28 juillet 2024

Signes

Rares sont les films comme ça. Combien de films comme ça ? Tant d'éléments de la vie courante et du quotidien le plus banal sont à jamais irrémédiablement associés à ce film. Dites "aluminium", dite "champ de maïs," dites "saut à la perche", dites "verre d'eau", dites "batte de baseball", dites "crop circles", dites "accident de bagnole", dites "Signs" et vous pensez immédiatement à l'œuvre-somme de Shyamalan. Faites ce geste : prenez le menton de votre père entre deux doigts pour le tourner vers un champ de maïs quelconque, idéalement dont les épis ont été méthodiquement écrasés, mais non rompus, par une technologie autre qu'humaine, et vous pensez immédiatement à ce chef-d’œuvre du 7ème art. C'est irrémédiable. Ce plan, où le jeune fils de Mel Gibson (interprété par Rory Culkin, qui tourne à l'époque dans le dos de son frère et lui chipe la vedette), se saisit avec respect du menton de Mel Gibson (première et dernière fois qu'un acteur touche le visage de Mel Gibson dans un film sans se prendre une baffe en retour immédiat, et d'autres ont essayé, à l'exemple de la téméraire Sophie Marceau dans Braveheart) pour le tourner vers le crop circle qui décore leur champ, cercle de culture tracé avec goût en forme de M de MacDonald's, indiquant aux aventureux aliens le fast food le plus proche où la bouffe ne contient pas la moindre goutte d'eau (ils y sont allergiques), rien que du sucre, est un plan non seulement que l'on n'oubliera jamais mais que le moindre mouvement latéral de tête, à n'importe quel moment de la journée, suffit à faire revenir : il suffit de tourner la tête pour rendre hommage au film. Rendez-vous compte du nombre d'hommages rendus à Signs chaque jour à travers le monde et dans l'espace intersidéral.




Que dire d'autre ? Grand II : l'analyse du film. Manosque Naj Shyamalan sort juste de Sixth Sense à cette époque-là. Il suffit qu'il claque des doigts dans la rue, ou fasse un clap de fin de tournage à un feu rouge, pour qu'hommes et femmes relèvent leur t-shirt des deux mains et s'offrent torses nus en spectacle au grand manitou de Pondichéry, qui a littéralement retourné son monde avec un mindfuck impérissable à la fin d'un film tout simplement très bon devant lequel on aime encore aujourd'hui à taper la sieste. Or, que fait Schumi après ça ? Un film sur le maïs, sur le monde agricole, sur les verres d'eau, qui commence par un long monologue insipide à propos d'une sauteuse à la perche, écouté par un Mel Gibson qui se croit chez les frères Coen ou Larrieu. La star se barre à un moment, revient plus tard se rassoir pour écouter la flic locale lui raconter les exploits de Javier Sotomayor (le making of révèle que l'acteur n'a pas été présent lors de la prise). L'audace a payé : 600 millions. Et faire ça au lendemain d'Independance Day ? Et de la naissance officielle du destruction porn ? Déballer comme ça un home invasion intimiste, un film d'extra-terrestres d'auteur (ou d'auteur extraterrestre ?) tout entier tourné sur la question de la foi d'un homme endeuillé ? C'était délirant, violent même. Personne ne se souvient, parmi la majorité des gens qui n'y connaissent rien en cinéma, que Joaquin Phoenix joue dans ce film, mais tout le monde se souvient de son personnage de tonton raté le cœur à vif, fragile mais indéfectible (l'acteur a pioché dans sa vie perso pour camper cet être inachevé, se servant allègrement de la mort de son frère aîné pour livrer de la vérité, produire une performance, dans le sens art contemporain du terme, comme mon tonton Scefo en a livré une énième hier soir lors du repas de quartier dominical, en full impro).




Grand II b : analyse encore. Un simple angle de mur évoque ce film. Ou encore un pas de porte bressonnien (= digne de Bob Bresson). Idem : une silhouette qui passe, avec bras ballants de trois mètres de long, devant une porte. Un entonnoir d'aluminium sur la tête d'un adolescent évoque ce film. Un baby phone grésillant. Une batte de baseball accrochée au-dessus d'une tv à écran bombé. Une lampe torche qui s'éteint dans la cave. Une ampoule de plafonnier de cave qui éclate. Une ventoline. La main d'un tonton aimant sur la poitrine d'un gamin asthmatique qui respire péniblement allongé dans une cave. N'importe quelle conversation sur un canapé. Cette causerie de dix minutes entre Mel Gibson et Joaquin Phoenix... Vous vous en souvenez forcément. On ne sait plus du tout ce qu'ils débitent, des bondieuseries (le film est à voir en VO à tout prix, pour l'humour, et pour s'épargner le "frappe à fond" du doubleur de Phoenix à la fin du film, dit avec une prononciation digne de celle d'un Roger Lemère pendant l'Euro 2000), mais on les voit causer, et on les verra pour toujours sur notre canapé, tels deux fantômes du passé.
 



Grand II c : fin de l'analyse. Un simple angle de mur ? Sérieusement ? Vous croyez qu'on vous prend pour des cons ? Revoyez le film. Le moment où le chien aboie, où toute la petite famille regarde vers un mur, une tapisserie livide, dans la direction du son, avec un petit zoom avant sur un angle, un coin de plafond sans intérêt, puis le chien qui couine et se tait. Ce plan-là, contrechamp en raccord regard sur un angle vide, avec un zoom vers un son, condense tout le génie d'un Schumi sous influence lovecraftienne. Relisez aussi Celui qui chuchotait dans les ténèbres de Lovecraft pour y dénicher tous les motifs clés que Shyamalan a repris à sa sauce indienne, pour les rendre plus épicés et leur donner un goût de curcuma et de curry d'espelette : le monde agricole, la menace cosmique, les chiens alertes, et pas n'importe quel chien : des bergers allemands !, et surtout ce fameux bruit que font les aliens. Quand on lit la nouvelle, emporté par le talent de descripteur de Lovecraft, on se dit qu'on ne pourrait le réaliser que comme Schumi l'a fait. Ce bruit-là aussi, quand on l'entend dans la vie, on revoit Signs, typiquement près un gros aligot trop vite englouti et sans aucune mastication. On perçoit des signes de Signs tous les jours, partout, tout le temps. Des signes de Signs.


Signes de M. Night Shyamalan avec Mel Gibson, Joaquin Phoenix et Rory Culkin (2002)

18 juillet 2024

Horizon : une saga américaine, chapitre 1

Tout était réuni. Les conditions ne pouvaient pas être meilleures. J'avais tout calé. C'était le premier jour de mes vacances ! Je m'étais couché tôt la veille au soir, j'avais fait une belle grasse matinée, il faisait beau mais pas encore trop chaud, je m'étais préparé un gros gueuleton le midi pour tenir le coup, à base de fécule de blé et de gras de porc, j'étais passé par la petite librairie sur la route du cinéma pour mettre la main sur un ou deux bouquins désirés de longue date, un plaisir augmentant l'autre, enfin je m'étais introduit dans le cinéma par la grande porte et j'avais acheté un billet, obéissant à la loi dans les règles de l'art, une fois n'est pas coutume, puis je m'étais assis à égale distance de l'écran et des enceintes, au cœur de la grande salle vide de mon cinoche de quartier flambant neuf, réservée rien que pour moi, et voilà, enfin, je m'apprêtais à passer 180 minutes de pure idylle avec Kevin Costner dans les grandes plaines de l'ouest. Ma compagne m'avait lâchement abandonné : "vas-y tout seul, t'en profiteras mieux, va voir ton pote, et si c'est vraiment bien je viendrai pour la suite avec toi en septembre, promis, mais n'y compte pas une seconde" m'avait-elle lâché, prudente, méfiante, fourbe, et visionnaire... Car elle avait raison, comme souvent. Je l'ai compris assez vite devant ce triste Horizon : une saga américaine, chapitre 1, sourate 22, verset 13, alinéa b. En fait, je me suis davantage ennuyé devant ce non-spectacle que pendant les 6 matches de l'équipe de France de football disputés (mot trop fort et fallacieux) durant l'Euro 2024 en terres teutonnes. C'est pas peu dire.




Je suis même allé pisser. En plein milieu de la séance. Ou aux trois quarts ? Quelle importance ? Première fois que ça m'arrive. Je n'avais jamais fait ça de ma vie, quitter la salle même 3 minutes pour aller me soulager, jamais, ô sacrilège. Je me suis fait dessus plus souvent qu'à mon tour sur les sièges rouges imbibés des UGC de Montpellier, mais toujours le sourire aux lèvres. Il y a des choses qu'on ne fait pas. D'ailleurs je ne supporterais pas que quiconque m'accompagnant au cinoche ose cet outrage. Il m'est arrivé de jeter mes chaussures sur des inconnus qui se levaient en plein film. Même dans mon salon, quelqu'un qui se lève, c'est dur à encaisser. Mon oncle, tonton Scefo, est un spécialiste de la chose. Après m'avoir demandé de lui montrer un bon film susceptible de l'intéresser, "allez fais moi voir un bon film, fils", il commence vite à trépigner passé le quart d'heure de métrage, et il se met à jouer de la grosse caisse imaginaire avec le pied droit sur un rythme effréné, sa cheville d'ancien milieu défensif "rugueux" commençant à fumer. Not quite my tempo a envie de lui avouer, mettons, Michelle Williams, marchant à côté de son chariot, ayant paumé sa dernière piste dans l'ouest sauvage, un fichu noué autour du cou, sur l'écran en face de nous. Puis tonton se lève pour aller aux toilettes en hurlant, sans même tourner la tête vers moi, dès que j'esquisse le plus petit geste pour me redresser en direction de la télécommande histoire de mettre la pause afin qu'il ne loupe rien du bijou que je soumets à sa sagacité : "TOUCHE PAS, FILS, touche pas va, laisse tourner...". Il revient ensuite en sifflant, très fort, en général un air de chanson paillarde, dont il chante seulement quelques phrases-clés en allant se laver les mains au robinet de la cuisine, prétendant qu'il est inutile à qui s'en soucierait de chercher les poils de son cul car il en a "fait des brosses" ou encore que "le curé de Camaret a les couilles qui pendent", recouvrant de ses gazouillis tonitruants et de sa voix de stentor les rares dialogues de, mettons, Michael Kohlhaas, qui rumine sa vengeance dans le poste, en manque d'attention. Tonton Scefo, en général, enchaîne en allant ouvrir le frigo, puis en dévissant le bouchon d'une bouteille d'eau pétillante dans un pschiiiit qui aurait suffi à me faire vriller même sans tout le cirque qui l'a précédé, puis il boit douze ou treize gorgées directement au goulot, là aussi avec des bruits terribles de déglutition, en s'en renversant un peu sur le torse, atteignant les dernières gorgées à bout de force, torse qu'il exhibe glabre et nu, si nous sommes en été au moment des faits, puis il se retient au chambranle de la porte et lâche une série de petits rots très étouffés entrecoupés de reprises d'air difficiles - on sent alors qu'il finira sûrement aux urgences, un jour lointain, on l'espère, après avoir ainsi bu son demi-galon de San Pe sans respirer - et enfin, ça y est, il revient au canapé.




On croit que c'en est fini, qu'il va se replonger dans le film, sauf qu'il commence à se rouler une clope ou à tasser le tabac d'un petit cigarillo en le faisant glisser entre deux doigts pour qu'il aille cogner 125 fois le capuchon du paquet, se lève à nouveau, va ouvrir la baie vitrée, se cale les coudes sur la rambarde du balcon, debout les jambes croisées, et fume là, penché en avant, en regardant "passer les fachos" comme il dit, non sans lâcher, à un moment donné, un énorme gaz gras en avalanche, tempête sous un slip, qui laisse à penser qu'il aura besoin de changer de short avant d'aller au dodo. Tout cela pendant que mon petit film fétiche de l'année ou du siècle passé, mettons Les Deux Anglaises et le continent, crève de sa belle mort sur l'écran de la télé. Quand il sera terminé, tonton Scefo reviendra s'asseoir près de moi et me demandera de lui expliquer tout ça, précisant bien : "parce que moi j'ai riiiiiiiien compris". Puis il réclamera l'apéro, à 17h25 pétantes, pour oublier tout ce que j'ai pu lui dire et rester sur l'idée que "ce film, quand même, fils, c'était nuuuuuul à chier", et on trinquera au son de sa phase signature : "on est mieux là qu'en prison, pas vrai ?", avant de se lancer dans le tunnel sans fin du récit de ses anecdotes d'ex-taulard, et d'enchaîner au dessert sur les aventures qui lui ont promis tant d'excursions en zonzon, comme la fois où il a confondu son voisin "Coca" avec un cerf élaphe lors d'une battue du côté de Pradinas, ou celle où il a fait "accidentellement" tomber un arbre sur Joselu, le témoin de mariage "de droite" de son beau-frère par alliance.




Bon mais c'est mon oncle, tonton Scefo, je tolère. Sauf que pas au cinéma bordel. Et pourtant j'ai commis la faute moi-même, je le confesse. Je suis parti aux cabinets en plein film. Et j'ai failli ne jamais revenir. Costner m'avait roulé, trahi, planté un poignard dans le dos. On s'attendait à un Danse avec les leups 2, ou au pire à un revival de The Postdamn, or ce n'est rien de tout ça, et cet Horizon : une saga blablabla ferait même passer Open Range pour un chef-d’œuvre (ce qu'il n'est absolument pas, n'en déplaise au co-auteur de ce blog). Quel ennui... Mais quel ennui ! On entend ici et là, parmi les trois teubés qui comme moi sont allés voir cette sanie, jurer au grand retour du classicisme, à John Ford ressuscité. Mais quelle mascarade. S'il faut parler de Ford parce qu'on voit un vieux chef indien sage et pacifique se disputer avec un autre plus jeune qui préfère dérouiller les blancs, ou parce qu'un jeune peigne-cul d'officier, gendre idéal à la noix (Sam Worthington, au charisme digne d'une belle endive au jambon, mais sans le goût), séduit sans forcer la blonde veuve aux lèvres botoxées (Sienna Miller), alors insultons Ford tout de suite et n'en parlons plus. Quelle indignité. Une preuve de plus que notre époque est folle, que nos contemporains ne sont pas tranquilles, perdent le sens commun dans un monde qui va trop vite et trop à droite, et qu'on va tous dans le mur sans ceinture. Les temps sont pauvres, certes, l'art est mal, l'offre est vide, mais le discernement est-il encore une notion bien concrète dans nos esprits d'humains vérolés aux perturbateurs endocriniens, contaminés aux polluants éternels, étouffés par la connerie ambiante et autres métaux lourds, neutralisés par les ondes web et la cacophonie crétine d'une mondialisation qui touche le fond ? Questions rhétoriques et vides de sens qui ont le mérite d'être plus nombreuses, plus profondes et mine de rien mieux articulées, grammaticalement parlant, que celles posées par Costner dans son anti-pensum où résonne creux le néant de ses idées.
 
 

 
Le film de Costner est à peine une très mauvaise mini-série Netflix (pléonasme), avec ses changements de personnage toutes les 5 minutes, personnages tous plus fades et ineptes les uns que les autres, stéréotypes inanimés pris dans des "arcs narratifs" sans flèches (un seul exemple : l'opposition, au sein de la diligence qui se dirige vers le fameux Horizon, entre les intellectuels fainéants de la ville et les travailleurs bourrins de la campagne, pitié...). Pire, ils sont interprétés par des cucurbitacées humaines. Le jeu des comédiens de ce film est une aberration sans nom, indicible, impossible à mettre en mots sous peine de réveiller quelque mal trop ancien qui renverserait sans doute l'ordre des choses et du cosmos. Sam Worthington, qui ne s'emmerde même pas à faire semblant de jouer, à l'image de Luke Wilson ou de Will Patton, Sienna Miller, qui tombe amoureuse du premier comme on tombe amoureuse dans Desperate Housewives, et Georgia McPhail, l'adolescente pleurnicheuse, dont le jeu évoque celui, de plus en plus niais, des acteurs de séries merdiques, comme ceux de la récente Lord of the Rings : Rings of power (rien à voir avec Horizon, mais je cite ici cette honte filmique, pour soulager qui comme moi a subi cette "création" Amazon dégradante pour tout le monde). Je viens de citer, de mémoire, les acteurs peut-être les plus alarmants au générique, mais toutes et tous méritent le goudron et les plumes. A l'exception de Costner lui-même, qui sait encore être présent à l'image, sans forcer, sinon sur sa voix rogue, mais qui a oublié de se donner un rôle, du moins autre que celui d'éternel bellâtre de passage, cowboy au grand cœur venu sauver la veuve et l'orphelin. En tout cas, grand-pa Costner ne doute pas de sa capacité à toujours faire craquer la blouse des minettes de 18 ans, ce qui finalement ne nous étonne pas.




Il ne fait décidément pas bon vieillir. Papy Costner a dirigé son film comme Joe Biden dirige son pauvre pays : on préfère ça à la plupart de ses concurrents du moment, mais bon dieu y'a plus personne au volant, et le bonhomme confond Zelensky avec Poutine, Kamala Harris avec du pain de mie et John Ford avec Philippe Haïm. Le vieux déménage complètement. Lui qui signait un pur western pro-indiens en 91, qu'on peut aimer ou pas, que j'ai vu enfant et que donc j'aime bien, se retrouve presque à virer droitier, comme la plupart des vieilles personnes il est vrai. S'il voyait ça Tonton Scefo n'en ferait qu'une bouchée. Les indiens, dans ce premier volet de trois heures qui en paraissent trois cents, sont réduits à peau de chagrin. Je ne parle même pas des deux figurants noirs et de la silhouette chinoise qui passe au fond d'un canyon à un moment. D'ailleurs le petit homoncule qui m'accompagne au ciné quand j'y vais solo, qui m'accompagne en fait tout le temps quand je suis seul, bien qu'invisible aux autres, juché sur mon épaule pour me susurrer à l'oreille quelques saloperies, m'a même soumis une remarque gênante quant à la répétition insistante de la réplique "I can't breathe" que prononce la très mauvaise comédienne Georgia McFail. (Parenthèse ici sur elle encore, pour dire qu'elle joue très mal, car je ne suis pas certain de l'avoir mentionné, et sur son personnage, tellement prévisible, comme quand plus tard elle confectionne des petites fleurs cousues main qu'elle donne à chaque soldat partant pour la guerre de sécession... et un autre personnage très naze, pseudo-comique, de sous-officier moustachu, ventru et bon vivant, celui-là même dont la femme est une sale peau de vache finalement adorable (et il faut voir aussi le jeu des deux jeunes soldats que ce sergent embringue pour aller piquer un truc dans la tente de sa femme dans une séquence de néo-burlesque digne des meilleures heures de Benny Hill, on n'avait pas vu des gens jouer comme ça depuis Petit-Pied dans la vallée des merveilles), le sergent donc d'y aller avec ses gros sabots comme quoi quand ses recrues crèveront toutes, c'est cette maudite fleur en papier crépon qu'ils serreront sur leur cœur, comme quoi ça a de la valeur ces petits gestes des petites dames bien mignonnes, et tartine m'en encore du bon sentiment que j'oublie pas comment ça goûte ; or si toute cette chienlit que je viens d'évoquer avec douleur c'est aussi censé "faire Ford", revoyons She Wore a Yellow Ribbon et pendons-nous tout de suite). Fin de la parenthèse, je reviens, moi-même en quête d'air frais, à la réplique, "I can't breathe", les mots de George Floyd au moment de son assassinant par un flic blanc, aux prémices du mouvement Black Lives Matter, prononcée ici plusieurs fois de suite, dans le silence d'un tunnel creusé sous une maison en flammes, par une fille blanche, blonde, assiégée par de sauvages indiens... Ce serait pas un aveu de droitisation de la part de papy Kevin ? m'a glissé mon homoncule dans le conduit auditif, encore plus dégoûté de moi par le film (il est fan de Waterworld), au point de divaguer à son tour.




Alors oui, certains des éléments du scénario de la Costne peuvent "faire" Ford. Mais si Ford c'était du scénario, on regarderait pas ses films. Quand il essaie de faire quelque chose avec sa caméra qui ne se limite pas à enfiler les clichés de la façon la plus plate et hideuse qui soit, avec environ 95% de séquences baignées d'orange et de bleu et éclairées par le côté façon coucher de soleil permanent, là aussi comme c'est l'usage dans les pires blockbusters de notre époque et surtout dans l'immense majorité des séries dégueulasses qui font les choux gras des plateformes, le tout sur un rythme qui pourrait achever un cheval, Costner lorgne vite fait mal fait sur les derniers westerns qui auront connu le succès, soit ceux de Tarantino, déjà fort mauvais. Dans cette scène, par exemple, inique et gênante, où le personnage de Costner grimpe la petite colline d'un village pour aller coucher avec la trop jeune fille qui lui a fait du gringue un peu plus tôt et se voit accoster, ou plutôt harceler, par un abruti de pied tendre qui se dirige vers la même casbah pour, lui, y faire du grabuge. Le jeune débile, (mal) interprété par Caleb Sykes, pur clicheton lui aussi, tête brûlée, idiot impulsif et violent qui l'ouvre trop et que son frère doit toujours tancer parce qu'il aime à emmerder tout le monde en la ramenant avec un grand sourire de trépané, cherche des noises à Costner pendant au moins 15 minutes de dialogues creux dépourvus de toute vie, et ça tchatche, et ça tchatche, et ça s'arrête pour pisser (sûr que c'est lui qui m'a donné envie d'y aller, et Costner de lui tenir son fusil comme je tiens la télécommande sans mettre pause quand tonton Scefo part uriner en visant le centre de la cuvette pour ne plus entendre le moindre son émanant du bon petit film qu'il m'a demandé de lui soumettre), et que ça tchatche encore, dialogues à blanc, et la tension monte en même temps que les deux crétins se toisent du coin de l'oeil et montent à flanc de colline (subtilité !), jusqu'au déchargement de violence final une fois arrivés en haut, dans un mexican stand-off sans surprise ni saveur. Triste travail papy Costner. Tu filmes assis dans un fauteuil, comme un sénateur, vieil homme ! Je ne suis pas parti à la mi-temps de ta bouse ultra inoffensive (tu n'aurais même pas passé la phase de groupe à la place de la Dèche sur le banc de nos bleus anesthésiés par l'abus de choucroute-saucisse, avec Giroud goal volant dans les cages à la place de Maignan, pour se ramasser de grosses volées de bois vert sans jamais cadrer une foutue frappe et finir avec un total de points négatif), mais ne compte pas sur moi pour me taper le match retour, si tes producteurs sont encore assez fous pour distribuer la ou les suite(s) de ce carnage. Le générique final sur fond de "Amazing Grace" m'a terminé. J'avais tout prévu, j'avais tout peaufiné, j'étais prêt, j'avais mis toutes les chances de ton côté... J'avais dit à gauche, Pignon...
 
 
Horizon : une saga américaine, chapitre 1 de Kevin Costner, avec Kevin Costner, Sienna Miller, Sam Worthington, Luke Wilson, Georgia McPhail et Caleb Sykes (2024)

13 juillet 2024

Funny Games U.S.

Do you have any cuddly toys? The other day a colleague who had just returned from a stroke explained to us that he had comfort meals in which to take refuge in the event of a hard blow or even a bad cold. He gave us the example of the large dish of buttered spaghetti in a vase plate, topped with a fried egg. And he asked us for our comfort food meals. Obviously we found a couple (lasagna, plowman's soup, seared liver, stuffed oysters, veal roustons), but that's not the subject. We started, on the other hand, and it's more connected to the blog, to wonder if we had any comfort films. What does it mean ? Films where you can find refuge in the event of a major bout of the blues, films where you can find shelter in the event of losing faith in cinema, films where you can reassure yourself in times when life becomes vicious. One title made the consensus for us, like a blinding flash: Funny Games U.S. by Michael Haneke, with Naomi 2,21Gigo/Watts, even if we didn't see it again as adults.
 

 
 
Why this film? No doubt for its unity of place. Very often, closed doors appear to us like potential comfort films, for the comforting side of packing, the feeling of snuggling up in a tight camisole, of curling up in a blanket that smells of incense or damp towels exits from the broken dryer, these film-places, almost film-worlds, where nothing will surprise us, where the space is marked out, under control, known and recognized, well traveled, let's just mention Kitchens and outbuildings, My Night at Maud's, Le Dîner de cons, The Corde, 12 Angry Men, Assault, or the most recent Zone of Pinterest by Jonathan Glazer and his unforgettable lines: "I said left Pignon...". Another advantage of Funny Games U.S. on the comfort side is its total absence of adversity, animosity, tension, or threat. Nothing but reassuring, soothing, neutral and benevolent camera gazes, with the culmination of the famous final wink to the spectator, passed down in the annals of good-natured cinema, and which invites us to bathe in the flow of the film, to become one with the diegesis and to perceive the characters as members of our own beloved family. As we reach the end of this review, there is a small doubt however: not sure that we are really talking about the right film.
 
 
Funny Games U.S. by Michael Haneke with Naomi Watts and Tim Roth (2k7)

10 juillet 2024

Funny Games

Avez-vous des films-doudous ? L'autre jour un collègue fraîchement revenu d'un AVC nous expliquait qu'il avait des repas-doudous dans lesquels se réfugier en cas de coup dur ou même de gros rhume. Il nous citait l'exemple du grand plat de spaghettis au beurre dans une assiette-vase, surmonté d'un œuf au plat. Et il nous demandait nos repas-doudous. Évidemment on a en a trouvé une paire (les lasagnes, la soupe du laboureur, le foie snacké, les huîtres farcies, les roustons de veau), mais c'est pas le sujet. On s'est mis, en revanche, et c'est plus connecté au blog, à se demander si on avait des films-doudous. Qu'est-ce que ça signifie ? Des films où trouver refuge en cas de gros coup de blues, des films où s'abriter en cas de perte de foi dans le cinéma, des films où se rassurer dans les moments où la vie se fait vicieuse. Un titre a fait le consensus pour nous, tel un flash aveuglant : Funny Games de Michael Haneke, avec Bruno Putzulu, même si on ne l'a pas revu étant adultes.
 
 
 
 
Pourquoi ce film ? Sans doute pour son unité de lieu. Très souvent, les huis-clos nous apparaissent comme des films-doudous en puissance, pour le côté réconfortant du packing, le sentiment de se blottir dans une camisole bien serrée, de se lover dans un plaid qui sent l'encens ou des serviettes humides sorties du sèche-linge en panne, ces films-lieux, presque des films-mondes, où rien ne va nous surprendre, où l'espace est balisé, sous contrôle, connu et reconnu, archi parcouru, ne citons que Cuisines et dépendances, Ma nuit chez Maud, Le Dîner de cons, La Corde, 12 hommes en colère, Assault, ou le plus récent Zone of Pinterest de Jonathan Glazer et ses répliques inoubliables : "J'avais dit à gauche Pignon...". Autre avantage de Funny Games côté doudou, son absence totale d'adversité, d'animosité, de tension, de menace. Rien que des regards-caméras rassurants, apaisants, neutres et bienveillants, avec comme point culminant le fameux clin d’œil final au spectateur, passé dans les annales du cinéma bon enfant, et qui nous invite à baigner dans le flow du film, à ne faire qu'un avec la diégèse et à percevoir les personnages comme des membres de notre propre famille adorée. En touchant à la fin de cette critique, petit doute cependant : pas sûrs qu'on parle bien du bon film.
 
 
Funny Games de Michael Haneke avec Bruno Putzulu (1997)