Avec RoboCop (1987) Paul Verhoeven signait son premier gros film américain et réussissait avec brio sa reconversion dans le cinéma hollywoodien à grand spectacle. Ce film a donc lancé la seconde carrière du cinéaste hollandais en même temps qu'il a lancé et quasiment tué la carrière de l'acteur Peter Weller (Pierre Porte-feuille en français) qui, hormis quelques escapades chez Ferrara (Cat Chaser, 1989) et Cronenberg (Le Festin nu, 1991), est resté coincé sous son armure pour rempiler dans le deuxième film de la série. A noter quand même à son actif un film de SF peu connu mais matriciel du cinéma de la seconde moitié des années 90s, à savoir Planète Hurlante, du footballer Christophe Dugarry. Dans Robocop, Peter Weller marchait sur l'eau malgré une tonne et demi d'acier trempé collé sur le dos. Il incarnait fièrement Murphy, un flic terrassé par une bande de malfrats et ressuscité par les dirigeants de la firme technologique OCP pour devenir le RoboCop, un flic robotique tâchant de rétablir l'ordre dans un Détroit dystopique gouverné pas la pègre (qui fait diablement penser au village de Meaux, chef-lieu de Seine-et-Marne).
Le début du film reste un traumatisme pour certains d'entre nous, à commencer par moi qui ai vu le film à sa sortie, en 1987, soit à l'âge de 14 mois. La scène d'introduction présente en effet les personnages principaux de l'histoire, deux flics, un gars et une fille, Peter Weller et Nancy Allen (la bombasse atomique de l'époque, connue pour sa sortie de vestiaire légendaire dans Carrie de Brian de Palma, pour son coït aérien avec le manche à balais d'un vieux coucou dans 1941 de Spielberg et pour son manque de pudeur en général : à l'époque les tabloïds avaient fait une couverture choc avec cette actrice vêtue d'un pull à col roulé et d'un jean taille haute, tant il était inespéré de la voir habillée). Comme souvent dans les scénarios soucieux de ne pas trop s'emmerder avec les détails, les deux personnages, en pleine traque dans un hangar insalubre abritant une armée de gangsters déjantés, décident de se séparer. C'est ainsi que Murphy se retrouve connement sous le feu de la bande d'un dégénéré nommé Clarence J. Boddicker, incarné par Kurtwood Smith, acteur célèbre pour ses rôles de pervers, notamment devant la caméra de Peter Weir dans Le Cercle des poètes disparus (1990), où il incarnait le papa un peu trop poule d'un jeune homme poussé au suicide par son éducation tyrannique. Kurtwood Smith a sans doute accepté ce rôle ingrat de père tortionnaire sous la direction de l'australien Peter Weir en pensant pouvoir enfin régler ses comptes avec sa nemesis Peter Weller, qui, à la fin de RoboCop, lui fait littéralement fondre la tronche sous une pluie d'acide, mais c'était Peter Weir qui dirigeait le film, pas Peter Weller. Une simple faute de frappe sur un script, une coquille assez rocambolesque dans le petit monde d'Hollywood qui a longtemps attribué Le Cercle des poètes disbarus à Peter Weller, raté de photocopieuse qui aura valu à l'acteur de RoboCop de recevoir quelques prix dont un Oscar pour un film qu'il avait juste vu au cinéma, comme tout le monde en 1990. Nul doute que le rôle de Clarence J Boddicker, ce personnage de parrain de la pègre fou furieux et cruel, aurait été tenu par Michael Ironside (sosie américain de Jean-Pierre Bacri) si l'acteur, présent dans chaque film de Verhoeven ou presque, n'avait pas eu des calculs rénaux au moment du tournage (d'autant qu'il était en réalité prévu pour incarner RoboCop himself !).
Mais pour revenir à la scène d'intro du film, on y voyait donc Murphy se faire cribler de balles pendant cinq bonnes minutes, mitraillé par des tarés morts de rire embarqués dans un délire morbide. Remué de spasmes horribles à chaque perforation de chaque parcelle de son corps, Peter Weller n'en menait pas large. Pour la petite histoire, il paraît que Paul Verhoeven, particulièrement survolté à l'époque (lui qui tourne encore aujourd'hui à 50 de tension la nuit, dans son sommeil) hurlait sur ses acteurs de tirer sans arrêt sur sa vedette, de littéralement "exploser Weller", de "trouer le cul à ce bellâtre". L'homme qui quelques années plus tard ne prit pas la peine de prévenir Sharon Stone qu'il pointerait sa caméra droit sur son mont de vénus avait promis à Peter Weller qu'il recevrait une balle dans le front et puis s'en va. Au lieu de ça et sous prétexte d'un accrochage la veille autour d'une porte de voiture mal fermée, Verhoeven fit durer le plaisir et condamna Weller à passer plusieurs heures couché au milieu du plateau à encaisser, frappé par des balles à blanc mais qui multipliées par X finirent presque par avoir la peau de l'acteur, dans un vacarme qui le rendit à moitié sourd. C'est d'ailleurs à cause de ce léger handicap d'audition que Peter Weller se retrouva à signer un contrat sur un coin de comptoir pour jouer dans un film de Cronenberg alors qu'il voulait juste commander une Kronenbourg.
Après cette fusillade d'anthologie, qui a marqué une décennie de cinéma, Murphy devient RoboCop et s'en va se venger en zigouillant la moitié de la ville et particulièrement des latinos. Avec l'aide de son ancienne camarade, RoboCop se souvient peu à peu du Murphy qui est en lui, et veut réparer le mal qu'on lui a fait en le rendant coup pour coup. Voyant que leur nouveau joujou leur échappe et que RoboCop se détourne de leurs ordres pour accomplir son forfait, les pontes de l'OCP lancent contre lui un autre robot encore plus gros et supposé encore plus puissant, le ED 209, si perfectionné qu'il déraille lors de sa première présentation et massacre tous les membres du comité, autant de commerciaux puants et sans scrupules, dans un joyeux bain de sang dépilatoire. Mais si elle est plus destructrice que RoboCop, cette pure machine n'a ni son humanité ni sa classe légendaire, appuyée par la musique mémorable de Basil Poledouris. RoboCop n'a pas d'égal, revêtu de sa côte de maille et de son haubert à viseur scanner. C'est à Rob Bottin que l'on doit le costard en allu impérissable de Rob Bocop ainsi que la plupart des bagnoles de flics noires géniales qu'on croise durant tout le film, le même Rob Bottin qui a magnifié les effets spéciaux de tous les grands films de studio hollywoodiens des années 80, de The Thing à Hurlements en passant par Total Recall et L'Aventure intérieure.
Aujourd'hui, ou plutôt demain, en 2013, dans le remake du film de Verhoeven par José Padilha, réalisateur brésilien qui nous avait condamnés à la chaise électrique en nous infligeant son film Tropa de elite (Troupe d'élite, 2007), long métrage infernal et quasi facho, le costume trois pièces de Jean-François RoboCopé est une combi de motard sado-maso directement piquée dans la penderie de Gérard Holtz (on l'imagine très bien habillé comme ça entre deux plateaux télé). Pour vous dire un peu le chemin parcouru depuis ces années 80 reaganiennes et régaliennes (dont le film dressait la satire) pourtant symboles du mauvais goût... Le remake risque fort de faire pâle figure comparé à l'original, même si Hollywood a eu le même réflexe (conscient ou non ?) de faire appel à un étranger pour apporter une vision sans pitié de l'Amérique, à ceci près qu'ils ont cette fois-ci semble-t-il convoqué un gros tocard. On préfère en tout cas revoir le film de Verhoeven à l'heure qu'il est, un bon cru du divertissement hollywoodien des années 80 qui au lieu de nous identifier à une machine de guerre exemplaire éliminant tous les méchants de la Terre, nous présentait un personnage pour le moins ambigu et un peu plus original que la moyenne dans un film d'action sans concession à forte dimension critique.
RoboCop de Paul Verhoeven avec Peter Weller, Nancy Allen et Kurtwood Smith (1987)