Croyez-le ou non, je n'ai pas passé un si mauvais moment devant le
dernier film d'Edgar Wright, Last Night in Soho, que j'ai pourtant
regardé à reculons, n'ayant jamais éprouvé aucune sorte d'intérêt pour
la filmographie du bonhomme. Mais, parce qu'il nous a été vendu comme un
film d'horreur, ce qu'il est bel et bien, ma curiosité m'a quand même poussé à lui donner une
chance. En réalité, je m'attendais à mille fois pire, j'ai donc été
agréablement surpris. Le film se tient à peu près, les nombreuses
influences qui l'ont façonné, de Dario Argento à Roman Polanski,
aboutissent à un gloubiboulga ma foi digeste. Le scénario, qui prend son
temps à démarrer car il a au moins le mérite de correctement planter
son personnage principal – une jeune étudiante passionnée de mode qui se retrouve seule à
Londres et se réfugie dans ses fantasmes d'une époque passée, les Swinging Sixties, qui vont progressivement prendre une tournure cauchemardesque – tente
assez grossièrement de capter l'air du temps, finit par se mélanger les
pinceaux et tombe un peu dans le n'importe quoi, mais il captive
néanmoins et surprend régulièrement. Les actrices, Thomasin McKenzie et
Anya Taylor-Joy, se mettent au diapason de l'énergie que veut insuffler
la mise en scène hit & miss du cinéaste anglais. Bon, il y a des
choses visuellement dégueulasses, certes, mais aussi beaucoup d'audace et, par moments, une jolie fluidité.
Toute la fin est truffée d'effets à gerber, OK, mais le film témoigne
d'une certaine volonté d'essayer, d'innover et d'aborder le genre avec
sérieux et respect. Après avoir survécu miraculeusement à la longue et
laborieuse mise en place, j'ai donc fini par trouver ça plutôt réussi,
pas désagréable, presque rafraîchissant. C'est qu'il n'en sort pas si
souvent, des films d'horreur aussi osés. Alors autant ne pas tomber à
bras raccourcis sur celui-ci.
Et
puis il faut dire que, peu de temps après avoir vu le film, j'ai fait
par hasard la rencontre fortuite d'Edgar Wright. Il m'est apparu comme
quelqu'un de tout à fait sympathique et charmant. C'était pendant les
vacances de Noël dans le cadre d'un trajet en blablacar pour revenir de
chez mes parents, entre le 26 et le Jour de l'An. Au moment de sélectionner mon covoiturage, j'avais le
choix entre deux propositions de trajet postés par deux profils
bien distincts. "Tueur en série toujours en liberté, j'utilise blablacar pour
commettre mes méfaits. Vous serez seul à mes côtés car c'est ainsi bien plus facile à gérer. Avec moi, pas de blabla, le silence est roi" disait la présentation de l'un ; "Jeune cinéaste anglais, j'utilise blablacar
quand je roule dans vos contrées. Je ne prends jamais qu'un seul passager car, à l'arrière, c'est buffet à volonté. Vous aussi, vous aimez la musique ? Tant mieux, notre voyage sera supersonique !" annonçait l'autre. Bizarrement, le deuxième me donnait plus envie,
c'était donc vite réglé. Il faut croire que le réalisateur est proche de ses
sous, n'empêche que, believe it or not, c'est bel et bien Edgar Wright
que j'ai retrouvé sur le parking du GIFI, ce dimanche après-midi de fin
décembre, et qui m'a ouvert la porte avec tact avant de me proposer le
siège passager de sa modeste Fiat Punto dans un français parfait. J'ai
mis du temps à le reconnaître mais, en utilisant discretos l'application
IMDb sur mon smartphone, j'ai fait le rapprochement : le doute n'était
plus permis. C'était bien lui. Il me semblait bien avoir déjà croisé ces
cheveux bruns filasses, cette barbe clairsemée de 33 jours et cette trogne en biais sur des photos de tapis
rouges, aux côtés des plus grandes vedettes actuelles : Simon Pegg, Mary
Elizabeth Winstead, Michael Cera ! Alors, de nature timide et réservé,
je me suis tout de même risqué à rompre le silence, qui devenait un peu
pesant, et à l'interroger. "Êtes-vous Edgar Wright, le réalisateur du délicieux
Salsa Fury ?". Il m'a répondu avec cette simplicité et cette sincérité
qui allaient être de mise pour l'ensemble de nos échanges à venir durant
ces 4 heures de voiture que je ne suis pas prêt d'oublier. "Oui, je
suis bien Edgar Wright, mais ce n'est pas moi qui ai réalisé le délicieux Salsa Fury".
Il m'a fait promettre de ne rien dire, je lui ai juré que le secret resterait bien gardé. J'ai
fait part de mon étonnement de me retrouver dans la voiture d'un si
célèbre cinéaste que j'imaginais plutôt basé à Londres, New York, Dubaï ou LA, et non
en train de sinuer incognito sur les routes du Sud Ouest de notre beau pays.
Il m'a expliqué que la France est sa terre d'adoption, qu'il aime y
passer son temps libre, entre deux tournages. Les rencontres réalisées par le biais de
blablacar alimentent ses scénarios. C'est une source d'inspiration
indispensable pour lui. Il y puise ses meilleures blagues, ses trucs les
plus farfelus. La tant adulée "Blood and Ice Cream Trilogy" doit
paraît-il beaucoup au site de covoiturage. Shaun of the Dead, Hot Fuzz
et Le Dernier Pub avant la fin du monde : tous correspondent à une
période où l'auteur anglais arpentait les routes, à la recherche d'idées
neuves. Nos discussions ne portaient pas seulement sur le cinéma, loin
de là. Curieusement, nous n'avons pas dit un mot de Last Night in Soho. En vérité, on a surtout causé boustifaille car, malgré les
apparences, c'est un sacré gourmand. Son teint cireux et son allure
malingre dissimulent un régime draconien qu'il met entre parenthèses
lorsqu'il part en congés dans nos régions si riches en matières grasses.
Un large éventail de fromages et de charcuteries de premier choix
étaient à ma disposition, sur la banquette arrière. Et, croyez-moi, je
n'ai pas donné ma part aux chiens.
Il a
passé du bon reggae, la fameuse compile, que je vous conseille
chaudement, intitulée Young, Gifted and Black : 50 Classic Reggae Hits!
On a pas mal déliré sur le morceau Elizabethan Reggae du grand Boris Gardiner,
qu'on s'est remis en boucle une bonne quinzaine de fois. C'est devenu,
en quelque sorte, l'hymne de notre nouvelle amitié. Gentleman, il m'a plusieurs fois proposé de balancer ma propre zik en bluetooth, mais sa playlist était si parfaite que je n'ai pas osé interférer. Il régnait une bonne
ambiance dans l'habitacle de sa Punto, l'esprit de Noël était encore
parmi nous. Je précise en outre que l'auteur de Baby Driver ne conduit guère comme
il filme : jamais il ne file la gerbe au volant. Il a une conduite sûre
et prudente, presque féline, je ferais volontiers de lui mon chauffeur particulier. Il a
même réussi un brillant créneau, du premier coup, pour me déposer, très
gentiment, juste en bas de chez moi. Je n'ai pas pu m'empêcher de le
complimenter pour sa maîtrise totale de son engin, moi qui suis
incapable de réussir la moindre manœuvre et panique à l'idée de me
garer. Après m'avoir aidé à retirer ma valise du coffre de sa petite
voiture, il m'a filé son 06 et m'a dit, avec une élégance british
inimitable et un accent à couper au couteau, "la prochaine fois passe
pas par Blablacar", accompagné d'un clin d’œil qui ne m'a guère laissé indifférent. C'était très touchant.
Je lui ai tendu la main, par pur réflexe, en dépit des gestes barrière
actuellement en vigueur. Il l'a repoussée, avec une délicatesse
déconcertante, pour mieux me prendre chaleureusement dans ses bras. Le contact de sa
veste en velours contre la peau de mon cou était d'un douceur
inattendue. C'était un moment assez intense, je dois vous l'avouer. Son
dos a ensuite retrouvé sa courbure naturelle, celle d'un homme qui passe
trop de temps sur les écrans ou au volant, et il a regagné son
véhicule tandis que je restais là, planté au milieu de la chaussée, trop ému pour m'éloigner. Avant de redémarrer, je l'ai vu prendre soin de changer l'ambiance musicale, il a opté pour un air plus mélancolique que j'ai immédiatement reconnu : All my happiness is gone, du regretté David Berman. Il m'a adressé un dernier geste amical de la main, et je l'ai longtemps regardé s'éloigner, jusqu'à ce qu'il disparaisse de mon champ de vision... Il s'en allait, m'avait-il
confié, du côté de Castelnaudary pour y goûter "le fameux cassoulet", avant de remonter vers Gérardmer, où il était attendu, avec de nombreuses escales culinaires prévues en chemin.
Il
est reparti comme il est arrivé, seul. J'espère tout de même qu'il a
passé de joyeuses fêtes. Je lui présente en tout cas mes meilleurs vœux
pour la nouvelle année.
Last Night in Soho d'Edgar Wright avec Thomasin McKenzie, Anya Taylor-Joy, Terence Stamp et Diana Rigg (2021)
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