Je n'aime pas m'abaisser à ce genre de pratique et je vous présente d'avance mes excuses, mais je n'ai guère le choix : je vais vous raconter ce film car je ne peux pas garder ça pour moi.
Pris de court est le récit d'une terrible parenthèse parisienne. Joaillière de son état, Nathalie Filancrochard (Virginie Efira) arrive de Toronto à Paris avec ses deux fils (Herbert, 8 ans, et Hübner, 14) pour travailler dans une nouvelle bijouterie. Au matin de ce qui devait être son premier jour de taff, un coup de fil l'informe sur son chemin que quelqu'un d'autre a finalement été choisi pour le poste. La tuile ! Premières minutes du film et déjà une grosse scène à jouer pour Virginie Efira qui excelle au téléphone et change parfaitement d'attitude à mesure qu'elle encaisse la sale nouvelle. Elle qui se tenait bien droite, démarche dynamique, allure presque enthousiaste, en tout cas volontaire, à la sortie du métro, fin prête à aller au boulot, termine la conversation affalée sur un banc public, la mine déconfite, ne sachant plus quoi faire. Dès la première scène, Virginie Efira nous annonce que le point faible du film, ça ne sera pas elle !
Pour limiter les coûts, les scènes en extérieur ont été filmées en caméra cachée
Tout s'écroule donc d'un seul coup pour ce personnage déjà fragile : on apprend en effet par la suite, et de façon particulièrement insidieuse, que Nathalie est une jeune veuve, elle a perdu son mari très prématurément il y a quelques années de cela, élevant seule ses enfants (hop, histoire d'en rajouter une couche, l'air de queud). Essayant de préserver les apparences et de garder la tête haute, Nathalie choisit de ne rien dire à ses enfants quant à sa situation professionnelle et de faire comme si de rien n'était. Elle aura beau traverser des tas de rues (on la voit faire !), elle ne trouvera pas de si tôt un nouveau poste de joaillière. Elle se résignera donc à accepter un boulot de serveuse dans un bar quelconque, donnant ainsi raison à ce zonard de Macron. Joaillières, horticulteurs, même combat : pour trouver un emploi, filez vers la restauration ! Ça recrute ! Vive la plonge au smic !
Virginie Efira, juste après la demi-finale France - Belgique !
Pendant ce temps-là, Hübner, l'aîné, fait tout simplement nawak. Parce qu'il a les cheveux longs et l'air dégingandé, il est logiquement pris pour cible par ses camarades de classe dès la rentrée. Il finira par trouver un pote en la personne de Fratrick, au look définitivement très eighties car il est le dernier collégien à porter un blouson en cuir (le film a un côté intemporel). Ce dernier demande à Hübner de lui rendre quelques petits services : transporter de mystérieux colis d'un point A à un point B dans Paris. Hübner s'exécute, en allant à fond les ballons sur ses patins à roulettes. A son retour, son pote le remercie en lui offrant le dernier iPhone. Flambant neuf ! Un mois ET DEMI de salaire de sa mère ! Un bien beau cadeau que Hübner, le sourire jusqu'aux oreilles, qu'il a bien décollées, accepte sans se poser de question. Quel con cet Hübner, sans dec' !
A en croire le look des collégiens, ce film se déroule dans une faille temporelle pleine d'anachronismes
Tandis que sa daronne travaille dur en tant que serveuse pour subvenir tant bien que mal aux besoins de la p'tite famille, Hübner continue d'enchaîner les conneries et s'enfonce de plus en plus profondément dans le grand banditisme ! Il bosse officiellement en binôme avec son pote Fratrick en obéissant aux ordres d'un gangster de pacotille campé par Gilbert Melki (qui fait ici très peu d'effort, très peu !). Hübner commence à amasser un beau pactole qu'il planque dans le tiroir de sa chambre, entre deux paires de chaussettes sales. Un beau soir, ce crétin d'Hübner finit même par embarquer dans ses mésaventures le tout petit et innocent Herbert (excellemment joué par Jean-Baptiste Blanc, vraiment, le gamin est bluffant, il faut voir ça, c'est la grande attraction du film), alors qu'il était supposé le garder sagement en attendant le retour de maman ours. Con d'Hübner !
Gilbert Melki apprend dans L’Équipe qu'il n'y a aucun Français sur le podium du Ballon d'Or 2018 !
Hübner part de plus en plus en vrille et se met aussi à parler très mal à sa mère ("Dégage de ma chambre connasse ! Tu déboules encore une fois comme ça dans ma chambre et j'te refais le portrait, Mamie Syphilide ne te reconnaîtra plus !"). Il faut dire qu'Hübner a découvert les mensonges de sa maman lors d'une de ses "courses", l'observant de loin au service d'un bar qu'il qualifiera de "miteux", de "trou à merde" et de "repère à vieilles putes comme toi" (sic !). Virginie Efira se montre convaincante lors de ces scènes d'engueulades familiales, pourtant toujours dures à gérer, dos au mur face à son ado en pleine crise de nerf (le jeune acteur donne alors libre cours à ses états d'âme et à sa véritable personnalité).
A deux doigts de la correction, Hübner...
Au passage, on pourra juste regretter qu'Efira n'arbore ici qu'une seule et même tenue : un petit pull fin, couleur peau (certes, parfois mis à rude épreuve), et une jupe longue. C'est du gâchis. Bref, ne glissons pas sur ce terrain-là ! Virginie Efira livre encore une solide prestation et c'est parce qu'on la sait bonne actrice qu'on s'est risqué devant ce film. Rien d'autre. On ne peut pas en dire autant de Gilbert Melki, en mode pilote automatique. Mais revenons à nos moutons...
En train de tester l'iPhone de contrebande confisqué à Hübner
Efira trouve enfin un nouveau job dans une bijouterie, faisant ainsi valoir son expérience et son diplôme en joaillerie fine. Du côté d'Hübner ça va de mal en pis ! Il participe à des braquages au domicile des particuliers, parfois avec violence, et quémande toujours plus de missions, synonymes d'oseille, à son patron. Un beau jour, une de ses courses tourne mal, et il se fait chiper un colis d'une somme de 75 000€ par des mecs cagoulés en scooter (grande scène). Cet incident met Gilbert Melki très en colère (mais il aurait pu s'y attendre, le gars laisse son petit commerce entre les mains d'ados débiles !). C'est là que le scénario prend une tournure encore plus diabolique, pour notre plus grand bonheur !
Gilbert Melki explique à Efira que c'est un scandale cette histoire de Ballon d'Or
Hübner ayant gueulé sous tous les toits que sa mère est bijoutière, Melki a la chic idée de lui demander de rembourser la somme perdue. "Cousin Hüb'", comme l'appelle son frère, alors que ce n'est pas son cousin mais son frère, est alors bien obligé de raconter ses exploits à sa mère qui, étonnamment, n'a pas le réflexe de lui décocher une droite de tous les diables ou un grand coup de pied bien placé sur le périnée. Maligne, Efira se demandera un peu plus tard si le vol du colis n'était pas un coup monté par Melki afin d'organiser le braquage de sa bijouterie ! Le scénario ne lèvera pas explicitement le voile là-dessus, préférant laisser planer le doute, et c'est tant mieux.
La famille au grand complet, manifestement dans un aéroport, car Herbert est fan des "zones d'interface" !
La dernière partie du film installe un suspense quasi insoutenable. Je vous écris ça la gorge nouée ! Emmanuelle Cuau sort les violons, se prend pour Hitchcock, mais c'est seulement dans sa tête. Son film, dont le plus grand mérite est d'être très court, a de tristes allures de téléfilm malgré tous les efforts de ses acteurs. On hallucine quand on découvre qu'ils s'y étaient mis à quatre pour écrire ce scénario d'outre-tombe : Emmanuelle Cuau herself (pilote du projet), Éric Barbier (conseiller banditisme), Lise Bismuth-Vayssières (conseillère joaillerie) et Raphaëlle Desplechin (la sœur d'Arnaud, pour la relecture finale). Quand on voit le résultat, ça laisse songeur !
Retour à la case départ pour Herbert
Pour se tirer d'affaire, Efira finira par tromper les braqueurs en ayant au préalable créé un faux du collier d'une valeur de 120 000€ (j'ai la mémoire des chiffres) sur lequel elle travaillait de longue date (rien n'étant laissé au hasard, Cuau ayant pris soin de glisser une petite scène sur ledit collier bien avant que celui-ci ne serve réellement à quelque chose, bien vu !). Notre charmante héroïne finira par s'envoler à Toronto avec ses deux gosses et le vrai collier autour du cou, vers une nouvelle vie, un nouveau départ ! L’œuvre d'Emmanuelle Cuau fait ainsi partie de ces films qui nous font croire qu'en cas d'énorme connerie commise quelque part, il suffit de mettre les voiles (si possible, vers une destination assez lointaine). N'empêche que la petite famille d'Efira gardera un sacré souvenir de son passage à Paris ! La boucle est bouclée, retour à Toronto et au dodo.
Pris de court d'Emmanuelle Cuau avec Virginie Efira et Jean-Baptiste Blanc (2017)