Qu'est-ce qui ne va pas, Philippe Lioret ? Qu'est-ce qui ne va pas !? Moi, je ne t'avais rien demandé, j'allais très bien, Philippe, tu n'aurais pas dû t'en faire ! Je passais une soirée plutôt tranquille, jusqu'à ce que je mate ton film. Je luttais simplement contre un mal de bide carabiné, conséquence logique d'un barbecue dominical chez mes beaux-parents. "Faire honneur aux repas", "avoir très bon appétit" étant la seule qualité qu'ils me reconnaissent, je m'étais donné pour mission de ne pas faillir à ma belle réputation. Hélas, mon organisme n'est pas habitué à ingurgiter autant de matières grasses, autant de viande grillée. J'ai un peu goûté à tous les vertébrés du monde ce dimanche-là. Ce barbecue, c'était l'Arche de Noé revue et corrigée à la plancha. Quelques feuilles de salades, c'est loin d'être suffisant pour aider à digérer tout ça. A l'heure qu'il est, je lutte encore, et je n'ai pourtant rien avalé depuis. Je suis à la diète. Je rechigne même à boire de l'eau. Rendez-vous compte ! Bref, sachez bien qu'à part cet important souci de digestion, tout allait pour le mieux au moment de lancer Toutes nos envies, le dernier rejeton de Philippe Lioret, cinéaste engagé à dégager, à qui l'on doit déjà l'abominable Je vais bien ne t'en fais pas et le médiocre Welcome.
J'avais à peu près cette mine lorsque j'ai lancé le film.
L'affichage de mon lecteur dvd m'indiquait qu'à peine 9 petites minutes venaient de s'écouler quand j'ai commencé à sombrer dans une sévère dépression mélancolique. Vincent Lindon n'avait même pas encore fait son entrée en scène. Apathique, je suivais innocemment les mésaventures de la belle Marie Gillain dans le rôle de Claire, une jeune juge d'instance confrontée aux personnes en situation de surendettement qui tente de venir en aide à la mère d'une amie de sa petite fille, prise dans l'étau d'un organisme de crédit impitoyable. Dit comme cela, ça n'a l'air de rien, mais croyez-moi, à l'écran, c'est la déprime totale. C'est fait de telle façon que ça vous colle illico un cafard monstrueux. L'énoncé clinique de toutes les sommes que doit la jeune maman endettée n'y est pas étranger. Le fait qu'elle se félicite d'avoir trouvé un emploi à mi-temps en tant que caissière dans un supermarché pourri, croyant cela suffisant pour rembourser ses dettes et subvenir aux besoins de ses trois enfants qu'elle élève seule, ça n'arrange évidemment rien à l'affaire. Ni une ni deux, j'envoyais fissa un mail à mon acolyte Rémi, fan hardcore de Marie Gillain, pour le prévenir de ne pas s'envoyer ce film un soir où son moral serait déjà défaillant. Sitôt le message d'alerte envoyé, je relançais le brûlot de Philippe Lioret et j'apprenais aussi sec qu'il ne restait plus que quelques mois à vivre à la douce Marie Gillain, atteinte d'une tumeur au cerveau incurable. Voilà pour les 10 premières minutes irrespirables de ce film terrible, qui nous prend brutalement en otage et nous saisit à la gorge pour ne plus jamais relâcher son étreinte.
Sérieusement, on n'a pas idée de commencer un film comme ça... J'étais à deux doigts de l'arrêter net pour ne plus jamais le relancer, animé d'une rancune tenace envers Philippe Lioret. Passé le premier quart d'heure, l'arrivée du personnage incarné par le toujours impeccable Vincent Lindon apporte un peu de lumière à ce film si glauque, si gris ; mais c'est tout de même trop maigre. L'acteur a beau faire tout son possible, apporter sa présence pleine de bonhomie et son charisme redoutable, cela ne suffit pas. D'ailleurs, Marie Gillain aussi est très bien, irréprochable, rien à dire là-dessus. En vérité, aucun acteur n'est à blâmer, à l'exception peut-être de celui qui joue l'époux de Marie Gillain (un dénommé Yannick Renier, le demi-frère de Jérémie et qui n'a même pas le quart de son talent), un personnage toujours de bonne humeur, qui s'émerveille de tout, et tout particulièrement de ses propres talents de cuisinier alors même que sa compagne vomit en silence dans la salle de bains. Un type insupportable dont l'humeur contraste méchamment avec celle du spectateur et que l'on a donc très naturellement envie de fracasser. La tignasse redoutable et la mâchoire proéminente de ce comédien n'aident pas du tout à le rendre un brin sympathique. Je le place en état d'arrestation pour délit de sale tronche.
Il faut que Vincent Lindon raye de son carnet d'adresses le nom de Philippe Lioret (et qu'il en profite aussi pour effacer celui de Pierre Jolivet).
Toutes nos envies est un cocktail d'idées noires. Un film-massue à déconseiller aux plus sensibles d'entre nous. Je l'ai moi-même arrêté au bout d'une quarantaine de minutes, dans un réflexe salvateur totalement inespéré en plein repli catatonique. Une sale nuit m'attendait, due à mon estomac en vrac, mais aussi à l'ensemble de mon organisme, mental et physique, que Philippe Lioret avait sournoisement pris pour cible. Ton film se termine peut-être bien, Philippe, mais il commence si mal que je ne le saurai jamais. D'ailleurs, non, il se termine forcément mal puisque Marie Gillain est promise à une mort certaine. A travers le portrait de ces deux personnages campés par Gillain et Lindon, Toutes nos envies a peut-être la louable intention de faire l'éloge de ces combattants du quotidien ancrés dans une réalité sociale éprouvante, violente et cruelle. Certes, mais ça pèse des tonnes et des tonnes, Philippe, et je place très facilement ton pamphlet dans le top 5 des films français les plus cafardeux de ces dix dernières années, alors que la concurrence est extrêmement relevée (je pense par exemple à Partir, mais ça n'est pas le seul). Cet article est là pour vous prévenir, chers lecteurs. Je ne prends aucun plaisir à me rappeler l’œuvre de Philippe Lioret. Toutes nos envies est un sale film. Sans doute un film "utile" dans ce qu'il dénonce de la société actuelle, comme l'était peut-être déjà Welcome, je n'en sais fichtre rien, mais une chose est sûre : c'est fait d'une telle façon qu'on n'a pas envie de voir ça, de s'infliger une telle épreuve. C'est simplement désagréable, pesant, plombant. Un "cinéma de résistance", comme le disent certaines critiques, qui vous paralysera de pessimisme et aura votre peau bien avant d'atteindre sa véritable cible.
Sur ce, je m'en vais prendre du Forlax.
Toutes nos envies de Philippe Lioret avec Marie Gillain, Vincent Lindon, Amandine Deswasmes, Yannick Renier et Pascale Arbillot (2011)