQueen (Le Kid de Cincinnati) et, surtout, Paul Newman (L'Arnaqueur). A noter que la musique, signée Jerry Fielding (le compositeur attitré de Sam Peckinpah), reprend des symphonies de Gustav Mahler pour un très bel effet et participe pleinement à la singularité du film. The Gambler fut donc pour moi une belle découverte, d'autant plus qu'a priori, le pitch ne me disait rien et je redoutais quelque chose ayant très mal vieilli. Il n'en est vraiment rien. The Gambler est à l'évidence un film plutôt mésestimé des années 70, à redécouvrir. De mon côté, je compte bien m'intéresser à d'autres œuvres de Karel Reisz, cinéaste britannique d'origine tchèque qui fut l'un des piliers du free cinema anglais des années 50-60.


Le Flambeur (The Gambler) de Karel Reisz avec James Caan, Lauren Hutton, Morris Carnovsky, Jacqueline Brookes et Paul Sorvino (1974)

15 commentaires:

  1. J'adore James Caan, il est tellement beau ! Tout le contraire de son fils qui ressemble à un gros sac ! J'ai vu le flambeur et je constate que Rain Man en est un remake avec Tom Cruise dans le rôle de la femme...

    RépondreSupprimer
  2. Merci de revenir sur cet excellent film, qui doit beaucoup à la personnalité de son scénariste, le futur réalisateur James Toback, qui s'inspirait de sa propre expérience.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. De James Toback, j'aimerais beaucoup voir Fingers avec Harvey Keitel, mais je n'ai pas encore réussi à mettre la main dessus.

      Supprimer
    2. Peux-tu essayer ces liens pour "Fingers" ? Sauf si tu connais déjà :
      http://hawkmenblues.blogspot.fr/2014/02/fingers-james-toback-1978.html

      Je suis tombé sur ce site ce soir, et par hasard sur ce film. J'ai commencé à en télécharger un autre ; j'espère que le site fonctionne, il y a des raretés totales :-)

      Cecil Faux

      Supprimer
  3. Franchement, ouais !

    RépondreSupprimer
  4. Très chouette film, que je rangerais limite dans la case "horreur" aux cotés de La baie des anges de Demy et des autres que tu cites :)

    RépondreSupprimer
  5. L'époque n'était décidément pas à l'épilation intégrale : voir aussi, chez Pialat, Jean Yanne et Guy Marchand ! Frisé partout, James Caan : sur la tête, sur le torse... Je m'arrête là, comme l'image de la baignoire citée par Félix m'y invite.

    Ceci étant dit, son meilleur rôle était quand même dans 'L'Enterré vivant', dont la phrase d'accroche était aussi mémorable que celle du 'Flambeur' : « L'œil était dans la tombe et regardait Caan. »

    De manière générale, les films autour du jeu, ou apparentés sont au minimum intéressants, même les moins inventifs ('Le Kid de Cincinnati' ou 'La Couleur de l'argent' par exemple, malgré les coupables faiblesses du film de Scorsese). Les passages du 'Roman d'un tricheur' de Guitry portant spécifiquement sur cette question sont formidables. Et je garde un bon souvenir du film de Karel Reisz, en effet ! (Comme d'ailleurs de ses 'Guerriers de l'enfer', dont le titre original était un tantinet plus original : 'Who'll Stop the Rain'.)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai chanté "Voilà pourquoi, chaque dimanche..." tout le week-end. Faut vraiment que je me replonge dans le film entier un de ces quatre.

      Je crois me souvenir que j'avais eu une légère réserve sur ce "Gambler" quand je l'ai découvert, mais je ne me souviens pas du tout de laquelle. En revanche je me souviens bien du film et c'est un bon souvenir.

      Supprimer
    2. Fréhel fait le lien entre des films aussi formidables, et éloignés l'un de l'autre (du moins chronologiquement), que 'Le Roman d'un tricheur' et 'La Maman et la putain'. Ce n'est pas rien ! Certes, si je me rappelle bien on l'entend aussi dans 'Mêlons la poulie', le film de Jean-Pierre Jaunâtre...

      Supprimer
  6. Tout à fait d'accord avec toutes les qualités du film dont vous parlez.

    J'aime tout dans ce film : le portrait du joueur compulsif, la descente aux enfers qui prend des détours inattendus et encore pires que la mort du héros (la corruption au match de basket-ball et la dernière image, sommet de masochisme)...

    Je suis ravi aussi du commentaire politique secondaire mais très ferme : le héros est en permanence en relation avec la mafia, propriétaire des salles de jeu (tous les noms des gars sont italiens), dont on voit nettement la recherche du profit à tout prix et les méthodes : la violence, la corruption et la propagation de la corruption (par le personnage même du héros). Sa mère médecin a une réplique foudroyante, tout en soignant des enfants : "Avec tout l'argent que tu leur donnes, ils achètent de la drogue qu'ils revendent aux gamins de dix ans". (Dans "Les Guerriers de l'enfer", il y aura la description encore plus franche d'une société malade et dénuée de valeurs.)

    Vérités atroces mais qui font du bien à entendre, surtout dans un film sorti la même année que le deuxième Parrain. En regard (et même dans l'absolu), les deux premiers Parrain sont des monuments d'hypocrisie involontaire, d'irréalisme et d'irresponsabilité, tant les Corleone sont présentés comme des hommes d'affaires, des victimes des autres familles, des gens qui ont la classe et qui refusent de toucher au trafic de drogue, c'te blague...

    En 1974 sort un autre chef-d'oeuvre sur le jeu, "California Split" de Robert Altman : si jamais vous ne l'avez pas vu, précipitez-vous ! Rien de tragique, mais l'angoisse et la compulsion tout de même et surtout l'humanité habituelle et la modernité éblouissante du metteur en scène.

    Cecil Faux

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Grand film c'est vrai.
      Je conseille aussi California Split'!

      Supprimer
  7. The Gambler est un très grand film de Karel Reisz; et vous faites bien d'en parler avant l'arrivée du remake..

    RépondreSupprimer
  8. Bande-annonce du remake :
    http://www.imdb.com/video/imdb/vi2450698009/
    J'ai des doutes...

    RépondreSupprimer