Quel cirque ! Quel remue-ménage ! Ready Player One donne l'impression de passer 2h30 dans un lave-linge en mode essorage, à 1200 tours par minute. On en sort la tronche complètement retournée, avec l'envie certaine de rebrancher la console pour nous replonger dans nos jeux vidéos préférés. Mais cette envie est hélas bien fugace et, la nuit passée, il n'en reste plus grand chose. Quasiment rien, à vrai dire. Aucune image marquante. RAS. Un salmigondis de flashs visuels, peut-être, mais rien de réellement prégnant. Le dernier Spielberg est un objet bizarre, protéiforme mais monotone, un drôle de film pas franchement désagréable mais laissant stupide, circonspect. Une chose est sûre : Ready Player One n'est malheureusement pas la bombe annoncée par certains. C'est dommage, nous qui espérions un retour en fanfare de notre tonton Spielby dans le gros blockbuster qui tache. Et pourtant, il y avait de quoi faire en adaptant le best seller d'Ernest Cline qui nous raconte les aventures particulièrement trépidantes d'un jeune homme parti à la quête d'un œuf de Pâques (comprendre : un tas d'oseille incroyable) dans un monde virtuel, fourre-tout de l'univers vidéo-ludique et cinématographique des années 80 à aujourd'hui, où toute la population d'une Terre aux abois a trouvé refuge. C'est bien simple : l'intrigue est si accrocheuse que les droits pour l'adaptation ont été achetés par la Warner longtemps avant la publication du livre. Lui-même cité plus d'une fois dans l’œuvre de Cline, Steven Spielberg se présentait comme le candidat tout désigné pour réaliser le film. Vu le résultat, on peut à présent se demander s'il n'aurait pas été plus judicieux de confier le projet à un cinéaste plus éloigné du matériel principal, doté d'un regard plus distant et critique, moins lisse et inoffensif. Mais cela fait des lustres qu'Hollywood ne prend plus ce genre de risques...
Car Steven Spielberg a vraisemblablement fait le choix de tout miser sur le grand spectacle, le divertissement total, en prenant bien soin de ne strictement jamais bousculer son audience. Le récit se déroule dans un futur pas si éloigné, où la planète est devenue une poubelle géante, bordélique à souhait, la population vivant misérablement dans des "piles", c'est à dire des caravanes et autres mobile homes entassés les uns sur les autres. Cette population est totalement déconnectée de cette si morbide réalité, préférant passer tout son temps à gesticuler dans le vide, projeté dans l'OASIS, ce monde virtuel inventé par un illuminé, caricature de geek socialement inapte, où l'on peut tout faire à l'exception de dormir et manger. Spielberg ne jette aucun trouble, son film est tout ce qu'il y a de plus sage, il préfère même s'amuser de la situation dépeinte, de cette dystopie au potentiel glaçant, nous proposant par exemple des ménagères en robe de chambre si obnubilées par l'OASIS qu'elles en oublient la casserole sur le gaz, la cuisine prenant feu en arrière-plan. Une multinationale se lance à la chasse à l'héritage, commandant toute une armée dans le monde virtuel, essayant par tous les moyens de recruter puis d'anéantir la concurrence (le héros et ses potes), emprisonnant des pauvres gus dans des cabines pour les condamner à travailler pour elle. Mais, à l'image, tout cela est terriblement fade ! Les méchants sont bien identifiés, et ils sont presque touchants dans leur ridicule (le boss joué par le sympathique Ben Mendelsohn y contribue beaucoup) et tout cela se fait au détriment de toute nuance... On a comme l'impression que Ready Player One est fait pour ne pas heurter le moins du monde, pour être consommable dès 5 ans, sans contre-indication. Les "joueurs" pourraient être filmés comme des zombies, addict à cette virtualité qui les tient éloignés de l'insoutenable réalité, les rappels avec notre monde contemporain pourraient être davantage soulignés, mais Spielberg ne s'aventure pas vraiment sur ce terrain-là. Rien de subversif, rien de méchant. Tout va pas si mal dans le meilleur des mondes. Même le roman d'Ernest Cline, pourtant assez sage, y allait plus franco sur ce versant-là, c'est dire...
En revanche, comme dans le livre, l'action est là aussi menée tambour battant. Le décor est rapidement planté. Les premières minutes d'exposition sont d'une belle efficacité, on reconnaît là le fameux savoir-faire de tonton Spielby. Mais le rythme, par la suite, reste toujours le même. Steven Spielberg nous impose une cadence infernale du début à la fin. Tout s'enchaîne trop vite, le film ne se pose jamais, malgré sa durée déjà conséquente. On a même parfois du mal à comprendre l'enchaînement des péripéties, des retournements de situation successifs, des deus ex machina soudains, etc. La séquence a priori intéressante où notre bande de héros est catapultée dans le Shining de Kubrick pourrait, paradoxalement, être une parenthèse salvatrice, un bol d'air glacial mais bénéfique. Que nenni ! Spielberg préfère transformer l’œuvre de Kubrick en une attraction supplémentaire, fracassante et épuisante, de son trop vaste parc à thèmes. Déjà permanents dans le livre, les références, les citations et les clins d’œil s'accumulent à vitesse grand V pour un résultat curieux mais pas toujours heureux qui contribue à un effet d'étouffement regrettable. Le film paraît conçu pour séduire les gamins et les ados désormais habitués aux blockbusters, aux jeux et, pour faire large, aux médias qui bannissent également toute respiration, ne donnent pas le choix et imposent ce même rythme terrible. Mais il faut aussi plaire aux trentenaires, aux nostalgiques... Alors on brasse un peu plus large encore, on mélange le tout et, si cela donne au film une certaine singularité, un aspect méli mélo parfois plaisant, le condensé de cinéma qu'il devient est, avouons-le, difficilement digeste ! Le scénario paraît aussi très difficilement compréhensible par endroits, comme si tout nous était asséné de force, au marteau-piqueur... Les personnages en pâtissent sérieusement puisque, malgré des acteurs irréprochables, aucun n'a le temps d'exister véritablement. On se contrefiche de leurs sentiments, de leurs motivations, de ce qui les anime. Steven Spielberg ne crée aucun trouble, aucun malaise quand, par exemple, le héros déclare sa flamme de façon un brin prématurée à cette fille qu'il ne connait même pas réellement. On pourrait alors ressentir toute sa solitude, tout son désespoir, être en empathie. Rien. Cet aspect-là était, là encore, davantage creusé dans un roman qui n'était pourtant pas ce que l'on pourrait appeler un traité de psychologie ou une étude de caractères...
Les gamers pourront peut-être y voir une ode vibrante aux jeux vidéos, une célébration de la "culture pop". C'est bel et bien ce qu'est Ready Player One. Pour ce qui est du cinéma, en revanche, c'est plus discutable. Il y a là-dedans une énergie étonnante, mais elle ne provoque guère d'effet. On reste coi, extérieur à la situation. Emportés par le tourbillon, mais demeurant en périphérie, étrangement tenus à distance, spectateur éberlué par un tel déferlement d'actions et d'images, mais interdit, atone, passif et, au fond, désintéressé. Beaucoup y ont vu une œuvre somme, "testamentaire", de Steven Spielberg. En ce qui me concerne, j'en viens plutôt à me demander à quel point il était impliqué là-dedans, s'il n'a pas tourné tout ça d'une main pour se consacrer à d'autres projets par ailleurs (il a trouvé le temps de tourner Pentagon Papers pendant la longue postproduction). J'ai trop de respect et de sympathie pour tonton Spielby pour me dire que c'est ça, son "œuvre testamentaire". Alors certes, Ready Player One surnage au milieu des blockbusters actuels. Mais dieu sait que c'est là un compliment qui ne vaut pas cher ! Avant que le film commence, j'ai ainsi eu droit à la bande-annonce abominable de cette ...chose... où The Rock combat des énormes bestioles à l'aide d'un gorille albinos géant. C'est une blague ?! C'est un vrai film ? Qui va vraiment exister ? Puis ce fut le tour du trailer d'Avengers Infinity Wars. Au secours ! On appelle toujours ça du cinéma ? Vous êtes sûr ? C'est bien du "7ème art" ? Quelle horreur... C'était d'ailleurs la première fois que je ressentais ça avant la séance, à me demander "Mais qu'est-ce que tu fous ici ?!". J'espérais que tonton Spielby me donne une réponse plus claire. Une vraie bonne raison d'être venu là, dans ce multiplexe affreux. J'attends encore.
Ready Player One de Steven Spielberg avec Taylor Sheridan, Olivia Cooke et Ben Mendelsohn (2018)
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