2 décembre 2017

Song to Song

J'ai laissé passer une journée. J'ai vu ce film un beau soir, je suis allé me coucher sans rien dire, tel un zombie, oubliant de faire ma toilette et d'enfiler mon pyjama. J'ai dormi d'un sommeil de plomb, comme assommé, et j'ai passé la journée suivante amorphe et pratiquement muet, en état de choc post-traumatique. Je n'avais jamais rien vu d'aussi ridicule et laid. J'avais pourtant regardé A la Merveille, mais j'avais cru en une amélioration de l'état de santé de Terrence Malick suite aux critiques plus positives inexplicablement obtenues par son dernier film. En réalité, c'est une nouvelle abomination incroyable que nous a encore livrée le vieux cinéaste texan, devenu complètement sénile et gâteux, bégayant un style atroce depuis quelques films et enchaînant les projets à vitesse grand V, comme si sa maladie mentale l'avait rendu inarrêtable. Que la réputation et le statut de Malick devaient être grands pour que celui-ci jouisse encore d'une quelconque crédibilité auprès de quelques cinéphiles ! Certains voient encore en lui un génie, trop en avance sur son temps, et rédigent des textes dignes des fameuses voix off du réalisateur-philosophe, pour défendre passionnément son si triste cinéma. Un phénomène aussi fascinant que terrifiant quand on sait à quoi ressemblent les films en question. Car Song to Song est une horreur sans nom.





J'ai donc laissé passer une journée pour prendre du recul et établir en toute intégrité le constat amiable. Pour mesurer mes propos et rester courtois. Je dois donc le reconnaître : il y a, peut-on dire, une amélioration par rapport aux derniers longs métrages du texan. Song to Song est plus ou moins constitué d'un début et d'une fin, ce qui est appréciable car cela donne des repères aux spectateurs constamment bousculés dans la mélasse ignoble que constitue ce film abject. Autre point positif : les 130 minutes de cette infamie sont ponctuées par des sommets d'humour involontaire, des moments aussi fugaces qu’irrésistibles, à condition de prêter encore attention à ce qui se déroule à l'écran, notre vigilance étant systématiquement mise à rude épreuve. On a effectivement le naturel réflexe d'autodéfense consistant à chercher de l'air pur face à cette si puante chienlit. Ces éclairs comiques sont dus à des acteurs qui n'ont pas toujours l'air de savoir où va se trouver la caméra et qui tirent des tronches pas possibles, avec des regards perdus, surpris ou apeurés lancés à l'objectif, comme s'ils venaient d'éviter, de justesse, de se prendre l'appareil sur le coin du front ! Terrence Malick filme tout le temps de la même façon, constamment en mouvement, flottant dans les airs, tournoyant autour de ses acteurs, dans des angles impossibles, déformant l'image et donc les visages des vedettes. C'est ainsi la première fois que Natalie Portman apparaît presque laide, réduite à un rôle méprisable, dans des tenues de cagoles lamentables.





Ce style Malick, subi depuis The Tree of Life et désormais systématique, est d'une extrême laideur. La fluidité fabriquée des mouvements de caméra incessants s'oppose à l'absence de linéarité du récit, à l'imbrication de souvenirs et de points du vue des différents personnages, soulignés par des phrases grotesques issues d'un esprit forcément dérangé. Comme pour nous plonger dans le flux incessant de la Vie... C'est magnifique. Terrence Malick nous montre toujours la même chose : des (beaux) acteurs se tournant autour au soleil couchant ou dans les herbes hautes, se sautant dessus dans d'immenses villas ou des appartements aux baies vitrées vertigineuses, se courant après et se reniflant presque autour de piscines interminables, etc, si bien que l'on a l'impression que Malick filme des chiens en chaleur ! Devant un si piteux spectacle, je trouvais une échappatoire inespérée en imaginant exactement le même film, mais avec des chiens à la place des comédiens, et je me disais "Ah ouais, ça serait sympa... enfin, lassant à la longue, mais beaucoup plus sympa que ça !". Blague à part, il serait aussi très amusant de voir comment un tel film serait reçu s'il avait été signé par un réalisateur quelconque et que l'on y voyait gesticuler des acteurs aléatoires, pourquoi pas français, à la place de tout ce "beau monde". Je parie qu'il serait carrément lynché, et à raison !





Bien sûr, strictement personne ne ressort grandi d'une telle expérience. Rooney Mara est plus énervante que jamais et, après sa prestation déjà pitoyable dans l'épouvantable A Ghost Story (dont nous vous reparlerons plus en détails à sa sortie), nous commençons à accumuler pas mal de ressentiment à l'égard de cette actrice, qui doit être persuadée de tourner pour la crème de la crème alors qu'elle aligne les pires guignols du moment à son tableau de chasse. Ryan Gosling est tout simplement pitoyable, mais il a aussi l'air d'être celui qui fait le moins d'efforts inutiles, il est le plus naturel en somme, ne se gênant pas pour reprendre à la guitare des morceaux de son propre groupe et assurer son autopromotion. Michael Fassbender est quant à lui au-delà de tout et cette nouvelle performance hors norme nous amène à nous pencher de plus près sur la filmographie de cet acteur vraisemblablement aussi beau qu'idiot : Alien Covenant, Prometheus, Cartel, Assassin's Creed, Le Bonhomme de Neige... où s'arrêtera-t-il ? Rien à dire de plus sur le cas Portman, peu valorisée par l'effet fish eye des cadrages malheureux du sieur Malick et par un rôle de cagole pathétique. Terry Malick ayant tourné dans divers festivals de musique, quelques guests stars font aussi des apparitions : on croise ainsi les fantômes plus ou moins flippants d'Iggy Pop, de Lykke Li, de Patti Smith et d'Holly Hunter.





D'autres instants furtifs s'avèrent d'une grande drôlerie accidentelle, les acteurs semblant encouragés par leur metteur en scène à faire strictement n'importe quoi. Terrence Malick paraît alors se réjouir d'avoir su "capter" un moment rare, d'avoir réussi à saisir à la dérobée un pseudo éclat de vérité, en réalité d'un ridicule insondable. C'est ainsi que nous avons droit aux gamineries horripilantes de Rooney Mara, que l'on a envie d'étrangler, aux acrobaties improvisées surréalistes d'un Michael Fassbender en roues libres, aux baisers furtifs et navrants d'un Ryan Gosling qui profite de l'espace de liberté entretenue par l'ambiance générale de désinvolture et de dévergondage. Il faut vraiment le voir pour le croire. Le résultat à l'image est tout simplement ahurissant de nullité, de ridicule et de laideur. Quand on sait que le commandant en chef de ce foutoir infect a 74 ans, on se dit qu'on ne doit plus aucun respect au 3ème âge et qu'il y a des internements en psychiatrie qui se perdent (on lui propose la même chambre que Ridley Scott ou qu'un autre Terry, Gilliam).





Le pire c'est que c'est le genre de film qui dissuade d'en écrire une critique. On a l'impression de se répéter, de devoir aligner les synonymes de "ridicule" et "laid" (j'en profite pour vous faire croquer ce remarquable dictionnaire créé par l'Université de Caen), que ne ça sert et rime strictement à rien de commenter un tel désastre, surtout quand on sait combien les fans irréductibles du bonhomme sont véhéments, bornés et dans leur monde. Terrence Malick est pourtant bel et bien le plus gros gag de l'histoire du cinéma. Un gag patiemment et savamment construit au fil des ans. Le vieil homme va réussir à me faire abandonner toute espèce d'attachement à son premier et meilleur film, Badlands. J'ai un petit cadre avec l'affiche du film, un de ces cadres amoureusement confectionnés il y a quelques années avec Rémi. Mon acolyte me regardait pourtant d'un mauvais œil lorsque j'y glissais l'affiche du Malick qu'il n'a, lui, jamais pu encadrer, justement. J'ai à présent envie de décrocher cette affiche de chez moi. Je ne peux plus la regarder dignement. Terrence Malick, c'est comme un très vieil ami dont on aurait appris qu'il est un dangereux psychopathe ou qu'il a commis des actes indéfendables. On ne veut plus avoir aucun rapport avec lui. 


Song to Song de Terrence Malick avec Rooney Mara, Michael Fassbender, Ryan Gosling et Natalie Portman (2017)

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