De nombreux experts refusent d'admettre l'existence du Syndrome de Merrye, appelé ainsi parce qu'il n'a été observé que parmi la descendance d'un certain Ebenesiah Merrye. Cette étrange maladie se caractérise par une régression infantile progressive se manifestant vers l'âge de dix ans et s'aggravant inexorablement tout au long de la vie du malade. On dit même qu'au final la victime régresserait à un stade prénatal, retournant à une condition pré-humaine de sauvagerie et de cannibalisme. Dans une vieille maison de maître reculée et en décomposition, les trois derniers descendants de la famille Merrye vivent en autarcie avec leur tuteur et chauffeur, Bruno (Lon Chaney Jr.), qui promit à leur père de s'occuper d'eux. Un beau jour, deux parents éloignés se rendent dans l'ancienne demeure avec leur avocat afin d'examiner et de revendiquer la propriété comme héritiers légitimes. Le contrôle fragile de Bruno sur les trois enfants Merrye, deux jeunes filles délurées et leur grand frère attardé, va alors se détériorer peu à peu puis totalement céder, pour laisser place au chaos et à la folie pure. Voici donc le résumé de ce film unique en son genre réalisé par Jack Hill.
Jack Hill occupe une place à part dans le monde étrange et obscur du cinéma bis. Lancée par Roger Corman, sa carrière relativement éphémère et discrète marqua néanmoins le cinéma d’exploitation américain. Cet artisan de la série B signa son plus grand succès en 1973 avec un film de blaxploitation sobrement intitulé Coffy, la panthère noire de Harlem, un polar urbain violent mettant en vedette la plantureuse Pam Grier. Réalisé neuf ans plus tôt, Spider Baby est le film le plus personnel de Jack Hill. Tournée en moins de deux semaines pour un budget de 65 000 dollars, cette œuvre inclassable dont le titre initial était Cannibal Orgy or the Maddest Story Ever Told a failli ne jamais être visible et a dû attendre quatre ans avant d’être découverte par un petit cercle de privilégiés, lors d'une sortie en salles très confidentielle en 1968. Récemment édité en dvd, c’est avec un plaisir sans égal que nous pouvons aujourd’hui redécouvrir ce film au charme si singulier et qui, au fil des ans, a réussi à acquérir une enviable réputation, tout à fait méritée.
Après un générique qui a le mérite d'annoncer la couleur en beauté fait d’animations cartoonesques sympathiques accompagnées d’une comptine amusante et morbide, superbement chantée par Lon Chaney Jr dans un style proche de Tom Waits, nous nous retrouvons donc parachutés dans une ambiance macabre totalement réussie et brillamment mise en place par Jack Hill. Cette atmosphère assez savoureuse a également pour effet de très vite et agréablement nous faire rentrer dans ce film a priori assez bizarre et donc peu engageant. Cette immense maison, nichée quelque part dans un trou perdu de l’Amérique, dégage un climat d’épouvante gothique dans lequel on plonge avec délice, savamment mis en valeur par un très beau noir et blanc. Mais ce qui captive le plus dans le Spider Baby de Jack Hill réside plutôt dans la façon qu’a le récit de se teinter d’un humour noir particulièrement étonnant et bienvenu, qui permet en outre d’échapper au sérieux qui était habituellement la règle dans les films fantastiques classiques de cette période, pour mieux nous proposer quelque chose de bien plus insolite et original. Ce ton très particulier, né de ce second degré omniprésent mais qui ne vient jamais parasiter le développement du film, apparaît donc très moderne pour l’époque. Les scènes les plus réussies du film sont ainsi celles où l’angoisse côtoie le rire, dans un univers contaminé par une vraie folie, donnant lieu à quelques scènes savoureusement décalées. On relèvera aussi quelques scènes dont les discrètes connotations sexuelles donnent un côté un peu malsain au film tout à fait bienvenu aussi et participant pleinement à son originalité. La délicieuse scène d'introduction, où l’un des personnages cite l'extravagant Dictionnaire des Maladies Rares et Étranges et commence à nous narrer l'histoire, et la conclusion, en forme de pirouette à l’humour ravageur, sont à l’image du film tout entier : une très sympathique réussite, régulièrement surprenante, dont la découverte est un vrai plaisir de cinéphile.
L’interprétation est aussi l’un des points forts du film, à commencer par la prestation remarquable de Lon Chaney Jr, qui avait déjà prêté ses traits au loup-garou du classique du cinéma d’épouvante de 1941 réalisé par George Waggner. L’acteur parvient avec beaucoup de talent à donner de l’épaisseur à son personnage, ce père de substitution au grand cœur, très touchant dans son attachement à cette famille de détraquée. L’interprétation inspirée de Lon Chaney Jr rend véritablement poignant cet amour sans faille que son personnage porte à ces enfants anormaux. Les deux jeunes actrices qui incarnent les sœurs inséparables semblent quant à elles s’en donner à cœur joie quand il s’agit d’insuffler de la vie et de la folie à cet imprévisible duo, tout particulièrement la jolie brune Jill Banner, au charme vénéneux. Quant à Sid Haig, que nous avons depuis revu dans les films de Rob Zombie, il est tout simplement parfait dans le rôle du grand frère débile puisque l’on jurerait qu’il ne joue pas. A l’évidence, cette famille de dégénérés furieux en a inspiré bien d’autres. Et si Spider Baby n’est peut-être pas un chef d’œuvre absolu du genre, il s’agit à mon sens d’un film important. Un peu à l'image du remarquable Carnival of Souls de Herk Harvey, le film de Jack Hill est une véritable curiosité dont il serait bien difficile de mesurer l’influence mais que l’on peut aisément considérer comme une sorte de chaînon manquant entre Psychose et Massacre à la tronçonneuse. Une œuvre à redécouvrir dont on peut aujourd'hui mieux apprécier toute la valeur, la portée et la singularité.
Spider Baby de Jack Hill avec Lon Chaney Jr., Jill Banner, Sid Haig et Beverly Washburn (1964)