Les bons petits thrillers se font rares, ces temps-ci, alors quand on en déniche un plutôt chouette, qui ne paye pas de mine qui plus est, autant prendre le temps d'en causer !
Watcher est le premier long métrage de la jeune réalisatrice américaine Chloe Okuno, qui s'était jusque-là faite remarquer pour ses courts dans divers festivals nord-américains. Encore inédit par chez nous, distribué en VOD sur des plateformes spécialisées outre-Atlantique après une première à Sundance,
Watcher s'inscrit avec élégance et finesse dans la vague de films post-
metoo s'attachant à nous faire partager la pression que subissent les femmes. Son pitch est simplissime : Julia (Maika Monroe), une jeune américaine, suit son mari d'origine roumaine à Bucarest car celui-ci y a obtenu une promotion. Rapidement, Julia se sent observée depuis la fenêtre par le voisin d'en face, puis suivie dans la rue, au supermarché, au cinéma... et la menace grandit. Son compagnon ne la prenant guère au sérieux et la police se montrant impuissante, elle décide de se confronter à son harceleur.
Sur ce postulat de départ somme toute très basique, Chloe Okuno construit petit à petit, très patiemment, un thriller drôlement efficace, à la mise en scène intelligente et limpide qui nous donne très envie de connaître la suite de sa carrière de réalisatrice. Avec une délicatesse sans doute très féminine, la cinéaste s'attache d'entrée de jeu à nous montrer les petites pressions insidieuses que subit son héroïne au quotidien, du fait de son charme, voire de sa seule condition de femme. Cela commence dès les premières minutes dans le taxi qui mènent le couple à son nouveau logement : en roumain, le conducteur lance une remarque qui se veut peut-être gentille au sujet du physique de Julia. Une remarque que seul son compagnon, bilingue, peut comprendre. Gênée, elle lui demande une traduction, que l'on devinera plus synthétique et consensuelle que les véritables propos, sans doute plus fleuris, tenus par l'homme au volant. Déjà, Julia est mise à l'écart, exclue de cette complicité masculine recherchée par le taxi, un sentiment renforcé, évidemment, par la barrière de la langue. Mais ce n'est que le début, alors Julia encaisse et prend cela avec le sourire, un sourire tout de même poli, timide, forcé. Elle ignore encore ce que lui réserve la suite...
Ainsi, à l'image de son habile scène d'ouverture,
Watcher est tout à fait dans l'air du temps, mais sans jamais être opportuniste et toujours très loin de la lourdeur de certaines productions actuelles qui abordent ces thèmes avec de gros sabots. Chloe Okuno n'a guère besoin d'insister, c'est par touches discrètes et bien pensées qu'elle nous permet de saisir tout le poids ressenti par son héroïne. La réalisatrice peut s'appuyer sur une actrice habituée aux suiveurs, qui assure encore le job haut la main. De là à dire que Maika Monroe trouve ici son meilleur rôle depuis
It Follows, il n'y a qu'un pas... Le regard porté ici sur elle n'est guère pesant, là encore. L'actrice est mise en valeur, certes, mais pas trop, sans insistance, sans ces
money shot dont aurait pu nous gratifier un réalisateur lambda (je pense au médiocre film de SF,
Tau, où l'actrice adepte de kitesurf se retrouvait aux prises avec une intelligence artificielle – et un cinéaste – plus portée sur la chose...). Les amateurs de films de genre peuvent en tout cas se réjouir qu'une telle comédienne ait l'air de partager leurs goûts, privilégiant toujours les productions indépendantes dans ses choix de rôles. On espère à présent qu'elle renouera bientôt avec le succès public et critique de l'excellent film de David Robert Mitchell.
En parlant d'It Follows, ce Watcher peut évidemment y faire penser à quelques moments bien précis. Lors de ces scènes d'extérieur où Chloe Okuno installe avec soin une tension lancinante et où l'on se surprend à scruter en détails le fond du champ, à la recherche de silhouettes menaçantes, de stalkers éventuels qui pourraient suivre une Maika Monroe dont le regard angoissé et le corps contracté expriment parfaitement une forme d'anxiété ordinaire. Encore une fois, la cinéaste fait cela avec suffisamment de talent pour que la ressemblance entre les deux films ne soit pas gênante, au contraire, elle permet une filiation intéressante et vertueuse. Par ailleurs, Okuno atteste d'une belle maîtrise qui lui permet de toujours retenir notre attention, de mettre en boîte l'air de rien quelques scènes très réussies à la tension véritable, allant tranquillement crescendo, et subtilement surprenante, ne s'adonnant jamais aux jumpscares que lui auraient permis certaine situations. Son utilisation de la profondeur de champ est notamment à saluer. La photographie est également très soignée, ce qui achève de donner à Watcher une assez chic allure.
Pour modérer mon enthousiasme et, surtout, ne pas trop gonfler vos attentes (Watcher demeure une modeste réussite, un petit film de genre bien foutu, auquel le temps saura rendre justice s'il n'est pas convenablement distribué aujourd'hui), on pourrait s'intéresser d'un peu plus près aux personnages masculins, dont l'écriture est plus grossière... Le boyfriend de Julia est un tocard pur jus, délaissant sa compagne en passant ses journées et soirées au taff, ne la soutenant guère suffisamment dans les épreuves qu'elle traverse. Le type est quand même capable de faire des vannes sur sa propre compagne à ses collègues, en sa présence et dans une langue qu'elle ne maîtrise pas. Le pire étant, évidemment, qu'il ne la prend pas assez au sérieux quand elle lui parle de son sentiment d'être harcelée, malgré quelques preuves à l'appui... Aussi, Chloe Okuno, également scénariste, y est allée un peu fort dans la caractérisation du psychopathe : celui-ci aurait peut-être gagné à avoir une physionomie plus commune, du boy next door. Là, c'est typiquement le gars en face duquel personne n'aurait envie de se retrouver assis dans le métro : il a la tronche et la dégaine du serial killer de base, à la Francis Heaulme. Certes, il est flippant, mais cela va un brin à l'encontre de ce que dit par ailleurs le film sur les rapports entre les sexes. Nul besoin d'avoir l'air d'un tueur en série pour participer, plus ou moins activement, à la souffrance féminine... Cela reste cependant un petit couac. L'apparence choisie du psychopathe, et le jeu glaçant de l'acteur qui l'incarne, participent également au plaisir familier que nous ressentons devant le film, celui que l'on prend à la découverte d'un thriller bien mené, répondant à certains codes.
Enfin, quelques mots sur la fin, sujette aux critiques. J'ai pu lire que certains spectateurs se sont plaints de la conclusion, jugée décevante, trop expéditive. Au contraire, j'apprécie que Chloe Okuno ne tombe guère dans les travers du thriller américain qui n'en finit pas, avec de multiples rebondissements pénibles à la fin. Les cadavres qui se multiplient, le tueur qui se relève sans cesse, une longue et mouvementée confrontation sanglante, et autres classiques du genre. Le final de Watcher est, à mon sens, très bien comme ça. Il est à l'image du film, élégant et simple, sobre et efficace. Une des bonnes surprises de cette année cinématographie dans le domaine du ciné de genre. En bref, on tient là un vrai bon petit thriller qui ne pète pas plus haut que son cul, vaut carrément le coup d'œil et rend impatient de découvrir ce que son auteure fera à l'avenir. Je retiens son nom et la mets sur ma watchlist.
Watcher de Chloe Okuno avec Maika Monroe et quelques tocards (2022)