Après le remarqué Ex Machina qui abordait l'un des thèmes favoris de la science fiction actuelle, l'intelligence artificielle, le britannique Alex Garland persévère dans le genre en adaptant cette fois-ci le best steller de Jeff Vandermeer, Annihilation, paru en 2004 et auréolé de nombreuses distinctions. Ce livre s'inspirait de deux grands classiques venus de l'Est : Stalker, des frères Strougatski, et Solaris, de Stanislas Lem, des incontournables de la SF, à lire absolument, qui ont chacun donné lieu à des adaptations signées Andreï Tarkovski, elles-mêmes entrées dans l'histoire du 7ème Art. C'est dire si Alex Garland fait preuve d'ambition et s'inscrit dans un héritage littéraire et cinématographique particulièrement lourd à porter. En réalité, c'est principalement à Stalker que l'on repense ici puisque le point de départ est grosso modo le même. Il s'agit d'une idée a priori très excitante, popularisée par les frères Strougatski puis magnifiée par le chef d’œuvre de Tarkovski : l'exploration d'une vaste et mystérieuse étendue de notre planète influencée par une présence venue d'ailleurs, une zone à haut risque aux effets inexplicables sur les visiteurs qui s'y aventurent courageusement. Nous suivons une petite troupe de scientifiques, exclusivement féminine, menée par Natalie Portman et Jennifer Jason Leigh, désireuse d'atteindre le centre de ladite zone afin de percer son secret, de comprendre pourquoi celle-ci croît inexorablement, transformant tout ce qu'elle absorbe.
Dès les premières minutes d'exposition, le film s'avère hélas assez laborieux. Alex Garland installe péniblement des personnages tout à fait anodins, interprétés par des acteurs qui semblent peu concernés (la palme revenant à Jennifer Jason Leigh, fantomatique). Mais parce que le pitch est prometteur, on demeure vaguement intrigué et, surtout, impatient d'entrer enfin dans la fameuse zone, ce "scintillement" étrange qui, à l'image, se caractérise par des vagues de lumières aux couleurs de l'arc-en-ciel, miroitant au loin. Ce n'est qu'à la trentième minute que la bande à Natalie Portman y pénètre enfin, après un dernier temps d'attente, un ultime regard lancé derrière leurs épaules, histoire de créer un suspense qui se fait toujours désirer. Nous apprenons ensuite que la présence venue d'outre-ciel a pour effet de faire muter les organismes, de les mêler de manière hasardeuse les uns aux autres, faisant fi des barrières des espèces et des lois les plus élémentaires de la Nature. Cette particularité aurait pu permettre à Alex Garland toutes les folies visuelles. Malheureusement, si la "direction artistique" se veut soignée, le cinéaste s'avère incapable de la mettre convenablement en valeur, de créer des images réellement fascinantes. Visuellement, Annihilation est d'une pauvreté accablante, malgré deux ou trois bonnes idées disséminées ici ou là qui auraient mérité un bien meilleur traitement et en dépit d'un scénario qui offrait un prétexte solide à toutes les extravagances.
A l'image, c'est à un psychédélisme très sage auquel nous avons affaire, donnant régulièrement au film une sorte de style pseudo New Age daté et de mauvais goût. Initialement écrivain et scénariste, Alex Garland révèle encore toutes ses limites en tant que metteur en scène. Il nous rappelle que son
Ex Machina était déjà très surestimé et bénéficiait, lui aussi, d'un pitch particulièrement aguicheur, d'un scénario que n'honorait pas son travail de réalisateur, mais qui a suffi à en tromper plus d'un. En évoquant immanquablement
Stalker,
Annihilation nous rappelle sa petitesse dérisoire fasse à l’œuvre gigantesque de Tarkovski. Mais Alex Garland ne s'arrête pas là et convoque aussi régulièrement d'autres références trop imposantes pour lui. On note ainsi de nombreux clins d’œil et de situations rappelant
The Thing de John Carpenter. Là encore, la comparaison s'avère très cruelle puisque contrairement au maître, le britannique est bien incapable de développer la moindre atmosphère et ne capture guère de visions d'épouvante ni ne provoque aucun effroi face à l'inconnu, aucune sidération face à l'inexplicable. Il parvient seulement à nous donner le vertige face au terrible abîme qui le sépare des grands cinéastes qui, eux, ont su marquer la science fiction en mettant leur immense talent à son service. Pour réussir un tel film, il faut en effet un certain génie, un brin de folie. Produire des images marquantes n'est pas donné à tout le monde. Imaginez le script d'
Under the Skin entre les mains d'un guignol. C'est impensable. Jonathan Glazer a su le sublimer, en faire une œuvre tout à fait à part. Alex Garland n'est définitivement pas de cette trempe, il aurait peut-être dû laisser faire quelqu'un d'autre. Mais ils ne sont hélas pas nombreux ceux qui, aujourd'hui, auraient été capables d'en tirer un chouette film.
Alors que son histoire lui offre mille possibilités, nous avons donc droit à des fleurs de toutes les couleurs, à deux biches albinos sautillant dans les bois, à un crocodile à la dentition variée et à un ours à la tronche de sanglier. Génial... On a le désagréable sentiment qu'il manquait un illuminé à bord, l'équivalent d'un Giger ou d'un Rob Bottin, capable de matérialiser les plus folles digressions. Ce n'est qu'à la toute fin qu'Alex Garland se lâche un peu et nous propose une scène plutôt surprenante. Natalie Portman y est confrontée à un double bizarroïde lors d'un face à face donnant lieu à une chorégraphie où le temps, enfin, paraît suspendu par l'étrangeté du spectacle proposé. C'est hélas bien trop tard... Orphelin de la moindre tension, en dehors d'une scène plutôt réussie et porteuse de la plus belle idée (l'ours mutant qui reproduit les appels à l'aide de sa dernière victime humaine — notons qu'elle est sonore et non visuelle), Annihilation est également dénué de rythme et d'ambiance. Pompeusement découpé en plusieurs chapitres aux titres sibyllins, ce film très creux nous propose des flashbacks réguliers qui nous permettent de faire plus ample connaissance avec le couple sans intérêt formé par Natalie Portman et Oscar Isaac. On se farcit ainsi des scènes de plumard lamentables où le second chatouille la première après avoir échangé sur Dieu et la Création lors de dialogues imbuvables. Merveilleux...
Au bout du compte,
Annihilation laisse une impression drôlement désagréable, celle d'une arnaque mal menée, d'esbroufe sans style particulier. Un comble. Le scénario qui invitait à des métaphores évidentes semble cacher tant bien que mal son indigence derrière une nébulosité ridicule qui n'émoustille en rien notre imagination et ne nous incite nullement à combler ses vides, ses trous laissés béants. Le plan final, pied de nez minable, achève de nous plonger dans la pire perplexité, il ressemble tristement au
cliffhanger facile d'un épisode de série télé de bas étage. Il paraît que le film parle avant tout de dépression, d'autodestruction. C'est vrai qu'il nous fait broyer du noir et que la démarche de Garland s'apparente à un suicide.
Annihilation accomplit la désolante prouesse de nous amener à douter du pouvoir de l'art cinématographique quant à sa capacité à exploiter pleinement les grandes idées de science fiction et à reproduire les plus singulières expériences de lecture (on pourrait, ou plutôt, on devrait pouvoir penser à
La Couleur tombée du ciel de Lovecraft, à
La Forêt de Cristal de JG Ballard). Et l'on frémit de nouveau en pensant que l'adaptation des
Montagnes Hallucinées par le peu doué Guillermo Del Toro pourrait être remise sur les rails suite au succès de
La Forme de l'Eau. Alors que John Carpenter réussissait à évoquer l'esprit si périlleux de Lovecraft dans
The Thing, en s'y attaquant par des voies détournées, Alex Garland nous confronte simplement à son impuissance et échoue à effleurer les grands écrivains, les maîtres de la science fiction, en empruntant pourtant un chemin bien plus direct. On termine le film avec l'envie très vive de se nettoyer les yeux, de raviver notre amour pour le cinoche, le vrai, en se replongeant dans le décidément inégalable
Stalker d'Andrei Tarkovski.
Annihilation d'Alex Garland avec Natalie Portman, Jennifer Jason Leigh et Oscar Isaac (2018)