Il y a au moins deux raisons d'être indulgent envers Teddy. Primo,
il s'agit quasiment du premier long métrage du jeune duo de cinéastes
constitué par Ludovic et Zoran Boukherma, 29 ans, frères jumeaux sortis
de l’École de la Cité qui avaient auparavant participé à un film
collectif, Willy 1er, avec le reste de leur promo. Secundo, c'est une
nouvelle excursion française dans les sombres contrées du cinéma de
genre qui, d'ordinaire, ne lui réussissent guère. Il est donc encore de
bon ton d'accueillir un tel film à bras ouverts, en faisant preuve de la
plus grande mansuétude possible. Des films de genre français, il en
sort pourtant pas mal chaque année, et certains sont même récompensés
dans les plus prestigieux festivals, mais il semble tout de même de
rigueur de saluer l'essai, d'être clément, et d'adresser à ses auteurs
des félicitations sans valeur, comme s'il s'agissait, encore
aujourd'hui, où le genre n'est plus méprisé mais au contraire très
prisé, d'un acte courageux, osé, rare et précieux. Est-ce vraiment
rendre service à ces cinéastes débutants et à leurs petits films loin
d'être bons mais jamais complètement ratés ?
Je coupe court à cette digression d'humeur et laisse la question en suspend, je ne suis qu'un blogueur ciné
amateur, j'essaie de suivre le mouvement, de rentrer dans le moule et de
m'adapter aux mœurs de la critique professionnelle...
Sorti
au même moment que La Nuée, et désigné avec lui comme le symbole d'un
renouveau pour l'horreur franchouillarde – d'après ce que j'avais remarqué à l'époque,
le petit jeu critique consistait aussi à dire si l'on a préféré l'un à
l'autre, moi je botte en touche –, Teddy fait également le pari du
croisement des genres et des registres. Avec force ruptures de tons, les Boukherma mêlent eux aussi horreur et naturalisme social, ce qui est la similitude la plus évidente parmi les nombreuses partagées avec le premier long de Just Philippot. Pour
résumer et pour faire simple : Teddy, c'est P'tit Quinquin, dans le sud de la
France, qui se transforme un loup garou. L'humour absurde de la série de
Bruno Dumont, dont on reprend les policiers hurluberlus, vient pimenter
l'inévitable horreur métaphorique, loup garou oblige, mise au service
d'une double chronique, sociale et adolescente, dans l'air du temps. Sur
le papier, les intentions sont louables et j'ai d'abord été séduit par
ce film qui démarre par quelques scènes plaisantes, où l'humour décalé
fonctionne bel et bien, véhiculé par des énergumènes aussi gauches
qu'amusants, à commencer par le personnage éponyme, campé avec
conviction par Anthony Bajon dont la grosse bouille sympathique
contraste ici avec son insolence juvénile. Malheureusement, les frères
Boukherma peinent à donner
du corps à un scénario
qui ne surprend jamais, paraît bien trop programmatique, trop lisible dans ses intentions et, surtout, n'excelle
dans aucun tableau.
L'aspect social – on comprend que les frères Boukherma veulent parler
d'exclusion ou, au moins, car le mot est fort, du déphasage d'une
jeunesse déclassée et rejetée, impatiente et vindicative – paraît à la fois trop superficiel et
trop évident, peut-être même un brin hypocrite vu que leur film se
complaît en même temps dans le portrait cocasse d'une France profonde
attardée
et léthargique (bon, ce reproche est toutefois fort car on sent également
poindre la tendresse portée sur ces rigolos provinciaux par les deux
cinéastes). Quant à
la métaphore adolescente et pubertaire, la transformation lycanthrope s'accompagnant
notamment d'un appétit sexuel insatiable, d'une pilosité envahissante et d'une force physique incontrôlable, elle est hélas extrêmement
rebattue. On a déjà vu ça des dizaines de fois dans le cinéma d'horreur
qui, il est vrai, a plutôt tendance habituellement à choisir un
protagoniste féminin, possédé, doté de pouvoirs surnaturels et tout le toutim.
J'ai donc fini par me désintéresser
progressivement des mésaventures du pauvre Teddy, personnage central que
l'on aurait aimé apprécier davantage, qui échoue à gagner une réelle
épaisseur et dont le sort final m'a laissé totalement indifférent. Le
film est même parvenu à m'ennuyer malgré sa courte durée. Quelques
éclats d'horreur corporelle ont l'air disséminé avec régularité comme
pour nous rappeler le toupet de cinéastes sous influence, mais elles sont
toutes beaucoup trop convenues pour impressionner, créer un léger
trouble ou la moindre image marquante. Ces scènes nous proposent elles
aussi des situations que l'on a déjà bien trop subies ailleurs et
auparavant, avec automutilation face au miroir au rendez-vous, et leur
dimension symbolique est lourdingue et éculée. Dans son dernier acte, le
film perd en légèreté et en humour ce qu'il gagne en sérieux et en
horreur, échouant là encore à emporter mon adhésion. Je me souviendrai
surtout du climax horrifique pour son étrange maladresse : notre
intenable loup garou, paria déscolarisé revanchard, commet un ultime carnage lors d'une soirée
organisée entre jeunes lycéens à la salle des fêtes du coin. Pour nous montrer
l'étendue du massacre, les réalisateurs nous proposent une série de
plans fixes et silencieux, assez gores et peu ragoûtants, où nous voyons
des corps entassés les uns sur les autres, interrompus dans leur fuite
en pleine panique, baignant dans ce sang que l'on retrouve aussi en
grosses trainées sur les murs. Terrorisme et tueries de masse sont ainsi
convoqués par les aventureux jumeaux Boukherma à travers une succession
d'images très glauques qui provoqueront des réactions diverses chez les
spectateurs, de la stupeur à la perplexité. En ce qui me concerne,
j'aurais préféré me rappeler de leur première œuvre personnelle pour autre chose que
sa triste inconséquence.
Teddy de Zoran et Ludovic Boukherma avec Anthony Bajon, Christine Gautier, Ludovic Torrent et Noémie Lvovsky (2021)