Comme tout le monde, on a longtemps cru que l'affiche était à l'envers, comme tout le monde, on l'a retournée au moment de la placarder au-dessus de notre lit. Mais non, aucun couac dans ce film cousu de fil blanc. Il serait trop long de faire le tour du casting et de présenter chaque force en présence. On peut se concentrer sur les trois têtes d'affiche. Commençons par celui qu'on voit de loin. Tim Robbins, qu'ils ont raccourci sur l'affiche pour ne pas qu'il mange la tagline, est là pour morfler, comme dans 99% de ses rôles, avec son regard d'agneau et son air de chien battu. L'autruche de Baltimore finit 9 films sur 10 la tête dans l'eau, et Mystic River ne fait pas exception à la règle. Excusez-nous pour le spoiler, mais qui n'a pas vu ce film ? Même quand il est sorti sur les écrans, tout le monde connaissait sur le bout des doigts le scénario diabolique imaginé par le malade Denis Lehaine, l'écrivain américain jadis maçon de profession qui sait bâtir des intrigues en béton armé et charpenter des personnages en bois massif. Sur Robbins, pas grand chose à rajouter. Il se contente d'encaisser les coups comme un phoque sur la banquise, vulnérable et adipeux, de nouveau pris pour cible, la faute à son charme naturel de charognard à la manque.
1er jour de tournage : Sean Penn sort de sa caravane et s'en prend à Tim Robbins. La prod' est obligée d'appeler la police pour calmer la vedette.
Attaquons-nous au gros morceau. Sean Penn dit avoir "tout appris" de ses deux métiers (acteur et comédien) sur ce film. Sous les ordres d'Eastwood, dont il partage les opinions politiques d'extrême-droite, la collaboration fit des étoiles. Habité et enragé par son rôle, Sean Penn, chaque matin, à peine sorti de sa caravane, surgissait sur le plateau tel un boxer trop longtemps calefeutré sur son tabouret dans l'angle du ring, et mettait des roustes à Tim Robbins, quant à lui clairement engagé à gauche (pour rappel, la "gauche" en Amérique correspond grosso mierdo à notre FN français), soit à l'opposé de l'échiquier politique au pays de l'Oncle Sam.
2ème jour de tournage : sur le qui-vive, la police stoppe un acteur trop préparé pour le rôle, juste avant que son pied ne touche le pas de la porte de sa caravane.
Sale ambiance sur le plateau, mais comme souvent au cinéma, c'est dans les pires conditions qu'on chie des pépites d'or. Pour preuves, l'animosité qui régnait entre Humphrey Bogart et Lauren Bacall, qui les a amenés à en découdre plus que souvent, ou encore Paul Newman et Bob Redford, dont l'inimitié légendaire a pourri plus d'une cérémonie prestigieuse (dieu merci le sang ne se voit pas sur un tapis rouge) et ruiné plus d'un tournage, mais accouché de quelques merveilles instantanées.
3ème jour de tournage : la colère ne faiblit pas. Avant même d'avoir pris sa douche et après une nuit de cauchemars, Sean Penn débaroule hors de sa caravane tel un lion hors de sa cage. Dieu soit loué, Tim Robbins est sous bonne garde.
Bref, le Penn, Shaüwn Penn, ce facho reconnu, qui est l'incarnation du smiley inversé (":-("), n'a pas eu à se forcer pour tirer une tronche de dix kilomètres de long avant, pendant et après chaque clap du maître de guerre Eastwood. Rappelons que ce dernier, peu de temps avant, incarnait son propre rôle de Casper dans le film Casper. Il faut donc bien dire que Mystic River a été le film coup de poing d'Eastwood, c'est à partir de là qu'il a renoué avec la critique et le succès. Les journalistes ont un peu mis de côté ses engagements politiques de fumier (ultra libéral, chacun pour sa peau, oeil pour oeil dent pour dent, an eye for an eye et and a tooth for a tooth, l'oeil était dans la tombe et regardait Casper, pro-NRA, pro-IVG, go-vegan, healthyfood, fitness therapy, etc.), pour le consacrer grand manitou du cinéma américain néo-classique aux côtés de Cristi Puiu et Cristian Mungiu. Nous ne tarirons pas d'éloges sur ce film, puisqu'on vient de lui en faire pas mal.
Dernier jour de tournage : Sean Penn n'aura pas réussi à "se faire" Tim Robbins. Plusieurs policiers de Baltimore sont mis au vert pour quelques mois. Ceux-là mêmes qui disent avoir régulé le soulèvement de Los Angeles en 1963 affirment avoir eu plus de difficultés à maîtriser "le Penn".
Ce film nous a marqués à jamais (si c'est bien dans celui-là qu'un vieux raciste apprenti boxer récure sa bagnole en proposant un échange entre un petit gamin et un joueur de rugby à qui il répète en boucle "Mo Cuisha") - sacré Lehaine ! On se souvient encore de cette image finale, un regard-caméra d'école, où Kevin Bacon, sis à côté de Laurence Fishburne à l'enterrement de feu l'innocent et saint Tim Robbins, fixe le Penn du regard (et à travers lui le spectateur, complice de sa culpabilité) en lui adressant un clin d’œil qui veut dire "Je sais tout, et je ne ferai rien, puisque t'as déjà neigué Robbins, qui de toute façon allait finir comme tel". Un deus-ex-machina qui nous laisse pantois. Décidément, cette rivière sur laquelle on voit défiler le cadavre de Robbins, gonflé d'eau comme un gnou ayant su échapper aux crocos mais un peu trop soiffard, était vraiment mythique. Le dicton ne dit-il pas : "Reste le cul vissé à la berge, tu verras passer le corps de Tim Robbins" ?
Mystic River de Clint Eastwood avec Sean Penn, Tim Robbins, Kevin Bacon, Lawrence Fishburne, Laura Linney (2003)
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