Avec Schumi il convient de toujours faire le distinguo entre forme athlétique et forme artistique. Avant de découvrir son nouveau film, on l'a vu pimpant, fringant, tonitruant, la peau mate et propre comme un fruit qui a mûri au soleil bercé par des alizés délicats, le cheveu luisant et la boucle frisottante, l'œil alerte, pétillant de malice, de génie, de fougue. On a vu un homme heureux, équilibré, au faîte de son bonheur, parfaitement à l'aise dans ses baskets et manifestement rayonnant entouré des siens dans une aura de bien-être personnel et familial. Mais c'est l'arbre qui cache la forêt. Car si belle soit la forme athlétique de celui qui restera notre ami à jamais (oui, nous sommes fidèles et loyaux en amitié, quitte à se faire enfler régulièrement : nous accordâmes notre confiance à Darren Aronofsky, Pierre Palmade, Dani Alves, Adrien Quatennens... autant de personnalités qui nous auront profondément déçus - concernant Dani Alves, par son football, avant tout le reste...), sa verve créatrice est en berne depuis si longtemps qu'il est douloureux de se demander quand tout cela a commencé à partir en couille.
On était contents pour lui quand Schumi a sorti la tête de l'eau avec le vaguement sympatoche The Visit puis avec l'honnête thriller Split, des films qui témoignaient d'une forme de remontada sans être réellement brillants et nous donnaient de l'espoir dans la capacité du natif de Pondichéry à se remettre sur rails, à retrouver la confiance des financiers et à se lancer de nouveau, après ces petits sursauts de vitalité, vers des projets ambitieux, à sa hauteur, bref, de retourner vers le cinéma de qualité qu'il a su nous offrir à ses débuts. Mais depuis, Schumi reste en première, donnant même l'impression d'un démarrage en côte à l'odeur de gomme brûlée. Le frein à main reste enclenché sur l'autoroute du bonheur et sa caisse se traîne sur les chemins tortueux de notre amour cinéphile. Les petits films, à petites idées, rapidement tournés, se succèdent et se ressemblent tristement. On y croit un peu à chaque fois et on est à chaque fois trompés. Les films ne décollent pas après des entames menées tambour battant qui veulent nous en promettre mais n'excèdent jamais leur petit programme initial et finissent même par nous ennuyer.
Qu'il multiplie les effets de manche dans le vide (qu'on l'a déjà vu mettre au service de projets dignes de lui et de son talent) comme dans Old, ou que sa signature soit là mais plus discrète, comme dans ce Nock At the Cabin, on s'agace, on souffle, on s'interdit la moindre pause-pipi qui pourrait être fatale à une petite chose si fragile et si maigre. Pire encore quand Schumi décide de terminer son film dans un parking lot triste à mourir – coup qu'il nous a déjà fait à la fin du triste Glass. On commence malheureusement à s'habituer à sa petite musique, et à se foutre de ce qu'il nous raconte (faites une petite recherche du mot "petit" dans cet article et vous le trouverez beaucoup trop souvent, ce qui témoigne à la fois de la minceur de notre vocabulaire et de l'inspiration actuelle de celui qui, rappelons-le, reste le bienvenu chez nous quoi qu'il arrive : jurisprudence Pierre Palmade que nous attendons dès sa sortie de garde à vue avec des falafels et un petit chaï latté).
Un signe qui ne trompe pas sur la vaste fumisterie que constitue ce film, c'est le désintérêt total que nous portons aux personnages, pourtant soumis à un dilemme qui devrait faire marcher notre empathie à 2000 à l'heure. Ils ne sont pas servis par un scénario souvent bancal et prévisible, ni par des acteurs sans charisme (à part la gamine au bec de lièvre, et le kaïju Dave Bautista). Tout cela est inspiré d'un roman SF comme il s'en est écrit des milliards, couvert de quelques prix comme il en tombe des milliards, et ressemble à s'y méprendre à tant de récits bâtis sur les mêmes concepts éculés (des milliards), voire aux petites questions-défis qu'on se pose en soirée quand on a fait le tour de l'actualité et qu'on n'a plus rien à se raconter. Nocknock at the Cabin achève de faire pitié quand des effets spéciaux au rabais viennent illustrer les visions apocalyptiques d'un film décidément médiocre, qui n'aura jamais dépassé le stade du brouillon alors qu'il aurait mérité quinze ou seize versions raturées, et de ne jamais passer par la case "tournage". Schumi est certes le plus beau réalisateur américain vivant, peut-être le plus beau du monde, mais son charme, qui incendie les plateaux télé et les papiers glacés, n'irradie plus son cinéma et ne suffit pas à rendre heureux les gens qui ne font pas directement partie de son cercle familial. Contrairement à Schumi, on relira ce papier à tête reposée pour éviter les redites, les lourdeurs de style, les trop longues parenthèses, les références pataudes à une actualité pesante (Pierre Palmade...) et à nos derniers repas libanais (foncez déguster un taouk chez S comme Saj). Si vous lisez cette phrase, qui n'est qu'un pense-bête, c'est que nous avons publié tout ça un peu vite et sans se fouler, à la façon de notre ami et maître Schumi.
Knock at the Cabin de M. Night Shyamalan avec Dave Bautista, Jonathan Groff, Ben Aldridge et Nikki Amuka-Bird (2023)