20 juin 2018

Rester vertical

Hypothèse : le titre du dernier film d'Alain Guiraudie, Rester vertical, serait une sorte de manifeste poétique. Rester vertical pour dire : choisir, aussi souvent que possible, ce qu'en linguistique structurale on nomme l'axe paradigmatique. L'élargir au maximum, en tout cas, au détriment de l'axe syntagmatique. Ne pas tant faire des phrases, discours ou narration, que jouer avec la chaîne des possibles, peut-être pas jusqu'au cadavre exquis cinématographique, mais jongler avec le virtuellement disponible, peut-être dans la veine des Cent mille milliards de poèmes de Queneau. Aller piocher dans ce qui pourrait être là. Que ce soit en matière de désir, de sexualité, de couple, d'amour. Ou simplement quand il s'agit de faire apparaître un personnage ici et maintenant, quand bien même c'est improbable, uniquement parce que c'est possible, parce que dans la "phrase" de la séquence (parallèle toujours douteux certes), on peut remplacer ce nom propre par un autre, faisant fi des distances qui séparent leurs porteurs ou de la vraisemblance qu'ils se trouvent là à tel moment donné (exemple : la scène où Jean-Louis et Yoan, qui ne se sont peut-être bien jamais croisés avant, sauvent Léo de la horde de sans-abri).




Et parfois les deux se conjuguent, disponibilité dans le lieu et l'espace et disponibilité dans le couple : Yoan est avec Marie quand Léo revient voir leur fils. Puisque l'auteur semble libre de placer n'importe quel sujet dans la phrase qu'il est en train d'écrire, pourquoi pas Yoan. Et pourquoi pas réunir Léo, son beau-père et potentiel amant Jean-Louis, et l'enfant, une famille, au milieu des loups, à la fin. C'est cette jouissance de l'axe paradigmatique, synonyme de liberté, que les journaux réfutent (à la devanture d'un tabac-presse, durant la cavale de Léo) pour faire du syntagmatique pur, du récit tout fait, une phrase, lapidaire, mensongère, qui réduit la relation de Léo et du vieux Marcel à un fait divers sordide écrit en gras pour simplifier et vendre. Alain Guiraudie, lui, l'explore au maximum pour un maximum de liberté, avec tout ce que cela peut avoir de déroutant.


Rester vertical d'Alain Guiraudie avec Damien Bonnard, India Hair, Raphaël Thierry et Laure Calamy (2016)

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