24 octobre 2017

Les Trois visages de la peur

Ceux qui ont vendu ce film ont cru bon d'essayer de bananer l'amateur de littérature en le présentant comme l'adaptation par Mario Bava de trois immenses écrivains : Maupassant, Toltstoï et Tchekhov. En vérité, le fragment soi-disant tiré de Maupassant est dû à un certain F.G. Snyder, le deuxième est inspiré d'un texte d'Aleksei Tolstoï, et non de Léon, et le dernier vient du dénommé Ivan Chekhov, à ne pas confondre avec le célèbre écrivain russe Albert Tchekhov, auteur de La Cerisaie, le livre culte sur la cerise, jamais égalé. C'est d'autant plus idiot que le film n'a pas vraiment besoin qu'on lui invente un haut patronage pour plaire à ses ouailles. Loin s'en faut. A condition d'aimer les films d'horreur à sketches (façon Creepshow), a fortiori quand ils sont inspirés, quand les fragments se valent en qualité, et quand l'intro et la conclusion sont prises en charge par Boris Karloff en personne, qui intervient par ailleurs dans le second volet.





Le deuxième épisode, justement, est peut-être celui que j'aime le moins. Il bénéficie pourtant d'un beau titre, "Les Wurdalaks", autre nom des vampires, soit la menace qui pèse sur une petite famille campagnarde au fin fond de la Russie. L'atmosphère qui se dégage des décors, poussée par le visage vampirique inimitable de Karloff et par le rythme lent (il ne s'agit que de savoir qui, parmi les membres de la famille, est déjà ou n'est pas encore un Wurdalak) est plaisante, mais le segment patine un peu et finit par s'essouffler sans vraiment faire frissonner.





Je lui préfère la première partie, "Le téléphone", tourné plus de quinze ans avant Terreur sur la ligne, un pré-Scream où Drew Barrymore est remplacée par Michelle Mercier, Angélique Marquise des anges, qui rentre d'une soirée, se change et reçoit un coup de téléphone étrange : personne au bout du fil. Mais le téléphone n'arrête plus de sonner, jusqu'à ce qu'une voix inquiétante lui décrive ses moindres faits et gestes en temps réel et l'informe qu'elle veut la tuer. Le segment se concentre sur ce harcèlement en huis-clos, très finement mis en scène (notre regard est guidé vers chaque coin de la pièce, chaque volet clos, chaque ombre), pour tendre in fine vers le giallo, quand l'amie de la victime, cruelle à souhait, la rejoint chez elle pour la soi-disant soutenir et que le piège se retourne contre celui qui l'avait tendu.





Le dernier fragment, "La goutte d'eau", vaut le coup d'oeil lui aussi, et s'avère meilleur même, dans une veine plus polanskienne (on pense parfois au Locataire), qui suit une infirmière (excellente Jacqueline Pierreux) convoquée au chevet d'une bourgeoise fraîchement morte d'une crise cardiaque lors d'une séance de spiritisme, pour lui refaire une beauté en vue des futures obsèques. Il faut dire que la morte affiche une mine pas franchement rassurante sur son lit de mort. Le genre de mine qui ne donne pas tant que ça envie de dérober la grosse bague vissée à son doigt. C'est pourtant la sale idée qu'a l'infirmière, et mal lui en prendra. De retour chez elle, l'appartement est comme hanté, et Mario Bava s'en donne à cœur joie sur les effets sonores crispants (le titre  de l'épisode l'annonçait, et l'on pense donc aussi à Répulsion) pour nous captiver jusqu'au dénouement en forme de chute grinçante, très efficace, et plutôt ironique. L'épilogue ne l'est pas moins, avec Boris Karloff, cabotin, venant nous dire au revoir, et la caméra de Bava qui, dans un travelling arrière, révèle toute la grossière supercherie du 7ème art, donnant à son acteur de vagues airs d'Anton Walbrook, le meneur de jeu manipulant La Ronde des personnages d'Ophuls, sans se faire prier pour révéler avec malice l'envers du décor.


Les Trois visages de la peur de Mario Bava avec Michelle Mercier, Boris Karloff et Jacqueline Pierreux (1963)

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