Films deux-en-un. Deux films pour le prix d'un. Je ne parle pas de 
double-programme, même si c'est une double-critique. Je parle de 
films qui sont doubles en eux-mêmes. Les deux films choisis sont des 
cas de films doubles. L'Enfer des tropiques, très mauvais titre français de Fire Down Below, signé Robert Parrish en 1957, est pour moitié un buddy 
movie d'aventure, avec Jack Lemmon et Robert Mitchum (à vos souhaits, littéralement, que souhaiter de mieux ?) pour interpréter le duo-titre, 
deux margoulins prêts à transporter n'importe quoi d'illégal dans leur rafiot contre quelques billets. Ils partagent une 
belle amitié que vient mettre à mal leur prochaine marchandise clandestine en la 
personne de l'irrésistible Rita Hayworth. Et pour moitié un survival, à 
partir du moment où Jack Lemmon se retrouve coincé dans la cale d'un cargo en feu sur le point d'exploser, piégé par une poutre tombée sur 
ses guiboles suite à la collision de son navire avec un autre dans un 
banc de brume. Drôle de film, apparemment remonté par ses producteurs ou
 que sais-je, en tout cas bizarre en l'état, et dont la seconde partie 
se traîne. Le film semble s'être piégé lui aussi, qui reste coincé, s'enferme dans son idée, à 
l'image du pauvre Jack Lemmon. Dommage.
Autre cas, et 
film nettement plus réussi, Riz amer (traduction très libre de Riso Amaro), de Giuseppe de Santis, long métrage italien de 1949 qui contient aussi deux films, sauf qu'ils ne 
se suivent pas, comme dans Fire Down Below (à ne pas confondre avec son remake de 1997, signé Félix Enríquez Alcalá, où Jack Lemmon cède la place à Steven Seagal, Robert Mitchum à Harry Dean Stanton et Rita Hayworth à Stephen Lang, l'action étant déplacée des tropiques vers une ville minière des Appalaches, et dont le titre français sonne plus juste : Menace Toxique, pour parler du charme ravageur de Stephen Lang qui fout le boxon dans le couple Seagal/Stanton). Dans Riz amer, les deux films sont plutôt mêlés, intriqués. Riso Amaro est un 
mélange de film noir et de drame néo-réaliste, les deux genres, si l'on 
peut dire, étant plus ou moins chacun incarnés par une actrice : Doris 
Dowling pour le côté noir, Silvana Mangano pour le néo-réalisme. 
Et 
pourtant cette dernière, la Mangano comme il convient de dire, vedette du film, absolument inoubliable dans ce
 rôle, apparaît pour la première fois à l'image à travers le regard 
qu'elle suscite chez un petit attroupement de mâles, agglutinés derrière
 les fenêtres d'un train et sur un quai pour voir le spectacle, celui que la 
caméra, dans un travelling ou un panoramique (j'ai une mémoire très peu visuelle, ce qui me fout régulièrement dedans pour torcher mes critiques) nous révèle 
enfin : Silvana en train de danser comme une diablesse. La femme fatale 
est là, réplique italienne de la Rita Hayworth (eh oui, y'a de la suite 
dans les idées, cet article n'est pas construit n'importe comment, 15 
ans de blogging ciné ça paye à un moment donné, à croire que c'est un 
métier...) de Gilda. 
A noter d'ailleurs que dans L'Enfer des tropiques (qui devait d'abord s'intituler chez nous L'Enfer dans deux slips), 
Hayworth joue elle-même une sorte de replica (pas mal de mots en italiques dans ce texte, ce qui doit vous en imposer j'imagine, du moins j'espère, car c'est l'effet escompté) de ses propres rôles, quand elle 
bronze en maillot de bain sur le pont du bateau de Lemmon et Mitchum, 
comme elle le faisait dans La Dame de Shanghai, ou encore dans une terrible scène de 
danse (qui aura servi de principal support à bon nombre d'affiches du film), encore une, assez hallucinante il faut dire, où elle se mêle aux gens du coin 
et à leur fête traditionnelle et donne de sa personne pour enflammer 
Mitchum et tout ce qui peut poser les yeux sur elle, en écho, encore, 
au souvenir impérissable de Gilda : Rita Hayworth, à l'époque, palimpseste vivant ? (question rhétorique, inutile d'y répondre, c'est juste là pour vous trouer le cul).
Silvana
 Mangano donc apparaît d'abord comme l'archétype de la femme fatale, 
mais c'est ensuite le personnage interprété par Doris Dowling qui assume
 la part noire du film, Mangano ressemblant de plus en plus à Ingrid 
Bergman dans, mettons, Stromboli. Dowling interprète Francesca, compagne
 de Walter (le fringant Vittorio Gassman, de toute beauté), deux petites frappes qui, 
après avoir commis un vol, se mettent au vert en s'infiltrant dans un 
convoi de mondine (ouvrières saisonnières des rizières des 
plaines padane et vénète de la fin du XIXe et de la première moitié du 
XXe siècle, cf. wikipédia ; je cite mes sources, comme on nous l'apprend au CDI en cours d'EIST ; après 15 ans de métier, on a des tips à partager, et je songe à monter une chaîne youtube de 5-minute crafts consacrée à la rédaction d'articles de blog ciné ; si vous parvenez à raccrocher ce qui suit cette parenthèse à ce qui la précède je vous tire mon chapeau), parmi lesquelles 
figure Silvana (Mangano, qui garde son prénom pour le rôle), assez 
sympathique pour intégrer Francesca à la troupe comme mondina 
clandestina. 
Je vous la fais courte, vous verrez peut-être le film, en tout cas je 
vous le recommande (c'est un peu l'idée du bazar sur lequel vous rôdez 
en ce moment-même), mais c'est comme ça que s'installe le film néo-réaliste, aussitôt 
entrelacé dans le film noir initial, qu'il supplantera finalement à mes yeux. 
Plusieurs scènes dans les rizières sont des moments de bravoure (comme 
on dit un peu bêtement quand on connaît trois expressions) quand les ouvrières chantent en travaillant, 
puis modifient les paroles de leur chanson pour communiquer et mettre en
 place leur lutte, d'abord les unes contre les autres (les filles sous 
contrat contre celles qui n'en ont pas et menacent de les faire mettre à
 la porte si elles se font repérer), puis toutes ensemble, quand elles s'unissent finalement dans
 un mouvement de grève collectif et solidaire visant à obliger leurs 
patrons à toutes les régulariser.
Une autre 
prise de conscience politique contribue à réécrire le destin de la tragique héroïne Silvana 
quand, après que Walter l'a séduite et convaincue d'ouvrir en douce les vannes 
d'eau pour noyer les plants de riz afin de détourner l'attention et qu'il puisse voler toute la récolte, elle réalise qu'il s'apprête à mettre en péril 
toute l'exploitation et donc à voler les centaines de mondine comme elle, qui 
dépendent de ce boulot misérable et harassant. Entretemps, on l'aura vue et aimée 
dans une scène de baignade près des cultures, dans un plan où elle 
rejoint Walter sous le toit d'une grange et reçoit sur la tête un peu de riz que 
l'autre lui fait tomber dessus (image un poil fabriquée, mais jolie), et dans tout un tas d'autres scènes où 
Silvana Mangano crève l'écran, comme savait le crever Rita Hayworth, 
même le visage fatigué et les yeux un peu cernés dans un film à moitié 
raté comme Fire Down Below, que son casting aurait pu sublimer avec un 
scénario digne de ce nom ou un montage plus libre, qui sait ? 
Mais 
peut-être connaissez-vous d'autres films qui en contiennent deux ? Je 
suis toute ouïe. Vous aurez peut-être remarqué qu'après 15 années de travail de critique non-rémunéré, j'essaie encore de renouveler le genre, de réinventer l'art de la 
chronique d'art en remodélisant les codes de l'exercice et en 
redéfinissant les catégories filmiques. Rien que ça. C'est pas la première fois qu'on bouleverse le petit monde de l'écriture sur le cinéma. Ce n'est qu'une tentative de plus... Récemment j'évoquais les 
"films-tutos" et vous demandais, en fin d'article, de citer ceux qui 
vous venaient à l'esprit, l'idée étant de générer une dynamique, une émulation dingue débouchant sur de nouvelles pratiques de critique collectives et innovantes, avec un résultat 
déjà révolutionnaire puisque cet article-massue qui fera date et marque 
d'une pierre blanche une nouvelle ère de la critique cinématographique 
n'a généré strictement aucun commentaire ni la moindre réaction. Je retente ma chance ici : 
connaissez-vous d'autres films "deux-en-un" ? Je m'en remets à vous. 
Après André Bazin, Serge Daney et Vincent Malausa, un grand chapitre de 
l'histoire de la plume cinéphile est en train de se tourner ici, 
prenez le train en marche, ça va assez vite, y'aura pas de place pour 
tout le monde... On sera compris et digérés dans mille ans, si notre monde existe encore d'ici là... Notre blog, lui, existera toujours, vu comme c'est parti.
L'Enfer des tropiques de Robert Parrish avec Rita Hayworth, Jack Lemmon et Robert Mitchum (1957)
Riz amer de Giuseppe de Santis avec Silvana Mangano, Vittorio Gassman et Doris Dowling (1949)
 
















 



















