Nous accueillons aujourd'hui Simon, l'un de nos rédacteurs intermittents, pour faire l'éloge du dernier film en date du très prolifique cinéaste coréen Hong Sang-soo :
Hong Sang-soo nous a habitués aux constructions narratives très particulières, non linéaires, à un travail très original sur la répétition, l’écho… Ce film-là ne déroge pas à la règle. Il est scindé en trois parties : Isabelle Huppert y incarne trois déclinaisons d'un personnage de française en visite dans une petite station balnéaire coréenne, dont elle rencontre les habitants ou les autres visiteurs (sa jolie logeuse, un jeune et beau maître-nageur, un couple attendant un enfant et dont le mari est cinéaste, un moine bouddhiste...), entre attirances et incompréhensions linguistiques ou culturelles, promenades côtières et soirées arrosées, jeux amoureux et discussions philosophiques. Cette construction en trois parties ne va pas sans une certaine redondance et quelques plages de lassitude, qu’on pourrait cependant qualifier de « lassitude positive », une espèce de langueur très agréable mêlée d’incessantes petites pointes de curiosité, qui n’a rien à voir avec de la paresse : le film est en effet extrêmement précis, il n’est que variations (comme on parlerait de variations autour d’un thème musical), correspondances très subtiles entre les différentes parties, les différents personnages, les différentes situations. En certaines occasions Hong Sang-soo opère même des transferts « physiques » entre parties qui aboutissent à des effets de surnaturel étonnants (un exemple parmi d’autres : dans la première partie, sur la plage, le personnage d’Isabelle Huppert manque de se couper le pied sur une bouteille de soju cassée… qu’on voit son personnage de la troisième partie jeter là dans un moment d’ébriété).
Hong Sang-soo nous a habitués aux constructions narratives très particulières, non linéaires, à un travail très original sur la répétition, l’écho… Ce film-là ne déroge pas à la règle. Il est scindé en trois parties : Isabelle Huppert y incarne trois déclinaisons d'un personnage de française en visite dans une petite station balnéaire coréenne, dont elle rencontre les habitants ou les autres visiteurs (sa jolie logeuse, un jeune et beau maître-nageur, un couple attendant un enfant et dont le mari est cinéaste, un moine bouddhiste...), entre attirances et incompréhensions linguistiques ou culturelles, promenades côtières et soirées arrosées, jeux amoureux et discussions philosophiques. Cette construction en trois parties ne va pas sans une certaine redondance et quelques plages de lassitude, qu’on pourrait cependant qualifier de « lassitude positive », une espèce de langueur très agréable mêlée d’incessantes petites pointes de curiosité, qui n’a rien à voir avec de la paresse : le film est en effet extrêmement précis, il n’est que variations (comme on parlerait de variations autour d’un thème musical), correspondances très subtiles entre les différentes parties, les différents personnages, les différentes situations. En certaines occasions Hong Sang-soo opère même des transferts « physiques » entre parties qui aboutissent à des effets de surnaturel étonnants (un exemple parmi d’autres : dans la première partie, sur la plage, le personnage d’Isabelle Huppert manque de se couper le pied sur une bouteille de soju cassée… qu’on voit son personnage de la troisième partie jeter là dans un moment d’ébriété).
Même subtilité dans la mise en scène, à la fois discrète et précise, et traversée des trois mêmes motifs forts, les mêmes qui habitaient déjà certains de ses films précédents (dont le beau The Day He Arrives sorti en début d’année) : longs plans fixes sur les personnages qui discutent, laissant les comédiens développer leur jeu et définir le tempo des scènes ; lents panoramiques sur les personnages qui se déplacent, tout en variations de rythme et en hésitations (on voit souvent Isabelle Huppert hésiter, au bout d’une rue, sur la direction à suivre… dans chaque partie son choix est différent et semble dicter ce qui va suivre) ; zooms de recadrage brusques et violents, qui contribuent à donner au film une certaine étrangeté poétique, à le placer à la fois sur le terrain du conte léger et de l'œuvre réflexive (je ne l'ai pas encore précisé, mais ces trois histoires sont censées sortir de l'imagination d'une jeune scénariste coréenne elle-même en visite dans la petite ville, et qu'on voit au début du film et entre chaque partie).

In Another Country est cependant tout sauf austère et fermé sur son système, car à cette belle sophistication formelle et structurelle se superpose une grande légèreté de ton et de contenu, comme souvent chez Hong Sang-soo où on passe le plus clair de son temps à parler d'amour et à faire l'amour en buvant du Soju. Certains reprochent au coréen une certaine flemmardise, une certaine facilité. Hong Sang-soo ferait toujours le même film, centré sur le même genre de personnages, sur les mêmes problématiques futiles. C’est évidemment faux, les flâneries et les marivaudages qui peuplent ses films, teintés d’une grande mélancolie, cachant une qualité d’observation et une richesse émotionnelle qui ont peu d’équivalents dans le cinéma contemporain. Ce qui n’empêche donc pas le film d’être très drôle, dans son écriture et ses répétitions mêmes, mais aussi grâce aux comédiens, aux corps desquels le cinéaste s’intéresse beaucoup, et qui font souvent tendre le film vers le burlesque. Yu Jun-sang (troisième film avec Hong Sang-soo, et le deuxième cette année après The Day He Arrives dont il incarne le personnage principal avec brio), qui interprète le maître-nageur, apporte une vitalité (les dialogues anglais insistent d’ailleurs beaucoup sur son métier de lifeguard) qui doit autant à la simplicité du personnage, accentuée par son anglais sommaire, qu’à son sex-appeal indéniable. Isabelle Huppert fait quant à elle oublier son habituelle froideur pour confirmer son très grand potentiel comique (ses déplacements sautillants, ses petits éclats de voix enthousiastes, le tout relevé par la fraîcheur de son jeu en anglais…), dont il ressort quelque chose de joyeux, d’enfantin, de l’ordre du jeu. Sa prestation, qui ne souffre néanmoins aucune approximation, est à l’image du petit miracle d’équilibre qui fait le prix de ce bien beau film, et de l’œuvre d’Hong Sang-soo en général.
In Another Country de Hong Sang-soo avec Isabelle Huppert, Yu Junsang et Jung Yumi (2012)