J'ai eu la mauvaise idée de regarder ce film en version originale. Quelques répliques valent déjà leur pesant d'or en anglais, alors j'ose à peine imaginer le régal que ça doit être avec le doublage français de la belle époque. Les personnages s'envoient invectives sur invectives, la plupart du temps de manière assez gratuite, pour le simple plaisir du bon mot, en riant entre eux de bon cœur. Et il y a aussi ces fameuses petites phrases, éructées par un acteur hors champ, au loin, mais bel et bien audibles, commentant délicieusement la situation, et qui ajoutent encore à la beauté de la chose. Par exemple ce terrible "Blew that son of a bitch sky hiiiiiigh ! Yoouhoou", lâché d'un seul jet, aigu et rocailleux, hilarant, dans l'enthousiasme général, au moment où des bâtons de dynamite sont joyeusement balancés sur le toit de la cabane de Bronson. Sans doute ma préférée du lot ! Bref, il y a largement là de quoi embellir encore tout ça dans la langue de Molière, parfois si inventive quand il s'agit de faire honneur à ce genre de péloches des années 80. Étrange que je loue un tel film pour ses dialogues, non ? Et pourtant... Il faut dire que le reste est assez téléphoné. On tient là un film d'action bien de son temps qui, prétextant se baser sur une histoire vraie, celle du trappeur fou Albert Johnson, déroule un programme archiconnu et semble se contenter du charisme de ses deux stars, Lee Marvin et Charles Bronson, mises face à face au cours d'une chasse à l'homme particulièrement sanglante et meurtrière dans les reliefs enneigées.
Bronson et Marvin respectent avant l'heure la distanciation sociale. Ils ne seront jamais plus proches l'un de l'autre. |
L'action se déroule à l'extrême nord ouest du Canada, à la limite avec l'Alaska. Lee Marvin est un sergent chevronné de la gendarmerie royale, qui essaie de couler des jours plutôt tranquilles à Aklavik, noyant son ennui dans l'alcool. Il gère les agités du coin sans faire de vague, quitte à les laisser s'autogérer, mais se voit un maudit jour contraint d'intervenir pour mettre au clair une sombre histoire de règlement de comptes suite à l'achat plus ou moins consenti d'un chien de combat par Charles Bronson. Décrochant rarement les mâchoires, dans un rôle qu'il connaît par cœur, Bronson incarne donc un trappeur solitaire habitué à la vie au grand air et sachant parfaitement manier le fusil. Le genre de type que l'on n'a pas envie d'aller titiller... mais ça, les autres guignols de ce bled sont trop idiots pour s'en rendre compte, à commencer par Hazel, celui qui souhaite récupérer son clébard par la force. Seul Lee Marvin comprend tout de suite à qui il a affaire et un respect mutuel lie immédiatement les deux hommes. La relation à distance qui se noue entre eux, surtout faite de regards lointains qui en disent longs (parfois échangés via une longue-vue !), est d'ailleurs l'autre petit intérêt du film. Elle permet de justifier un dénouement qui satisfait toutes les parties, spectateurs compris. La liberté pour Bronson, qui file en Alaska après avoir échappé à tous ses poursuivants ; la tranquillité pour Marvin, dont les mines exaspérées nous avaient d'emblée fait comprendre qu'il préfèrerait franchement passer ses journées à autre chose.
En dehors de ça, les scènes d'action ne sont pas spécialement bien troussées. C'est un dénommé Peter Hunt derrière la caméra. Son blaze ne vous dit rien ? Normal... et pas trop étonnant vu ce dont il se montre capable ici. Rien de honteux, mais le minimum syndical : on comprend ce qui se passe, quoi. Les morts s'accumulent, les balles fusent, le sang gicle, là-dessus pas de problème, Hunt, au patronyme prédestiné, se montre généreux. Le comportement des personnages est parfois assez risible, comme ce pilote obnubilé par sa cible et la récompense promise (la tête de Bronson est rapidement mise à prix, pour une bonne somme, ce qui a pour effet d'ameuter toute la région à ses trousses), au point de finir son vol piteusement, sur le flanc d'une montagne. Les derniers plans sur le sourire baveux hystérique du pilote débile comptent parmi les plus mémorables du film. Je me souviendrai également de cette anecdote sortie de nulle part au sujet d'Hazel, l'immense abruti à l'origine de tout ce merdier. C'est Carl Weathers, ici dans le rôle de George Washington Lincoln "Sundog" Brown (le plus souvent désigné "you black bastard" avec une réelle affection par son ami Lee Marvin), qui nous la raconte calmement au coin du feu, le sourire aux lèvres. A celui qui demande tout haut "Hazel... That's a girl's name, isn't it ?", Weathers répond tout naturellement "The way I hear it told, Hazel's mama didn't know if he was a boy or girl 'till he was about 15. She didn't much care a few years later when he turned vicious."
Chasse à mort de Peter Hunt avec Lee Marvin, Charles Bronson et Carl Weathers (1981)