Je ne sais pas ce qu'a vraiment cherché à faire Joanna Hogg mais, en ce qui me concerne, cela ne m'a pas vraiment déplu. Certains spectateurs étaient pourtant remontés comme des pendules à la sortie de la projection de ce film, que j'ai personnellement découvert dans le cadre de la première édition du festival Girls Don't Cry et nous avait été présenté avec l'enthousiasme propre à ce type d'événement. Il faut bien avouer qu'en une heure et trente-six minutes, il ne se passe pas grand chose, si ce n'est quasiment rien, dans cet hôtel quasi vide, lugubre et baignant dans le brouillard où Tilda Swinton vient séjourner avec sa mère, que l'actrice britannique interprète également. Son projet est semble-t-il de passer un moment privilégié avec sa vieille maman fatiguée, de célébrer son anniversaire en toute intimité et, tandis qu'elle se repose, de se consacrer à l'écriture d'un scénario qui peine à se dessiner. Tilda Swinton incarne en effet une cinéaste en panne d'inspiration dans un rôle que les mauvaises langues pourront juger un peu trop autobiographique... Joanna Hogg aurait été mieux inspirée, aux yeux des plus mécontents, de faire de son long métrage atmosphérique et lent un court forcément moins ennuyeux. Mais en dépit de la minceur d'un script sans grand mystère, il y a quelque chose dans Eternal Daughter qui m'a plutôt séduit. C'est peut-être une espèce d'humilité revendiquée, une simplicité manifeste, un sens de l'épure appréciable qui m'ont amené à accepter le film pour la petite chose, jamais désagréable à regarder, toujours à la lisière de l'ennui, qu'il est.
La réalisatrice ne cherche certainement pas à nous en mettre plein la vue ni à nous duper, et encore moins à nous effrayer. On se demande d'ailleurs si elle mise réellement quelque chose sur la révélation que tout amateur de cinéma de genre aura grillée dès les premiers instants du film et que l'on ne peut même pas nommer un twist. Cette interrogation est fugace tant sa mise en scène ne vise jamais à nous tromper par de vils moyens et que tout est amené de la plus simple des façons. Un léger doute subsiste toutefois, mollement entretenu, aussi vaporeux que ce brouillard omniprésent, et c'est aussi lui qui alimente le vague intérêt du film, par ailleurs surtout maintenu par cette ambiance cotonneuse et hors du temps, délicatement automnale et gothique, qui nous enveloppe de la première à la dernière image. Enfin, la mise en abyme proposée à la toute fin, comme une seconde révélation que la cinéaste espère peut-être quant à elle plus importante et malicieuse, est elle aussi d'une logique et d'une cohérence indiscutables, quand bien même elle peut légitiment renforcer ce sentiment qu'un format court aurait été plus adapté pour éviter toute impression de "tout ça pour ça" chez les spectateurs à l'humeur moins indulgente qui accueilleront cette petite pirouette d'un œil plus sévère.
Si l'on pourra regretter que les deux ou trois scènes de visions fantomatiques ne soient pas plus mémorables que cela, Joanna Hogg refusant obstinément de susciter la peur, il y a tout de même quelques beaux moments, pas assez sans doute, mais il y en a, et quand je repense à Eternal Daughter, je revois ce long plan fixe de l'allée menant à l'hôtel : il s'ouvre dans le noir quasi complet, puis des formes étranges et grisâtres apparaissent, et nous comprenons que c'est le jour qui se lève lentement, qu'il s'agit de branches d'arbres tortueuses, de couleurs d'automne funèbres qui ne seront jamais plus éclatantes. Le paysage se révèle ainsi très progressivement, et ce plan sublime dévoile son secret initial, là encore, le plus simplement du monde. Notons aussi que l'on retrouve là-dedans un chien de première catégorie, un amour de clébard doublé d'un sacré acteur, capable de dormir du plus profond des sommeils sur un plateau de tournage pour les besoins d'une scène puis de jouer l'inquiétude de façon tout aussi convaincante. Ce cocker anglais à la belle robe noire et blanche est bien plus qu'une présence adorable dont la décontraction tranche avec l'état d'anxiété de sa propriétaire. Il est un des plus gros atouts du film et le générique ne manque pas de lui rendre hommage en nommant l'animal au même titre que les autres acteurs. De rapides recherches nous apprennent qu'il s'agit de nul autre que du propre chien de Tilda Swinton, que l'on ne peut donc que féliciter pour la qualité de son dressage. Un tel toutou mérite une maîtresse à la hauteur, et vice versa.
Avec ce petit et modeste film de maison vaguement hantée, Joanna Hogg ne cherche donc manifestement pas à nous foutre la trouille ni à nous surprendre. Elle veut nous faire partager le mal-être de cette femme, fille éternelle obnubilée par sa mère, femme désormais d'âge mûr à l'existence gâchée. Un personnage qu'elle prend le temps de filmer, dans cet hôtel isolé où l'on devine un passé douloureux. Un personnage solidement campé par une actrice que l'on ne présente plus et qui ne donne jamais dans la performance malgré un double-rôle qui pouvait l'y inviter. Enfin, la cinéaste anglaise souhaite, surtout, nous emmitoufler dans une brume fantastique, timide mais élégante, et cela, ma foi, n'est pas si désagréable...
The Eternal Daughter de Joanna Hogg avec Tilda Swinton et son chien Louis (2022)