18 octobre 2022

À Plein temps

Cours, Laure Calamy, cours !... C'est une référence à ce film allemand signé Tom Tykwer qui avait fait le buzz à l'époque, Cours, Lola, cours, où Franka Potente montait et descendait des escaliers à toute vitesse puis se tapait un marathon à travers Berlin parce que son scooter était en panne (je m'en souviens très mal). Je précise parce que c'est une référence assez pointue, un brin vieillotte, et je veux que le blog reste à la portée de tous, même des plus jeunes cinéphiles... Avant d'attaquer ainsi ma critique, j'ai tapé "Cours Laure Calamy cours" sur Google, avec les guillemets, car j'étais persuadé que quelqu'un l'aurait déjà faite, mais apparemment non. Bizarre, c'est pourtant tellement évident. Bon, peut-être parce que ce n'est pas si malin que ça ? Pas grave, j'ai l'air preum's donc je fonce ! Bref, dans À Plein temps, Laure Calamy court, et elle court beaucoup. Elle court pour rejoindre les deux bouts. Elle court pour arriver au boulot à temps, le palace où elle travaille en tant que première femme de chambre ne supportant pas les retards. Elle court après une situation plus tenable et doit pour cela être disponible sur ses horaires de travail pour des entretiens déterminants. Elle court parce qu'une grève des transports paralyse les allées et venues vers Paris. Elle court parce qu'elle est seule et s'occupe seule de ses deux enfants. Elle court, et nous courons avec elle. 


 
 
Avec une énergie et une force indéniables, Laure Calamy campe de nouveau une femme de tous les jours, de la vraie vie, de la plus dure réalité. Nous sommes suspendus à ses regards, à son inquiétude, attentifs à chacun de ses tics d'anxiété. On veut la voir se reposer, souffler, on apprécie ces si rares moments d'accalmie qui ne durent jamais. On maudirait presque le petit Nolan, son garçon de 5 ou 6 ans, turbulent à souhait, qui a le hurlement si facile et vient la déranger quand elle prend son bain et croit trouver enfin un peu de quiétude. Au passage, quelle chic idée d'avoir nommé ce sale gosse Nolan en marque d'irrévérence évidente à l'auteur d'Inception. Je valide totalement. Un Nolan de plus que l'on aimerait voir disparaître de nos écrans ! 


 
 
Le cinéaste Eric Gravel colle donc au plus près de son actrice et se focalise à 100% sur ce personnage, courageux et plein d'abnégation, quitte à laisser le reste dans un flou que l'on n'a guère tant besoin que ça de voir plus clair (les lieux sont ainsi réduits à la stricte périphérie de Calamy). Il s'appuie, de manière peut-être un peu facile et trop systématique, sur une musique électronique répétitive et étouffante, qui nous prend régulièrement en étau, appuie encore davantage cette pression pénible que subit à plein tube cette mère de famille isolée, à la vie impossible et sans temps mort. Par des petits détails bien sentis, on a l'impression de partager au plus près le quotidien de cette femme, sans qu'il soit nécessaire de s'appesantir ; nous traversons avec elle cette terrible semaine dont l'ambiance lourde est insidieusement retranscrite par un environnement sonore travaillé avec un soin maniaque – je pense notamment à ces brefs extraits de flashs infos qui passent à la radio, amplement suffisants pour cerner le bouillonnement social du pays. 


 
 
Quand l'horizon s'assombrit et semble définitivement bouché, cela devient si difficile et délétère que l'on en vient à craindre, pour cette maman auquel l'espoir d'une issue s'effiloche, un dénouement à la Umberto D., mais sans le petit chien... Imaginez donc. Il faut dire que Laure Calamy voit aussi passer les trains, quand elle ne doit pas se glisser à l'intérieur des rames à toute allure... Dans toutes ces situations, l'actrice est terriblement convaincante, qu'il lui faille défendre ce job qu'elle n'aime pas mais lui permet de se maintenir à flot ou passer des entretiens d'embauche tendus, elle est même étonnamment touchante lors de ce moment de relâchement, où elle se laisse aller à une tendresse spontanée pour son voisin aidant. Un deuxième César, pour ce rôle-ci ou pour Une Femme du monde, n'aurait guère été volé. 


 
 
Ce film-là n'est donc pas de tout repos, c'est un véritable thriller social, dont on accepte quasiment toujours le suspense épuisant, quand bien même ses ressorts soient, sur la toute fin, un brin prévisibles et un peu trop grossièrement amenés. Son rythme, tendu comme c'est pas permis, nous prend au piège, son montage adroit est fait de petites ellipses intelligentes, le réalisateur ne cherche pas à nous fournir une impression de temps réel lors des passages les plus intenses, il vise un effet plus continu, avec quelques pics de stress, et parvient plutôt bien à donner à son film un effet global. Cramponné, on attend qu'une seule chose, que le visage de Laure Calamy s'illumine enfin, se décrispe, se relâche et s'éclaire, enfin, d'un sourire, apaisé, délivré. Il faudra attendre jusqu'au bout.


À Plein temps d'Eric Gravel avec Laure Calamy (2022) 

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