Tout grand réalisateur a commencé par un grand film. Dans un article intitulé "Voilà pourquoi je suis le plus heureux des hommes" (Esquire, 1969), François Truffaut écrivait : "Les progrès ? C'est de la blague. Il faut essayer d'en faire, mais il est bon de savoir qu'ils seront dérisoires par rapport à la richesse qui est en nous et qui s'est exprimée dans le premier rouleau de pellicule impressionnée : tout Bunuel est dans Un chien andalou, tout Welles dans Citizen Kane, tout Godard dans A bout de souffle, tout Hitchcock dans The Lodger". Eh bien de même, tout Bezançon est dans Ma vie en l'air. Et je parle pas seulement du talent de Rémi Bezançon, mais aussi de la ville de Besançon, filmée sous tous les angles par son plus fidèle citoyen. Et si vous avez eu le malheur de voir Ma vie en l'air, vous saurez que tout Rémi Bezançon ça pèse pas lourd, et si cette première œuvre était une baffe dans la gueule du spectateur, son second film, si bien-nommé Le premier jour du reste de ta vie, est un grand coup de machette sans anesthésie qui vous traversera de part en part en passant par nombre d'artères principales et d'organes vitaux.
Inutile de s'éterniser puisque des centaines de travaux universitaires verront bientôt le jour pour percer les mystères de l'œuvre abyssale de Rémi Bezançon, qui est en lice pour recevoir une poignée de Césars dans quelques jours, dont ceux du meilleur réalisateur ou du meilleur film. Là j'ai un ton assez ironique, un peu détaché, pince sans rire, tendance humour british, mais je vais essayer de vite m'en défaire, pour ne pas m'y emprisonner et faire l'honneur d'une ombre de subtilité au film de Rémi Bezançon. Nous sommes en présence d'un des pires films jamais réalisés dans l'histoire du monde. Je crois que je n'aurais pas de mal à le ranger parmi les 10 films les plus laids que j'ai jamais vus... Ou peut-être, parmi les 5 films les plus laids ? Parmi les 5 films les plus laids que j'ai jamais vus... Pour une fois je n'ai vraiment aucune sorte de scrupule à enterrer ce film sous des monceaux d'insultes, dont je m'épargne la lourde et pénible tâche d'en faire la liste par cette phrase même. D'ailleurs le seul fait d'affirmer que ce film fait partie des plus grosses saloperies jamais impressionnées sur pellicule est une facilité que je me permets enfin, alors qu'elle me tend souvent les bras, parce qu'il y a urgence, parce que ce film a reçu un beau succès aussi public que critique, et qu'il importe d'en parler sans ambages.
Par où commencer quand on a déjà hâte d'en finir... Ce film c'est en quelque sorte l'invasion du cinéma français par la série américaine moyenne. Cinq épisodes, cinq tranches de vie minables, faîtes de moment tantôt graves tantôt légers, cinq étapes charnières de la vie des membres d'une même famille, une suite de sketches rapides et faciles à avaler, ponctués de clips musicaux, une multitude de saynètes chorales toutes construites sur le même patron, le tout se voulant pontifiant et plein d'une vision de la vie aussi misérable que banale, tout à fait dépourvue d'intérêt. Le film est scandé par des scènes d'une vulgarité accablante, et l'on se sent presque coupable d'être choqué par ces instants de profonde bêtise et de grossièreté infinie où Déborah François (dans le rôle d'une fille de 16 ans...), passe cinq minutes face aux parents du garçon qu'elle vient de sucer, incapable de répondre à leurs questions la bouche encore toute pleine de sperme. Suis-je puritain ? Suis-je un catho confirmé ? Suis-je un quaker oats ? Ou bien suis-je tout simplement un être sensible et plus ou moins délicat, facilement attristé par le son que fait l'actrice, hors cadre, en train de cracher le fruit de sa première fellation dans un lavabo, la semence retenue semblant correspondre au contenu d'un bon cubi. Et n'allez pas croire que j'invente cette séquence. Il m'arrive de fabuler parfois ou d'exagérer les scènes les plus détestables des films tels que celui-ci, mais là tout est tristement exact. Je n'invente rien. Seul Rémi Bezançon en était capable. Sans parler de cette autre scène où la jeune fille perd sa virginité avec le même canfre, observée par le fantôme de son enfance, qu'elle semble abandonner pour de bon tandis qu'une flaque de sang digne du Shining se répand sous la porte de la salle de bain. Là aussi vous allez m'accuser de diffamation, de prendre Bezançon en grippe, de fantasmer au détriment de cet homme. Mais je vous jure sur ma vie qu'il n'en est rien. Je ne dis rien que d'honnête. Et je préfère ne pas m'étendre sur les autres séquences infamantes de ce pur produit américain étiqueté made in France par de multiples références aux grands vins du Brulhois, subrepticement placées entre deux grandes lampées de namedropping qui rallieront les zicos et autres connards finis à la cause Bezançonnaise.
Et puis sur ces cinq tranchasses de vie, deux sont consacrées aux femmes de la famille. D'abord la jeune fille dont nous venons d'évoquer le sordide cas, puis la mère, interprétée par Zabou Breitman. Dans les deux cas, le jour le plus important du reste de leurs vies de merde est intrinsèquement lié à leur sexualité. Tandis que la première devient femme en perdant sa virginité dans ce qui ressemble à un nécessaire viol étrangement consenti (le passage d'une femme à l'âge adulte ne peut advenir autrement d'après Besancenot), l'autre, en pleine ménopause et mal baisée par son époux, a besoin de perdre la moitié de son visage dans un accident de voiture pour que ce dernier daigne la regarder à nouveau avec envie, ce qui redonne à sa vie la pleine mesure de son utilité. Je ne suis pas une chienne de garde, mais je pourrais facilement niaquer Bezançon jusqu'au sang si l'occasion se présentait au détour d'une rue.
La mise en scène de ce film est celle d'une publicité EDF mal fagotée. Chaque plan, chaque cadre, chaque lumière, chaque cut, est empreint d'un maniérisme éculé et pitoyable. Bezançon sort probablement d'une grande écoles de gros cons. Il est plein de tics, cet homme là est un ticard, un tocard, il a des tics, des troubles. Et il peaufine sa bande originale comme une petite reine, comme la dernière des Coppola, fier de faire copiner David Bowie et Etienne Daho, auquel le film est certainement dédié. Bezançon filme une scène de repas familial vouée à imager la réconciliation générale en faisant tourner sa caméra tout autour de la table, dans un sens puis dans l'autre, passant derrière les nuques rasées de près des acteurs en présence, tournant et retournant, encore et encore. C'est pesant à regarder, ça pèse, c'est lourd, n'est-ce pas. Tout ce film, tout ce cinéma-là est d'une lourdeur... ça pèse horriblement, c'est lourdingue à s'en foutre par la fenêtre de désespoir, il y a tant de poids là-dedans que c'est pas possible de le dire. Et au milieu de ce fourbis : le triste Jacques Gamblin, qui ferait bien de retourner moudre du café sous son vrai nom Jacques Vabre. Ce type-là a le nez qui s'allonge quand il ment, ce qui lui vaut, je ne vous apprends rien, d'être surnommé Pinocchio. Or quand il joue la comédie, par définition, il ment. Alors il traîne un blair pas possible de film en film. Et tout autour de cet immense naseau rocheux, sa gueule fond comme neige au soleil sous la puissance des spots des studios, sous le soleil de Satan. Ce pseudo séducteur de merde est une horreur vivante, et je dis ça en ayant plutôt de la sympathie pour lui, à cause de mes parents qui l'aiment bien. C'est un tableau de Jérôme Bosch, ou de Munch, ou de Schiele, qui a pris la pluie et qui a fondu pour mieux dégouliner sur la planche. Il faut le voir se prendre pour Jimmy Hendrix...
J'ignore si ce petit texte est réellement digne d'intérêt. Mais c'était vraiment pour faire la paix avec moi-même, pour faire un point route, pour dissiper les nuages et pour pouvoir vivre le reste de ma vie comme s'entend, l'âme en paix. Le titre de ce film m'a tutoyé et moi je l'ai insulté en retour. Je l'ai "fait passer à travers". On m'a dit ça une fois dans un bar où je perdais une soirée de ma pourtant courte vie. J'avais bu un ou deux verres de trop et j'ai accosté une fille au hasard. Son maquereau est venu me menacer de "me faire passer à travers". J'ai tourné mes béquilles et je suis retourné baiser la poutre centrale du bâtiment, la poutre porteuse, ronde et douce, qui m'a contenté ce soir là, ce soir où j'ai bien failli "passer à travers".
Le Premier jour du reste de ta vie de Rémi Bezançon avec Zabou Breitman, Jacques Gamblin et Déborah François (2008)