29 novembre 2015

Take This Waltz

Il y a des films qui vous dégoûteraient de l'Amour et de la vie en couple. Il y a des films qui auraient le don d'endurcir illico les plus insatisfaits et malheureux célibataires. Take This Waltz, deuxième long métrage écrit et réalisé par l'actrice Sarah Polley, est tout à fait de ceux-là. On y suit les hésitations et les malheurs existentiels de Michelle Williams, heureuse épouse de Seth Rogen (comment peut-on ?) tombée éperdument sous le charme de son voisin, un beau brun de 57 kilogrammes (Luke Kirby's Dream Land). Elle aime les cheveux crépus et la gentillesse à toute épreuve du premier ; elle est irrésistiblement attirée par les yeux azuréens et les chemisettes à carreaux du second. Elle ne se lasse pas des bons plats cuisinés de l'un, concepteur de recettes de cuisine à base de poulet de son état ; elle est tout simplement en extase face aux petits dessins à l'encre de Chine et à l'exceptionnelle endurance du second, artiste maudit et conducteur de pousse-pousse de profession (les métiers de chacun ont au moins le mérite d'être originaux, même s'ils ne justifient pas leurs baraques d'enfer et leur train de vie en général). Bref, Michelle Williams ne sait pas quoi faire, ses certitudes vacillent, son mariage est en danger. Pendant 1h30, elle tergiverse, puis finit par craquer. Le film, d'un romantisme fabriqué imbuvable, atteint alors des sommets dans l'horreur et l'innommable.




Pour bien nous montrer le bonheur total dans lequel nage Michelle Williams quand celle-ci a pour de bon décidé de quitter son moche époux pour les bras maigrelets du voisin, la caméra de Sarah Polley se met à tournoyer follement autour d'une gigantesque pièce faite de mille colonnes (comme je vous l'ai dit, tous les personnages vivent dans des palaces impossibles). Comme dans un insupportable clip, la "scène" de cette nouvelle vie conjugale change systématiquement quand la caméra passe derrière l'une des colonnes, sans transition visible. Michelle Williams et son jules jouent tranquillement au Scrabble... partagent un bon vin rouge et quelques tapas... se chuchotent des mots doux et se câlinent tendrement ...puis baisent comme des animaux sauvages ! D'abord dans une position inspirée des plus craspecs porno US, avec le pied du mec posé sur la joue de sa partenaire consentante, et ensuite dans une position plus banale où Michelle Williams se défoule cette fois-ci sur son homme, quitte à risquer une rupture de l’albuginée et des corps caverneux. Bref, le petit couple déglingué se démonte passionnément, et on est censé trouver ça sublime, alors que la mise en scène, déjà vue mille fois ailleurs, fout la gerbe en plus du tournis. En ce qui me concerne, j'espérais en secret que ce petit spectacle se prolonge, dure encore, j'attendais qu'on nous propose un petit abécédaire du kama sutra et j'imaginais qu'on irait crescendo dans la sauvagerie et le dégueulasse. Mais c'était bien trop espérer de Sarah Polley, cette femme n'a en réalité aucune suite dans les idées : ce passage ne dure pas assez pour être marrant, juste ce qu'il faut pour foutre les nerfs à vif !




Que dire de la prestation de Michelle Williams ? La filmographie de l'actrice ressemble à un abominable fourre-tout avec peut-être, en guise de très mince fil rouge, la volonté apparente de tourner avec des auteurs plus ou moins respectés et reconnus. Elle combine le pire et le meilleur du cinéma américain, du film indé imbuvable (il y en a beaucoup) au vrai film d'auteur remarquable (ses collaborations avec Kelly Reichard), en passant par le gros blockbuster qui tâche (Le Monde fantastique d'Oz) et le biopic à Oscars raté (My Week with Marilyn). A chaque fois, l'actrice est totalement à l'image du film dans lequel elle joue. Elle est excellente et bluffante dans Wendy & Lucy. Elle fout la rage en Marilyn Monroe. Et elle déprimerait donc n'importe qui dans Take This Waltz, où son regard perdu et ses gestes hasardeux siéent parfaitement à son insupportable personnage. Cette actrice et ses choix de carrière sont tour à tour désolants et encourageants. En réalité, je crois qu'elle commence à me fatiguer. Cette fois-ci, je ne lui jetterai pas la pierre, je viserai plutôt Seth Rogen, c'est plus facile : il est tout gros et je n'aime pas son énorme visage.




D'après ce que j'ai lu sur internet, beaucoup s'accordent à dire que le personnage campé par Michelle Williams est une chieuse XXL qui mérite un bon coup de pied au cul. C'est bien, je suis d'accord, je me joins au pugilat. Beaucoup prétendent aussi que le film est joliment filmé, parfaitement mis en scène, qu'il fourmille de belles images et de plans magnifiques. Là par contre, je m'inscris en faux. Sarah Polley développe une esthétique "instagram" faite de flous et de contre-jour intempestifs qui se veut paradoxalement naturaliste et proche des corps (Michelle Williams s'y fout à poil une demi dizaine de fois, et on s'en passerait volontiers) dont le résultat est très souvent d'une incroyable laideur. Le tout est enrobé de quelques chansons sans doute directement issues de l'iPod de la réalisatrice, fan de Micah P. Hinson, et le film emprunte son titre à un morceau du pauvre Leonard Cohen qu'on ne pourra plus jamais écouter librement.




Savoir que Sarah Polley a écrit et réalisé ce film qu'elle doit présenter et considérer comme une œuvre infiniment personnelle inspire le plus profond mépris. C'est typiquement un film qui pense cerner des "trucs" de couple bien connus (les petits jeux amoureux de Seth Rogen et Michelle Williams peuvent rendre fou), qui veut parler directement et intimement à son auditoire, le remuer dans son expérience personnelle, le questionner au plus profond de lui-même. En ce qui me concerne, quand, effectivement, le film me parlait un peu, j'avais envie de m'insulter copieusement puis de filer sous la douche fissa, comme pour me nettoyer de cet affreux rapprochement et pour avoir définitivement et strictement aucun rapport avec cette horreur signée Sarah Polley. Ce film m'a dérangé. J'en ai fait des cauchemars terribles où la ganache de Michelle Williams était remplacée par celle de ma chère et tendre. Véridique.


Take This Waltz de Sarah Polley avec Michelle Williams, Seth Rogen et Luke Kirby (2011)

25 novembre 2015

Manglehorn

Si vous voulez (continuer à) assister à la déchéance professionnelle d'Al Pacino, alors n'hésitez pas une seule seconde, prenez une grande inspiration et lancez-vous dans Manglehorn de David Gordon Green (DGG pour les intimes). Par contre, si vous voulez garder un souvenir émerveillé de cet acteur-caméléon, tirez le frein à main juste après Heat.

Dans Manglehorn, Al Pacino incarne A. J. Manglehorn, un serrurier vieux et fatigué, plutôt grincheux, ayant largement dépassé l'âge de la retraite et vivant seul avec sa chatte Fannie. Il passe une bonne partie de son temps libre à rédiger d'une écriture d'écolier parkinsonien, des lettres enflammées et mélancoliques à une certaine Clara, son amour perdu, lettres qui retournent toutes à l'envoyeur, sans exception, et qu'il stocke chez lui dans une pièce fermée à clef après les avoir récupérées dans sa boite aux lettres infestée d'abeilles. Son unique fils, qui n'est pas le fils de Clara mais d'une femme qu'Al Pacino déclare n'avoir jamais aimée, est présenté comme un connard puisqu'il est un riche trader qui joue à dépouiller les gens en leur proposant des investissements foireux tout en se faisant des millions au passage. Ce fils indigne traite son père avec mépris, lui reprochant d'aimer d'avantage la chatte que sa propre famille (cette série de reproche se déroule lors d'une scène au restaurant à couper l'appétit même aux plus affamés)... Par contre Manglehorn s'entend bien avec sa petite-fille qui a la langue bien pendue et une mère chicanos. En dehors de ça, il aime papoter avec sa guichetière préférée (Holly Hunter, victime d'un lifting malheureux) lorsqu'il effectue son dépôt hebdomadaire à la banque du coin, notamment parce qu'elle est propriétaire d'un chien victime de nombreux soucis d'ordre vétérinaire, comme lui avec sa chatte.




Heureusement que c'est Al Pacino à l'écran : il peut jouer n'importe quoi et n'importe comment, il reste tout de même fascinant. Et heureusement qu'il est là sinon je n'aurais pas réussi à tenir quarante minutes devant ce gros navet. Tantôt farceur, tantôt déprimé, tantôt exalté, toujours Pacino, il nous sort toute sa palette, engoncé dans ses habits fatigués sous une touffe de cheveux fous grisonnants. Il faut le voir changer une ampoule au tout début du film, un acte qu'il accomplit comme s'il jouait Richard III. Bref, Al Pacino joue exactement le même rôle depuis vingt ans, à tel point que tous les personnages qu'il incarne devraient dorénavant s'appeler Albert Pacino, ce serait plus honnête pour les spectateurs. N'ayant pas vu la seconde moitié du film, j'ignore ce qu'il advient de ce personnage mais on peut soupçonner qu'il va se rapprocher de Holly Hunter et retrouver une certaine joie de vivre sur fond de musique indé. Ces films américains pseudo-indépendants sont tous plus ou moins prévisibles et chiants.




David Gordon Green commet donc ici un autre navet. Il a bel et bien définitivement perdu toute espèce de crédit après avoir tenté de remonter la pente ces dernières années avec un retour vers le southern gothic, son genre de prédilection. Après un début prometteur quoiqu'en dents de scie (L'Autre Rive pour le meilleur, Snow Angels pour le pire), il s'est fourvoyé dans quelques productions Apatow sans intérêt en loupant même le coche de mettre en valeur Natalie Portman dans le registre de la comédie dans Votre Majesté (parmi ses films, je garde tout de même un petit faible pour Baby-sitter malgré lui mais c'est vraiment pas grand chose). Il est étonnant de voir qu'il garde encore assez de crédit pour attirer Al Pacino dans son désastre sur pellicule, mais ce dernier commence peut-être à perdre la boule (Danny Collins, où il joue Albert Pacino, exactement comme dans Manglehorn, en serait la preuve). Dernièrement Prince of Texas n'était déjà pas fameux mais se laissait voir, tandis que Joe alternait le bon (surtout pour les fans de Nick Cage dont nous faisons partie !) et le très mauvais, et c'est le très mauvais qui finissait par l'emporter. Au bout du compte, David Gordon Green, réalisateur caméléon avec toujours le cul entre trois ou quatre chaises, ne sait pas trop quoi faire de ses deux mains ni de ses deux pieds. Il gagnerait à s'entourer d'un bon scénariste et d'un bon producteur qui lui permettraient de "retrouver le chemin des filets" de ses débuts, ou bien à définitivement arrêter une activité qui ne semble pas faite pour lui. Il pourrait faire ébéniste, c'est chouette ébéniste comme métier.


Manglehorn de David Gordon Green avec Al Pacino et Holly Hunter (2015)

21 novembre 2015

Hunger Games - La Révolte : Partie 2

Tout le monde a parlé de cet homme atteint d’une maladie incurable et condamné à une mort imminente qui a écrit à J.J. Abrams pour obtenir de lui cette faveur : avoir le privilège de découvrir Star Wars Episode VII en avant-première, longtemps avant le reste du monde, histoire d’être sûr de pouvoir se le faire avant de décéder. Aussi suis-je un peu étonné de constater que personne dans les médias n’ait parlé de cet autre homme, un vieux pote à moi en l’occurrence (dont je tairai le nom par respect, mais que je surnomme Leigh Braguette), qui va lui aussi bientôt mourir des suites d’une maladie inconnue, et qui a lui aussi écrit une lettre à un cinéaste pour lui faire une requête similaire, requête qui n’a pas été entendue ni donc relayée, ce que je trouve honteux.


Y a-t-il une âme dans ces babouches ? Et sous ce jean slim ?

Mon ancien camarade d’école a en effet envoyé un courrier en recommandé à Francis Lawrence pour lui demander non pas de rapprocher la sortie de son film, Hunger Games - La Révolte : Partie 2, mais de la reporter de quelques mois, voire de quelques années si possible (car il est optimiste mon ami, il voit la vie en rose), afin d’être certain de n’avoir aucune chance de voir le film avant de disparaître. Mon pote s’est déjà tapé les trois premiers épisodes de "cette saga de merde" (je le cite texto, il est même convaincu, contre l’avis de ses médecins, que c’est lors du visionnage du premier film, en 2012, que s’est déclenchée sa maladie orpheline mortelle, comme un phénomène d’autodéfense par la suppression de soi par soi pour soi), et il aimerait bien s’éviter le plus petit risque de se fracasser sur le 4ème opus avant de mourir. Francis Lawrence, qui est décidément un être peu recommandable, n’a pas décalé la sortie de son film. Hunger Games - La Partie : Révolte 2 et son titre putride ont débarqué sur les écrans ce mercredi. Et Francis n’a pas même répondu à mon ami. Aucun média ni aucun crétin sur Facebook n’a eu l’idée de faire tourner l’histoire. C’est dégueulasse.

PS. Petit message aux journalistes et autres éditorialistes écumeurs du web en quête d’anecdotes morbides croustillantes : si vous entendez parler de lettres semblables à celle de mon ami reçues ces derniers jours par Quentin Tarantino, à propos des Huit salopards, ou par Zack Snyder, au sujet de Batman v Superman : L’aube de la Justice, ne faites pas tourner non plus, c’est moi qui les ai écrites. Je vais bien, rassurez-vous. Mais le monde, lui, va mal, et il va déjà assez mal comme ça, alors si on peut tenter de retarder la sortie de quelques saloperies au coût d’un simple timbre poste, c’est toujours ça de pris. J’ai aussi écrit à Taika Waititi, le réalisateur de Thor : Ragnarok, pour lui demander non seulement d’ajourner la sortie de son truc de quelques siècles mais aussi pour lui demander si je pourrais emprunter son nom pour m’en faire un blaze de scène (à côté de ma carrière de blogueur ciné, je suis breakdancer).


Hunger Games - La Révolte : Partie 2 de Francis Lawrence avec Jenifer Lawrence (2015)

17 novembre 2015

Crazy Amy

Trois ans après le très pénible et déprimant 40 ans : mode d'emploi, qui parvenait à rassembler tous ses plus insupportables tics et défauts, Judd Apatow revient derrière la caméra pour cette fois-ci mettre en image un scénario qui n'est pas le sien mais celui de son actrice vedette, j'ai nommé Amy Schumer. Celle-ci incarne une journaliste new-yorkaise à la vie totalement désinhibée, multipliant les conquêtes masculines et ne s'engageant jamais sérieusement en amour. Sa rencontre avec un homme différent de ceux qu'elle a la fâcheuse habitude de fréquenter, doux et attentionné, médecin du sport de son état, et sur lequel elle doit écrire un article pour son magazine, va changer la donne et amener notre héroïne à s'essayer à la vie de couple...




Comique de stand-up à la popularité grandissante outre-atlantique, Amy Schumer signe ce qui apparaît progressivement comme une bonne grosse comédie romantique avec beaucoup d'éléments que l'on devine autobiographiques. Habilement, la star parvient tout de même à éviter le film trop auto-centré et se distingue en cela du précédent méfait de son réalisateur, parfois très enclin à se regarder le nombril. Alors certes, il faut supporter de voir la comique, au charme tout relatif, faire tomber tous les hommes qu'elle croise et s'entendre régulièrement dire qu'elle est une vraie bombe. Le pêché d'égocentrisme la guette plus d'une fois, mais nous lui pardonnons ces travers, tant nous sourions et rions régulièrement devant son petit manège. On finit même par apprécier son personnage dont nous suivons avec plaisir les mésaventures. 




Le scénario d'Amy Schumer n'échappe pas au schéma archi rebattu et toujours agaçant des romcoms habituels. Ainsi, la dernière demi-heure, où l'on attend les inéluctables retrouvailles finales du couple temporairement séparé, est assez laborieuse et bien plus pauvre en moments comiques. On ne peut alors guère s'empêcher de penser que Crazy Amy, qui dépasse de peu les deux heures, aurait vraiment gagné à être légèrement raccourci. Heureusement, quelques scènes très drôles, du niveau d'un bon Will Ferrell (et venant de moi, c'est un sacré compliment !), sont bien réparties dans les trois premiers quarts du film et font passer la pilule sans accroc. 




Tous les acteurs sont au diapason. Bill Hader, autre habitué d'Apatow, également vu dans l'excellent Hot Rod, est très bon dans le rôle de ce médecin amoureux d'Amy aux agissements crédibles et compréhensifs (chose rarement vérifiée dans ce genre de romcoms où les personnages ont souvent des attitudes totalement débiles). Le catcheur John Cena, ce "Mark Wahlberg qui aurait mangé Mark Wahlberg", boyfriend éphémère d'Amy, est tordant en homo refoulé. Brie Larson, qui interprète la sœur d'Amy, n'apporte aucune valeur ajoutée comique à l'ensemble mais reconnaissons qu'elle est tout à fait agréable à l’œil. Colin Quinn, le père malade d'Amy, fait preuve d'un bel abattage et sort quelques répliques cinglantes avec une mauvaise humeur délectable. Tilda Swinton, la patronne d'Amy, méconnaissable grimée en bimbo, est parfaite dans la peau de cette bonne femme infecte qui déblatère des horreurs sans jamais se soucier des autres. 




Quelques guest stars viennent également faire leurs petits numéros (notamment Daniel Radcliffe et Marisa Tomei dans une inoffensive mais amusante parodie de film de Sundance que les protagonistes vont s'infliger au cinéma), et comme ceux-ci sont généralement drôles, leurs apparitions n'ont jamais l'air totalement gratuites. LeBron James, la plus grande "guest star" du lot n'en est d'ailleurs pas vraiment une puisque le basketteur campe ici un vrai rôle. Il joue le meilleur ami du médecin, personnage très protecteur et ultra radin qui nous vaut quelques-uns des meilleurs moments du film (je pense surtout à cette scène au resto où LeBron James finit par promouvoir de très belle manière sa ville de Cleveland face à son ami, désespéré par son discours et sa pingrerie). Quand il arrêtera de briller sur les parquets, LeBron James a un chemin tout tracé dans la comédie !




Grâce à son scénario particulièrement riche en personnages secondaires sympathiques et enchaînant, à un bon rythme, les situations cocasses et les répliques bien senties, Amy Schumer réussit plutôt haut la main ses grands débuts au cinéma. Elle permet en même temps à Judd Apatow d'effectuer un retour gagnant à la réalisation et peut-être même de signer son meilleur film. Nous leur souhaitons de poursuivre sur cette voie... 


Crazy Amy de Judd Apatow avec Amy Schumer, Bill Hader, LeBron James, Brie Larson et Tilda Swinton (2015)

12 novembre 2015

L'Art de la fugue

L’Art de la fugue fait partie de ces trucs qu’on a tellement vus et revus qu’à chaque fois, et tant pis pour la redite, le même besoin se fait ressentir : comment se retenir, devant un film qui nous a tant pompé l’air, de lui lâcher ne fût-ce qu’une petite vesse* dans la gueule ? D'abord, vous présenter l’affaire... Le résumé hallucinant d’Allociné donne une assez rapide idée du désastre : « Antoine vit avec Radar, mais il rêve d’Alexis... Louis est amoureux de Mathilde alors il va épouser Julie... Gérard, qui n’aime qu’Hélène, tombera-t-il dans les bras d’Ariel ?… Trois frères en pleine confusion... Comment, dès lors, retrouver un droit chemin ou ... échapper à ses responsabilités ?… C’est là tout L’Art de la Fugue… ». Normalement j’aurais dû ponctuer cette citation de quelques points de suspension mais je crois que ça va aller.


Nestor Burma passe tout le film dans cette position.

En fait, dès l’affiche, mons-tru-euse, on sait que L’Art de la fugue sera un film choral, donc un film d’acteurs. Et quels acteurs. Au centre, Antoine (Laurent Lafitte), puis ses deux frères, Louis et Gérard (Nicolas Bedos et Benji Biolay : on se demande qui de plus exaspérant aurait pu se glisser dans cette fratrie de la mort, qui ? Yann Barthes ? Il a failli faire partie du casting, véridique). Ils incarnent trois fils. De pute, certes. Mais aussi trois fils de commerçants acariâtres (Marie-Christine Barrault et Guy Marchand, ou Guy Charmand pour les intimes, déjà papa accablé du duo de frères Romain Duris et Louis Garrel dans Dans Paris ; film pénible jusque dans son titre, qui force la répétition, "dans Dans" : lourd...). Le premier fils, Lafitte, est un galeriste bobo, homo, amoureusement instable et sensible, le deuxième, Bedos, un homme d’affaire égoïste, putanier et traitre, et le dernier, Biolay, un chômeur sentimental suicidaire. Ils vivent et pensent forcément l’amour très différemment. C’est pas mal original. Et assez surprenant, ces tempéraments, associés à ces statuts sociaux. Du jamais vu. Et puis autour d’eux gravitent quelques tronches connues, comme Agnès Glaoui (pardon à elle, je l'adore) ou Bruno Puducu (désolé, on se connaît pas). On se demande comment un scénario aussi immonde (adapté d’un bouquin de l’américain Stephen McCauley, auteur déjà porté à l’écran par Sam Karmann dans le tout aussi choral et fumeux La Vérité ou presque, film culte dans lequel Dussolier et Cluzet échangeaient leurs sexes) a pu attirer autant de gens. Ce type de film devrait se tourner à deux ou trois, par des crève-la-faim, dans des caves. Il paraît qu’on n’attire pas les mouches à merde avec du vinaigre, mais ce long métrage prouve, et il n’est malheureusement pas le seul, qu’on peut les attirer avec d’autres mouches. Lequel, parmi ce brillant casting, a signé le premier ? Mystère. Mais les autres, en voyant son blaze qui tache associé au projet, ont cru flairer le bon plan et se sont jetés dans la gueule du loup.


 Élodie Frégé, dans l'émission Au Battle Field Earth de la Nuit, présentée par Michel Battle Field Earth.

Et puis le copinage n’y est sans doute pas pour rien : on va faire mumuse avec les copains. Benjamin Biolay avait déjà joué pour et avec Agnès Jaoui dans Au bout du conte. Comme on se retrouve ! Et cette fois-ci il a ramené avec lui Elodie Frégé, qui n’est là que pour la fermer. Contrairement à l'horripilant Nicolas Bedos**, dont on espère quant à lui qu'il ne s'acharnera pas davantage à devenir acteur, et qui se contente de s’admirer beaucoup et de s’écouter parler, comme d’hab'. Les autres ne sont pas tous détestables en règle générale, et peuvent même se montrer plutôt bons, y compris Laurent Lafitte (que j’ai peut-être la naïveté de ne pas condamner tout de suite à la chaise électrique, mais il est à ça...) et Bruno Putzulu, sôciétaires la cômédie frônçaise, mais le film est si atroce qu’ils ne peuvent que l’être aussi. On devine d’ailleurs qu’ils le savent, que le réalisateur le sait. Que tous ces gens sont au courant qu’ils sont en train de tourner une minuscule chose hideuse et absolument nulle, mais ils le font quand même, parce que c'est sans doute moins désagréable que de ne rien faire. De notre côté, on préférerait ne rien voir.

* petit pet silencieux et malodorant.
** petit pet silencieux et malodorant.


L'Art de la fugue de Brice Cauvin avec Laurent Lafitte, Nicolas Bedos, Benjamin Biolay, Bruno Putzulu, Agnès Jaoui, Guy Marchand, Marie-Christine Barrault et Élodie Frégé (2015)

8 novembre 2015

Un homme idéal

Pierre Niney est un écrivain raté qui ne rêve que d'une chose : être publié et voir son nom en vitrine chez Ombres Blanches. Essuyant les refus successifs des maisons d'édition auxquelles il envoie son premier roman ("Un Homme de dos", tu parles d'un titre accrocheur), il survit en bossant en tant que déménageur. Pierre Niney. Déménageur. Premier goof ! Bon, passons. Sachez toutefois qu'à partir de ces premières informations, vous devriez déjà être en mesure de deviner toute la suite des événements... En vidant l'appartement d'un vieillard décédé en pleine solitude, Niney tombe par hasard sur un manuscrit bien épais, négligemment emballé dans une couverture au-dessus d'une armoire : le saisissant journal de guerre du défunt. Le sang de Niney ne fait alors qu'un tour : il a trouvé sa première œuvre ! Après l'avoir soigneusement recopié sur word sans en changer le moindre mot (nous assistons à cela via une succession de plans hideux qui nous montrent Niney sur son portable essayer toutes les positions et toutes les pièces de son T1bis), ce dur labeur mènera enfin notre ambitieux romancier sur la route du succès, aussi bien auprès du public que des critiques avec, en guise de consécration, le si convoité prix Renaudot. Un bonheur n'arrivant jamais seul, Niney flashera sur le visage anguleux d'Ana Girardot, une zonarde à la fois chercheuse et critique littéraire (quel que soit son réel métier, nous n'y croyons pas), lors de la remise du prix.




Une ellipse maladroite, brutale mais bienvenue (simplement car elle donne la fausse impression que le film passe plus vite) nous amène quelques mois plus tard, sur la Côte d'Azur. Nous découvrons que Pierre Niney a été assez dégourdi pour se foutre dans une merde noire auprès de son éditeur, auquel il a promis un nouveau livre qu'il n'arrive évidemment pas à commencer, rattrapé par son réel talent, c'est à dire le néant absolu. Niney a cependant été assez agile pour se mettre en ménage avec Ana Girardot, un très bon parti, puisque sa famille pleine aux as possède une sorte de manoir gigantesque avec plage et golf privés. C'est dans ce coin ensoleillé que se déroulera d'ailleurs l'essentiel du film, énième variation autour du thème de l'usurpateur, personnage progressivement mis dos au mur qui finira bien sûr par éveiller tous les soupçons avant d'entrer malgré lui dans une spirale criminelle fatale.




Tout est terriblement prévisible dans ce thriller de bas étage, second exercice en la matière du cinéaste Yann Gozlan après le déjà pénible Captifs. Nous sommes seulement étonnés quand le personnage principal s'enfonce davantage en prenant des décisions et en adoptant un comportement encore plus débiles que ce à quoi on s'attendait, ce qui arrive de plus en plus fréquemment à mesure que l'intrigue avance. La fin du film a tout de même le mérite de nous apprendre une chose utile : en cas d'énormes emmerdes, il existe une solution pour échapper à toutes représailles. Faites confiance à votre ceinture et à votre airbag, et proposez à un naïf quidam un petit tour en bagnole sur des routes sinueuse en ayant au préalable bien pris le soin de désactiver le système de sécurité du siège passager. Dès que possible, encastrez vous à pleine vitesse contre un obstacle quelconque, ce faux accident de voiture provoquera la mort instantanée de votre invité. Inversez alors les positions en plaçant le cadavre sur le siège conducteur, attachez votre montre autour de son poignet et mettez votre portefeuille dans sa poche. Ultime effort : videz un bidon d'essence entier sur le macchabée et partout sur le véhicule, un grand brasier vous lavera de tout soupçon et vous garantira une nouvelle vie d'homme libre, quand bien même tous les flics du pays étaient à vos trousses. Tenez-vous le pour dit. Si vous êtes au fond du trou, il existe ce moyen, même s'il faudra ensuite vous créer une nouvelle identité (Yann Gozlan ne nous en dit pas beaucoup plus là-dessus, les dernières images nous apprennent simplement que Pierre Niney est redevenu déménageur à temps plein).




Drôle de coïncidence, le scénario pourri d'Un homme idéal rappelle étonnamment celui du récent The Words, piètre mais plus habile thriller américain sorti directement en vidéo où Bradley Cooper trouvait son premier bouquin dans une sublime besace en cuir achetée pour trois fois rien dans une friperie parisienne. Le bellâtre scribouillard luttait ensuite pour cacher son mensonge au monde et, surtout, à sa dulcinée, la fameuse actrice na'avi Zoé Saldana. Je crois bien que j'avais pris plus de plaisir devant The Words, je garde même un souvenir assez net de la fameuse besace... On pense aussi beaucoup au célèbre Plein Soleil, que je n'ai pas encore vu, mais dont je sais suffisamment de choses pour reconnaître une évidente filiation ; en outre, une bonne partie du film se déroule effectivement en plein soleil. La mise en abyme d'usurpation ne s'arrête pas là : rappelez-vous que Pierre Niney a remporté le César du Meilleur Acteur au moment même où le navet de Yann Gozlan sortait en salles, une nouvelle imposture qui tombait à point nommé... Et, autre effet spécial étonnant, Ana Girardot n'est pas Barbara Schulz. C'est pourtant ce que j'ai cru tout le long !


Un homme idéal de Yann Gozlan avec Pierre Niney, Ana Girardot et André Marcon (2015)

5 novembre 2015

Invictus

J’étais passé à travers Invictus. Je me suis empalé sur la plupart des dernières grandes purges du grabataire Eastwood, mais Invictus, j’étais passé à côté. Parfois le hasard fait bien les choses. Le film vient s’ajouter à la liste de tous ceux, récents, qui me font me demander, à propos d’Eastwood, s’il y a encore quelqu’un au volant… Le bonhomme n’a ici strictement rien à raconter, mais il le raconte quand même. L’histoire est au fond assez simple, sans grands rebondissements : en 94, Mandela est élu président de la république en Afrique du Sud et met fin à l’Apartheid. Pour réconcilier le pays, il décide de miser (et de tout miser, semble-t-il) sur un succès des Springboks, l’équipe de rugby nationale blanche à 99%, lors de la coupe du monde 95, qui se déroule justement sur ses terres. A la fin ils gagnent. Dur de bâtir un scénario costaud là-dessus, encore plus quand on a l’idée débile de faire durer le film 2h12. 




Du coup, entre deux conversations insipides entre Nelson Mandela (Morgan Freeman, qui aura donc tout joué, de Winter le dauphin à Jules César en passant par un chauffeur de taxi sans permis, un prisonnier ultraviolent, un flic tueur en série, une nurse nommée Betty, Dieu himself et donc Mandela, ce qui revient au même) et François Panard, le capitaine des Boks (Matt Damon, teint en blonde), Eastwood essaye de faire monter la tension sur du vent. Combien de fois nous montre-t-il les gardes du corps de Mandela qui balisent, se mettent en garde les uns les autres, briefent et débriefent, s'invectivent (d'où le titre), zieutent dans tous les sens ? Sauf que Mandela n’a pas l’air d’être profondément menacé et que, dans la réalité, il ne s’est rien passé concernant la sécurité du président qui mériterait d'être raconté. Autant de scènes ultra redondantes et totalement inutiles donc (et ce n'est qu'un exemple). A un moment, on voit Mandela qui danse dans une soirée, et Eastwood fait un plan rapide, tendu, inquiétant, sur son garde du corps qui roupille un peu plus loin, pour nous mettre en alerte, nous dire : "ça sent le sapin !" Mais rien ne se passe. Au mieux Mandela fait un malaise, du moins les vigiles le croient-ils : il tapait juste un roupillon au milieu de l'allée qui mène à sa baraque. Eastwood est en roues libres. Le vioque multiplie les effets d’annonce bidons pour créer d’une manière ou d’une autre un semblant de suspense dans une histoire qui en est totalement dépourvue. 




Le seul suspense que l’on pourrait attendre, à condition de ne pas être au courant de l’histoire du rugby, concerne l’issue de la coupe du monde, mais Eastwood ne filme pratiquement pas les matchs, qui semblent se gagner sur tapis vert (il préfère nous montrer les bodyguards, dans les tribunes, qui suent des torrents et doivent régulièrement se relayer pour changer de slip). Tant mieux cependant, car quand Clint décide de filmer un match, la finale bien sûr, c’est une pure horreur. D’abord la scène dure 80 minutes, soit la durée d’un vrai match. Celui-ci n’est pourtant pas filmé en temps réel : on doit voir, disons entrapercevoir (Eastwood filme vraiment ça comme un manche), trois ou quatre temps de jeu à tout casser, mais ils sont si dilatés par des effets de ralenti hideux que cela représente la durée de deux bonnes mi-temps d'un match officiel.




Les mêlées notamment sont sublimées par des ralentis parfaitement inutiles (on ne ressent rien de chez rien) et monstrueusement moches. Et le pire c’est que le son aussi est dilaté, ce qui nous donne à entendre des sortes de lents meuglements difformes de vaches folles. Un supplice. J’ai rarement été aussi dérangé par un bruit quelconque. Sauf peut-être par les petits cris de plaisir rauques, nasillards, réguliers, que poussait mon Tonton Scefo (celui que mon arrière-grand-mère traitait encore de "putanier" sur son lit de mort) à travers le trop maigre mur qui séparait la chambre d’amis de la mienne quand j’étais petit… France 2 a cru bon de diffuser ce film entre les demi-finales et la finale de la coupe du monde de rugby 2015, mais cernée par les beaux matchs que nous ont offert les professionnels sur le terrain, la vision du rugby (et du cinoche !) que nous offre Eastwood en est parue plus navrante encore.


Invictus de Clint Eastwood avec Matt Damon et Morgan Freeman (2009)