30 juillet 2019

Eighth Grade

Eighth Grade est le premier long métrage de Bo Burnham, un jeune américain né en 1990, musicien et comique de scène, qui a commencé à se faire connaître dès l'âge de 16 ans en tant que youtubeur. Littéralement couvert d'éloges par les critiques US, son film s'intéresse aux adolescents d'aujourd'hui à travers le portrait de la petite Kayla, une gamine qui habite seule avec son père et vit sa dernière semaine au collège (l'eight grade est l'équivalent de notre 3ème). Scotchée à son smartphone du lever au coucher, Kayla a une chaîne Youtube qu'elle alimente avec des vidéos faites maison où elle donne des conseils, cause confiance en soi et image de soi, se montrant expansive et pleine d'assurance. Immédiatement, Bo Burnham nous révèle le décalage immense entre l'image que Kayla donne d'elle-même sur les réseaux sociaux, via ses vidéos, et son attitude au collège, au milieu de ses semblables, dans la "vraie vie", pourrait-on dire. Adolescente assez mal dans sa peau, peu gâtée par l'acné, discrète et solitaire, Kayla est effectivement la première concernée par ses propres conseils, fièrement énoncées dans ses petites vidéos, dans une sorte de méthode Coué 2.0 qui finira par porter ses fruits...




Face à un personnage aussi fragile et vulnérable, j'ai bien longtemps craint le pire. J'étais persuadé qu'une pluie de saloperies allait s'abattre sur cette gamine. J'ai passé tout le film à anticiper, à imaginer les mauvaises surprises que lui réservait le scénario. Qu'elle se fasse humilier par les pimbêches de son collège, qu'un garçon profite de son envie d'avoir un boyfriend pour abuser d'elle, que son père finisse par péter les plombs et lui coller une beigne bien méritée, etc. J'ai eu les chocottes tout le long et ce n'est qu'à 10 minutes du terme que j'ai fini par me dire que la gosse était à l'abri, qu'il ne pouvait plus rien lui arriver de grave. Contrairement aux apparences, Eighth Grade n'est donc pas une version réactualisée de Bienvenue dans l'âge ingrat, le sympathique film de Todd Solondz qui nous proposait de revivre l'enfer de l'adolescence et du collège à travers les yeux d'une autre ado en manque de confiance et, quant à elle, guère épargnée par les injures et les humiliations quotidiennes. Ici, tout se passe putain de bien, et il y a là quelque chose d'étonnamment réconfortant. Bo Burnham nous a livré un bon gros "feel good movie", comme on dit, et c'est peut-être cet optimisme désarmant qui a autant plu aux critiques de son pays.




Alors certes, tout cela est assez facile, naïf et paraît un peu factice. On a par exemple du mal à croire aux agissements de cette fille, ultra réservée mais dotée d'un courage et d'une capacité à se foutre des coups de pied au cul tout à fait hors norme. On peine également à concevoir l'existence d'autres personnages aussi bienveillants autour d'elle et je fais là surtout allusion à cette lycéenne qui choisit de prendre sous son aile Kayla suite à sa journée de pré-rentrée, voire à son père, toujours patient, stoïque et aux petits soins malgré l'attitude parfois insolente de sa fille. Par ailleurs, certains effets sont un peu lourds, notamment l'utilisation de la musique, qui donne l'impression que le réalisateur est allé piocher dans le lecteur mp3 de cet ado pour surligner ses états d'âme. Mais il y a aussi de vraies qualités là-dedans. Les jeunes acteurs, à commencer par Elsie Fisher, sont impeccables et ont sans doute été bien dirigés. Le regard posé sur cette ado est d'une douceur sincère et de chaque instant. D'une certaine humilité, ce petit film assumé est porté par une tendresse plaisante, agréable, qui nous brosse dans le sens du poil, on se laisse faire sans souci.




Bo Burnham réussit même une scène sacrément casse-gueule : celle où le père et sa fille, alors au fond du trou, se retrouvent autour d'un feu, pour aboutir à un moment de confidence paternel plutôt touchant. Alors qu'il aurait pu tomber à pieds joints dans le pathos, il réussit à nous émouvoir avec plus de subtilité que prévu. Le premier rendez-vous entre Kayla et Gabe, un garçon assez perché qui lui a préparé un dîner romantique à base de frites, de nuggets et d'un impressionnant assortiment de sauces, constitue un autre moment fort qui finit de nous conquérir. Cette conclusion tranquille promet un avenir radieux au personnage principal, que nous sommes satisfaits de quitter ainsi. Bref, guilty as charged d'avoir kiffé ce teen movie, dont je comprends aisément qu'il ait su faire causer de lui outre-Atlantique. Il est étonnant qu'il n'ait pas trouvé de distributeur en France, il y avait du blé à se faire... 


Eighth Grade de Bo Burnham avec Elsie Fisher, Josh Hamilton et Jake Ryan (2019)

24 juillet 2019

The Program

Quand bien même le cyclisme et le cinéma ont rarement fait bon ménage (à part, à ma connaissance, dans le superbe Breaking Away de Peter Yates), Lance Armstrong aurait pu faire l'objet d'un biopic passionnant du fait de sa personnalité trouble et de son parcours si singulier. Spécialiste du biopic provocateur, l'anglais Stephen Frears s'est courageusement attelé à cette tâche épineuse quelques mois après les aveux très médiatisés du champion déchu, en adaptant le livre du journaliste sportif et d'investigation irlandais David Walsh. Ce dernier, incarné ici par Chris O’Dowd, a très tôt douté des performances hors normes de l'américain et s'est rapidement lancé à la chasse aux preuves pour révéler aux yeux du monde entier ses pratiques frauduleuses. Pendant ce temps, Lance Armstrong (Ben Foster, impeccable) enchaînait les succès sur la Grande Boucle, en s’appuyant sur son mental d’acier, une équipe entièrement à sa merci et, surtout, un « programme » parfaitement bien huilé, inspiré par les pratiques douteuses du médecin italien Michele Ferrari (Guillaume Canet !). En plus d’intéresser les américains au cyclisme, Lance Armstrong s’engageait financièrement dans la lutte contre le cancer, qu’il avait lui-même vaincu avant son ascension phénoménale, et redonnait aussi espoir à quelques malades, qui voyaient en lui le symbole d’une guérison possible.




D’une durée relativement courte compte tenu des modes actuelles, de la période couverte par le scénario et de la profusion des sujets et événements à traiter ici, The Program est une œuvre assez bâtarde, qui ne se présente ni comme un véritable biopic d'Armstrong ni comme un pur film d'investigation. Peu à l’aise, et c’est compréhensible, quand il s’agit de filmer les courses, Stephen Frears s’appuie sur quelques images d’archives et ne se focalise jamais vraiment sur les performances sportives, aussi peu éthiques soient-elles, ou sur la compétition même. Nous ne sommes jamais pris dans le suspense d’une course ni placé dans la peau d’un spectateur qui assisterait, béat, aux exploits paranormaux d’Armstrong. Les victoires au Tour de France s’enchaînent comme des vignettes qui défilent rapidement à l’écran. On est plus concentré sur l’enquête du journaliste irlandais, quand bien même celle-ci n’est pas retranscrite dans des détails assez riches pour se suffire à elle-même. En bref, The Program est un film assez bizarre, orphelin d’une identité claire, ce qui explique sans doute l’accueil plutôt frileux dont il a bénéficié à sa sortie en 2015, mais, fort du savoir-faire de son auteur, il parvient tout de même à captiver.




Ne sachant peut-être pas trop sur quel pied danser, Stephen Frears a vraisemblablement opté pour la vitesse et la légèreté, avec un traitement assez « pop » de son sujet, si l’on peut dire. Son film trouve son salut dans son rythme assez enlevé, son efficacité relative et l'interprétation très solide de Ben Foster. L’acteur américain n’a pas l’air obsédé par le mimétisme généralement de mise dans ce type de films et met très bien au service du personnage son physique ambivalent, à la fois charmeur et vipérin. Bien que la ressemblance physique ne soit pas évidente, il apparaît comme un choix de casting judicieux, plus malin, en tout cas, que les Matt Damon et Jake Gyllenhaal directement évoqués dans le film, quand Lance Armstrong, alors au sommet de sa gloire, évoque plein d'arrogance avec ses coéquipiers les grands noms qui circulent à Hollywood pour l’incarner dans une future hagiographie qui, en fin de compte, ne verra jamais le jour. Les scènes où Ben Foster doit faire face aux médias ou à ses partenaires récalcitrants sont sans doute les plus réussies. L’acteur dégage une espèce de charisme négatif assez fascinant, on tient donc à le saluer, lui qui n’a, semble-t-il, pas été très honoré pour sa prestation, là où d’autres récoltent des prix pour, par exemple, singer ridiculement Winston Churchill ou salir impunément la mémoire de Freddie Mercury. Son interprétation permet à The Program de ne pas être complètement superficiel et juste divertissant puisque l’on devine le monstre humain qui se cache derrière les traits de ce cycliste à la détermination et à la mentalité folles.


The Program de Stephen Frears avec Ben Foster, Chris O'Dowd et Jesse Plemons (2015)

22 juillet 2019

Golden Exits

Alex Ross Perry se prend sans doute pour le digne héritier de John Cassavetes et Woody Allen, il n'en est pourtant que l'un des rejetons dégénérés. Le jeune cinéaste a beau être productif et enchaîner les petits films malodorants comme des pets fumeux, il n'est qu'au tout début de sa carrière et se répète déjà en boucle. On tient donc un nouveau film peuplé de personnages impiffrables qui se regardent le nombril et se livrent tour à tour à des séances de psychanalyses épuisantes. Tout se passe à Brooklyn, un quartier que le réalisateur filme comme s'il s'agissait de la septième merveille du monde, les américains étant décidément les meilleurs pour vendre les cloaques qui leur servent de mégapoles. Une jeune femme venue d'Australie, incarnée par Emily Browning, débarque à New York pour quelques mois afin d'aider dans son travail d'archivage un quarantenaire marié dont la particularité est d'avoir une énorme teub suintante et turgescente à la place du cerveau. Mais, à vrai dire, littéralement tous les personnages masculins deviennent obsédés par cette fille dès qu'ils la croisent et nous assistons à un enchaînement de scènes de basse-cour où l'on croirait observer des vieux chiens efflanqués renifler à tour de rôle le postérieur d'une femelle en chaleur sur les quais du vieux port. Un spectacle passionnant.




Pendant ce temps, les autres femmes s'interrogent sur la Vie, à travers des dialogues qui donnent envie de se pendre, de prendre immédiatement en grippe les personnages et leurs interprètes et, accessoirement, de détester l'humanité toute entière. Golden Exits est une horreur absolue qui pourrait faire haïr le cinéma à n'importe qui. Il faut tenir les enfants éloignés de ça. Alex Ross Perry nous livre une triste caricature de film d'auteur indépendant, avec des acteurs minables qui récitent leurs textes indigestes comme s'ils étaient menacés de mort, affalés sur leurs fauteuils dans le salon cosy de leur chic appartement, un énorme verre de Cabeurnet-Souvignone à la main. Chloë Sevigny fait particulièrement peine à voir là-dedans, avec ses airs de vieilles camées névrosées (ce qu’elle est in real life si sa page Wikipedia est exacte) que l'on a envie de voir disparaître à tout jamais. Si une civilisation extraterrestre tombe par hasard là-dessus, il est évident qu'ils débarqueront avec les intentions les plus belliqueuses à notre égard. A cause de ce con de film !


Golden Exits d'Alex Ross Perry avec Emily Browning et d'autres fumiers (2017)

18 juillet 2019

Queen of Earth

Couvert d'éloges par des critiques voulant absolument croire en l'éclosion d'un nouvel auteur américain (Alex Ross Perry, dont nous avions vaguement apprécié The Color Wheel), Queen of Earth a failli avoir ma peau ! Ce film essaie apparemment d'être un thriller psychologique aux accents polanskiens où deux "amies" passent toutes leurs vacances à enchaîner les prises de becs, à ressasser de vieilles rancœurs, à régler leurs comptes, à parler de leurs relations amoureuses passées, toutes tellement nocives et destructrices, vous ne vous imaginez même pas. Pour faire grimper la tension, le cinéaste accompagne la plupart de ses scènes d'une musique oppressante super naze qui rend le tout encore plus pathétique et insupportable. ARP cherche visiblement à nous mettre sur le cul avec ses plans séquences terriblement longs durant lesquels sa caméra passe d'un visage à l'autre, avec des enchaînements de très gros plans sur des actrices (Elisabeth Moss et Katherine Waterston) qui donnent tout ce qu'elles ont. Quelques moments très fugaces nous font entrevoir le petit potentiel du réalisateur. Quel dommage qu'il n'ait strictement rien d'intéressant à raconter et qu'il nous donne même envie de cracher sur ses personnages détestables !




Il est si fatiguant de les voir se déchirer, se mépriser, être si mauvaises... "Oh toi t'es qu'une fille à papa ! Heureusement que ton père était un artiste contemporain reconnu dont tu as pu devenir l'assistante, car sans ça t'aurais jamais rien fait de ta vie de merde car t'es qu'une pauv' zonarde" dit l'une. "Oh toi, tu me sors ça, mais si j'en connais une qui ne fout rien de sa vie, c'est bien toi : tu ne branles rien de tes journées et tu n'as jamais rien glandé, on est en vacances mais ça ne change rien pour toi qui, de toute façon, ne fous strictement jamais rien ! Ça doit être terrible, d'ailleurs, de se lever chaque matin et de se dire "je branle quoi aujourd'hui ? Que dalle, comme d'hab !"" lui répond l'autre. "Ohlala tu me fais trop de mal en me disant tout ça, notre amitié est trop malsaine et passionnelle, j'aime ça, pas toi ?". "Ouais, truc de ouf. Allez, on retourne au bord du lac tirer la tronche en duo ?!" "Wesh, j'te suis !" "Preum's !" Voilà en gros un aperçu des dialogues... Je m'occuperais avec plaisir du doublage français, tiens... 




Je suis réellement déçu car The Color Wheel, malgré son côté arty un peu énervant, attestait d'une certaine humilité totalement absente ici. J'avais très envie d'y croire, moi aussi, mais au bout de la 20ème minute, j'en avais déjà marre et j'ai maté le reste à cran, toujours agacé et conforté dans mon rejet total pour ce triste objet cinématographique que son auteur croit génial. 


Queen of Earth d'Alex Ross Perry avec Elisabeth Moss et Katherine Waterston (2015)

16 juillet 2019

The Guilty

Le pitch de ce film danois à succès pourrait a priori tenir sur un post-it. Asger est un flic récemment déclassé qui bosse désormais en tant que répartiteur d'appels d'urgence. Un beau soir, il répond au coup de téléphone d'une femme en panique qui prétend avoir été enlevée par son ex-mari violent. A distance, il va essayer de la sauver. Alors que nous ne quittons pas la centrale d'appels ni Asger d'une semelle, le scénario se complique néanmoins. Croyant bien faire et désireux de se racheter, Asger va prendre en charge la situation, surpassant ses fonctions malgré les mises en garde de ses supérieurs. Il ignore qu'il s'est engagé dans une course contre la montre à l'issue incertaine et qu'il s'apprête à vivre une sacrée soirée de merde à la veille de sa comparution au tribunal pour une sombre affaire de bavure policière à laquelle il semble mêlé...




Avec ses 85 petites minutes au compteur, son concept accrocheur et ses unités de lieu et de temps resserrées à l'extrême, The Guilty a les allures de ces nombreux thrillers minimalistes que l'on a vu fleurir par dizaines ces dernières années. Leurs idées de départ se résument elles aussi en une demi phrase et leur ambition est toujours de nous scotcher à nos fauteuils, en nous faisant vivre en temps réel une situation à la tension permanente, allant crescendo. Mais le jeune cinéaste danois Gustav Möller, qui signe là son premier long métrage, a un peu plus d'ambition que ça et parvient avec une certaine habileté à donner la petite épaisseur qu'il manque généralement aux autres productions de ce genre.




Son film choisit intelligemment de laisser, du début à la fin, l'action hors champ, nous laissant imaginer ce qu'il se passe à l'autre bout du fil. Se concentrant donc à fond sur son personnage principal, le scénario amène une vraie réflexion morale, pas inintéressante et plutôt efficace, qui illustre parfaitement la sentence "méfiez-vous des apparences" ou encore "l'erreur est humaine". De tous les plans, Jakob Cedergren s'en tire avec les honneurs et réussit à nuancer suffisamment son jeu pour que l'on ressente de l'empathie pour son personnage tout en ayant un regard critique sur ses choix et son attitude. Grâce à ses modestes qualités, The Guilty sort donc effectivement du lot dans sa catégorie et s'impose au bout du compte comme un petit thriller malin et adroit.


The Guilty de Gustav Möller avec Jakob Cedergren (2018)

Le Syndrome chinois

A l'heure où la série Chernobyl fait le buzz et récolte un peu partout des lauriers plutôt mérités, il est tout naturel, en tant que cinéphage avant d'être sérievore, de ressentir l'envie de se tourner vers ce que le cinéma a également proposé en termes de fiction nucléaire, en dehors de tout post-nuke. Un titre nous revient alors immédiatement à l'esprit : Le Syndrome chinois, réalisé en 1979 par James Bridges. Ce film emballant nous renvoie aux belles heures du cinéma américain de ces années-là, quand celui-ci savait encore se montrer engagé sans oublier d'être intelligent et de nous faire kiffer, ou quand le savoir-faire des uns et des autres s'alliait pour un résultat impeccable. Le Syndrome chinois n'est pas un sommet de cinoche, certes, mais c'est un vrai bon film, efficace, pro, net et sans bavure, encore très plaisant à revoir aujourd'hui.





Jane Fonda y incarne une journaliste télé ambitieuse qui, lors de ce qui devait être le tournage d'un simple reportage sur une centrale nucléaire, assiste à un incident très inquiétant que son fidèle caméraman, joué par Michael Douglas, a réussi à mettre en boîte discrètement. Porteuse de la preuve incontestable du danger de cette centrale, Jane Fonda y voit là un excellent sujet pour s'imposer en tant que véritable journaliste d'investigation, mais se retrouve barrée par la direction de sa chaîne tv, en raison d'enjeux financiers et politiques qui la dépassent, bloquant toute révélation fâcheuse... Bien déterminée à ne pas en rester là, elle va alors enquêter auprès du chef d'équipe de la centrale, interprété par le grand Jack Lemmon, afin de démêler le vrai du faux et savoir ce qu'il s'est réellement passé.





Produit par Michael Douglas, Le Syndrome chinois n'est pas un film à thèse qui chercherait bêtement à nous dégoûter de l'énergie nucléaire en nous alarmant avec lourdeur sur ses dangers. Il est plus malin que cela et parvient même à réussir son coup sur plusieurs tableaux : à travers le personnage de Jane Fonda, la place des femmes et leur désir légitime d'émancipation sont mis en avant avec un féminisme de bon aloi ; par son métier de journaliste, le jeu dangereux de médias aux pouvoirs grandissants est assez habilement critiqué ; et enfin, par le biais de son investigation sur la centrale, les dérives d'une société entièrement soumise à l'appât du gain sont pointées du doigts de par leur incompatibilité avec une maîtrise sûre et complète des technologies qui nécessitent la plus grande vigilance, ici l'énergie nucléaire, dont le potentiel cinégénique est évident. C'est par sa façon judicieuse d'aborder ces différents thèmes l'air de rien, en restant distrayant et très prenant de bout en bout, que Le Syndrome chinois impose le respect. Il faut dire que, tandis que James Bridges propose une réalisation appliquée, le tout est idéalement servi par un casting 4 étoiles en forme olympique.





Avec son pas dynamique, son brushing impeccable, ses tailleurs bien taillés et son air décidé, Jane Fonda est totalement crédible dans le rôle de cette femme pugnace qui met progressivement ses motivations personnelles au second plan pour s'impliquer pleinement dans une situation soulevant un problème bien plus global, menaçant la population. A ses côtés, Michael Douglas se fait plus discret malgré un sex appeal très actuel fait de cheveux longs et d'une barbe bien entretenue, il est étonnamment crédible dans la peau de ce cameraman volontiers tête-brûlée, aux opinions déjà bien ancrées. Mais le plus impressionnant là-dedans, c'est évidemment Jack Lemmon, très justement récompensé du Prix d'interprétation à Cannes pour cette prestation en or massif. Que dire qui n'ait pas déjà été dit ? Jeu avec ou sans ballon, placement, gestuelle, tics et tocs, regard par-dessus les lunettes, humidité des yeux, menton grelotant, sueur sur les tempes, et ce regard aux abois derrière lequel toute l'inquiétude du monde bouillonne et qui reste l'image marquante de ce film... Lemmon est parfait, enchaînant les gestes techniques avec une classe sans égale, et fait briller ses partenaires, élevant tous les autres à un niveau de jeu exceptionnel. Chapeau bas l'artiste !





Au milieu de tout ce beau monde, les seconds couteaux ne sont pas en reste, parmi lesquels l'inimitable Wilford Brimley, la véritable quatrième étoile de ce casting hors norme : un acteur que nous apprécions beaucoup aussi dans The Thing de John Carpenter, où nous garderons à jamais le souvenir de sa mine inquiète quand, après avoir fait des simulations sur l'ordinateur de la base scientifique et observé, sur un petit moniteur sans âge, les cellules extraterrestres se multiplier, il découvre stupéfait le pouvoir de la Chose et le danger qu'elle représente pour l'humanité toute entière. Mais je digresse ! Wilford Brimley, son regard de chien battu et sa moustache du tonnerre crèvent tout simplement l'écran dans Le Syndrome chinois, où il parvient avec son style si unique, à la nonchalance très calculée, à personnifier toute l'impuissance des petites mains face au mécanisme implacable d'une société qui ne tourne pas rond et fonce droit dans le mur. Il est la circonspection incarnée. Quand la caméra s'attarde sur sa tronche perplexe, pour un plan qui dure toujours une ou deux secondes de trop, aimantée par le charisme inouïe de l'acteur, on tutoie les plus hautes cimes cinématographiques.





Intelligent à tous les niveaux, mené tambour battant et porté par des acteurs géniaux, Le Syndrome chinois est un petit régal, à peine gâché par une poursuite en voitures mollassonne et quelques facilités scénaristiques dans sa dernière partie. Le film a également le mérite de se terminer comme il faut, de manière assez abrupte. Une fin qui fait froid dans le dos, dont l'ultime image réussit à englober tous les enjeux du scénario et nous laisse pétrifié sur notre canapé. Science du timing : Le Syndrome chinois est sorti douze jours avant l'accident nucléaire de Three Mile Island, le plus grave de l'histoire américaine, il trouva ainsi un écho considérable dans l'opinion et alimenta le mouvement contre l'énergie nucléaire aux États-Unis. Il est amusant de voir aujourd'hui que la série Chernobyl pointe du doigt les mêmes travers, ou quand un système poussé à son paroxysme fout à mal la terre entière...


Le Syndrome chinois de James Bridges avec Jane Fonda, Jack Lemmon, Michael Douglas et Wilford Brimley (1979)

14 juillet 2019

Damsel

Encore un western contemporain qu'on ne verra pas sur grand écran. Damsel, des frères David et Nathan Zellner, prend le chemin de la petite lucarne, à la suite, entre autres, de Slow West, Bone Tomahawk, The Keeping Room ou encore le très sympathique The Ballad of Buster Scruggs, qui, huit ans après True Grit, aurait peut-être pu accéder aux salles à son tour, le nom des frères Coen faisant foi, mais qui aura achevé sa course sur Netflix. Tant pis pour nous autres amateurs du genre, qui le voyons perdurer à travers ces films de qualité mais qui déplorons aussi de ne pouvoir découvrir ses derniers rejetons comme il se doit. Certains sont d'un niveau très moyen qui justifie une sortie directe en dvd, à l'image de In a Valley of Violence, ou plus récemment du médiocre The Kid de Vincent D'Onofrio, deux films d'ailleurs portés par ce cher Ethan Hawke, toujours beau comme un cœur, et qui vaut mieux que ça. Mais les films cités plus haut méritaient haut la main de figurer dans les programmes des salles d'art et essai, et Damsel, dans une moindre mesure, n'aurait pas fait si pâle figure à l'affiche.





Affiche que se partagent littéralement Robert Pattinson et Mia Wasikowska, comme ils se partagent le film, coupé en deux par une scène étonnante. C'est la principale qualité de ce western des frères Zellner, jusqu'ici auteurs d'une paire de films indépendants que leur dernière réalisation donne envie de découvrir. La surprise. Le film, à ce titre, ne manque pas de charme. L'histoire commence quand Samuel Alabaster (Robert Pattinson) débarque dans le grand Ouest avec une guitare, un fusil et un très beau cheval miniature nommé Butterscotch, puis met la main sur un prêtre de pacotille, ivrogne notoire (David Zellner), qui prouve que l'habit fait le moine puisqu'un curé désespéré lui a légué son costume et donc sa fonction dès le début du film, pour l'accompagner dans une drôle d'odyssée : retrouver la belle Penelope (Mia Wasikowska), une femme exceptionnelle enlevée par des brutes, la sauver puis la demander en mariage. Sauf que les retrouvailles ne se déroulent pas exactement comme prévu.





Mais cette qualité est aussi un défaut, dans le sens où nos deux compères cinéastes, à force de vouloir étonner en renversant les codes du genre, oublient parfois de donner une plus ferme consistance à leurs personnages (même si Pattinson, David Zellner lui-même dans le rôle d'un prêtre du dimanche, et surtout Mia Wasikowska s'en tirent avec les honneurs). D'autant plus que Damsel n'arrive pas franchement premier sur la photo finish des westerns qui prennent les codes à contrepied. On pense, dès la pourtant plaisante scène d'introduction, à celle de From Dusk Till Dawn de Robert Rodriguez (comparaison peu flatteuse, je l'admets), puis, de façon plus appuyée, au Dead Man de Jim Jarmusch (comparaison trop flatteuse a contrario), via le personnage de l'indien dont l'image est désacralisée, et à une bonne partie du cinéma des frères Coen, à travers plusieurs gags. Mais on peut espérer que les frères Zellner iront vers un cinéma plus personnel à l'avenir, et donneront plus d'épaisseur à des personnages déjà intéressants, évoluant déjà dans de beaux décors et de belles images, ce qui pourra aussi leur épargner quelque superficialité d'un discours progressiste et féministe ici paradoxalement à la fois forcé et en demi-teinte.


Damsel (Pionnière) de David et Nathan Zellner avec Mia Wasikowska, Robert Pattinson, David Zellner, Nathan Zellner et Robert Forster (2019)

11 juillet 2019

Le Roi Lion

On l'a vu au cinéma. Et on n'en avait déjà rien à branler. Pourtant c'était "l'histoire de la vie", rien que ça... Et puis les graphismes autour de la tagline sur l'affiche, ma-gni-fique... Une gueule ce faisan ! Mais ça n'a pas pris, on n'a pas mordu à l'hameçon. Rien à battre. La seule chose qui nous a marqués, c'est la séance de ciné elle-même, faite d'événements plus ou moins heureux, pour l'un comme pour l'autre... A l'époque, quelques poignées de kilomètres nous séparaient, mais un destin commun, déjà, nous liait. L'un comme l'autre, nous avons passé un mauvais moment devant ce film, que nous sommes allés voir à une époque où les mots "libre" et "arbitre" n'avaient aucun sens pour nous (aussi nos carrières respectives de minimes dans nos clubs de foot locaux ont-elle tourné court). On décidait à notre place. Non seulement de la quantité de miel tartinée sur le bout de pain du matin, mais aussi du film à voir à 16h, et de la tenue à porter pour cette sortie : qui du survêt en velours violet de la tête au pied, qui du sweatshirt Waïkiki dix fois trop grand qui servait aussi de couette pour le coucher.


 La mythique scène d'intro, où Muphasa annonce fièrement la naissance de son petit héritier Simba, sur l'air du "Circle of life" interprété par Carmen Twillie associée à Labo M.

L'un de nous ne se souvient que de deux choses. D'abord que son père a dormi de façon très sonore, empêchant la moitié de la salle d'entendre les dialogues de la sublime VF (portés par les voix des immenses stars du grand écran hexagonal : Dimitri Rougeul, Emmanuel Curtil, Morganne Flahaut, Jean-Philippe Puymartin, Michel Prud'homme et Manu). Le paternel a écrasé dans son fauteuil, les poings fermés hissés devant le menton, en danseuse sur son siège, tanguant sur ses appuis tel un boxeur dans son coin de ring, ronflant tous ses morts de la première seconde à la dernière, recouvrant les décibels du dolby surround, coinçant la bulle, fumant Morphée du sommeil du juste, pour finalement ouvrir un œil lors du hurlement du générique final signé Ali Farka Touré, et clamer avec fierté : "C'était bien, fils !"


 La terrible séquence de la mort de Muphasa, qui rend l'âme piétiné par un troupeau de bisons après avoir été poussé sur leur passage par son propre frère, Scar, dit le fumier.

Autre souvenir de cette séance, le gros coup de pied au cul reçu dans les escaliers guidant vers la sortie de la salle, le genre de coup de pied au cul qui fait si mal qu'il coupe le souffle pendant un bon quart d'heure (un petit coup de pied au cul pour l'humanité, mais un gros coup de pied au cul pour l'homme - le genre qui t'expédie Ryan Gosling en orbite), administré par le spectateur assis derrière, qui s'est contenté de le justifier par ces mots : "J'ai jamais loupé un Disney, mais c'est le premier que je vois à travers un sweatshirt Waïkiki, CONNARD".


Scar, fier de son coup...

Parmi les rédac' chefs de ce blog, victimes de ce film, le deuxième a aussi un souvenir venu de par-devers lui, au moins tout aussi douloureux. C'était le jour de sortie du foyer d'hébergement "Le Petit bois", avec un personnel encadrant qui voyait cette sortie comme une petite parenthèse dans la journée pour souffler un brin et lâcher la bride. Sur le siège de derrière, un type, une ombre hululant, s'est servi du crâne d'enfant placé devant lui comme d'un tam-tam à la peau bien tendue et au son pur. Cet individu, le Verbal Kint de Pertuis, n'avait certes pas toute sa tête mais un sacré sens du rythme. 90 minutes de percus endiablées, à être pris pour un djembé. Tout cela est vrai. On pourrait croire qu'on embellit, qu'on sort encore des "mythos", mais c'est la pure et stricte vérité. Demandez autour de vous.


Pumba, Timon et leurs potes chantent Hakuna Matata dans le remake sorti cet été, un film "visuellement parfait".

Nous n'irons certainement pas voir le remake signé Jon Favreau (si Jon Favreau a signé quoi que ce soit dans ce gros merdier de pixels morts...). Dans 30 ans on se souviendra sans doute autant de Jon Favreau que de Roger Allers et Rob Minkoff (qui c'est ? Matez la ligne ci-dessous pour un indice).


Le Roi Lion de Roger Allers et Rob Minkoff avec beaucoup de doubleurs noirs, le film se passant en Afrique, filez-moi un mouchoir... (1994)

8 juillet 2019

Le Chant du loup

Ce film-là a fait le buzz à sa sortie. Beaucoup ont exulté devant ce qui a été désigné comme une immense réussite pour le cinéma français, la preuve incontestable et tant espérée qu'il est bel et bien capable de rivaliser avec les américains et de produire un film d'action de haute volée. Bon... Avouons que Le Chant du loup se regarde avec un certain plaisir et sait nous tenir en haleine du début à la fin. Premier long métrage en tant que réalisateur d'Antonin Baudry, il est une tentative audacieuse de film de sous-marin, que l'on peut effectivement saluer. Mais sachons raison garder. On est à des années lumière du chef d’œuvre du genre, l'éclair de génie de Wolfgang Petersen sorti en 1981 et film de chevet de tonton Spielberg : Das Boot. Si Le Chant du loup se mate sans souci et dépasse allègrement les productions merdiques chapeautées par Besson, cela reste du pipi de chat qui est loin d'être un vrai bon film et a aussi de quoi foutre sur les nerfs.




Dès la première scène on sent bien toute la volonté d'Antonin Baudry, qui a passé une demi journée dans un sous-marin pour les besoins du film, de coller au plus près du réel en nous immergeant dans l'ambiance à bord d'un tel engin, avec le jargon militaire et tous les codes absurdes qui vont avec. On commence par y croire et cette introduction prometteuse fonctionne plutôt bien. Mais pourquoi montrer de façon si appuyée que tout ça, c'est du sérieux, si c'est pour enchaîner ensuite les incohérences grotesques et les péripéties débiles ? Il serait laborieux d'en faire l'inventaire et elles rapprochent davantage ce film d'un épisode quelconque de la série 24 que d'un véritable classique du cinéma de guerre... Si le scénario de Baudry parvient à nous maintenir alertes, il finit surtout par briller par ses faiblesses et son inconséquence. Après tout, nous aurons simplement suivi les mésaventures d'une bande de tocards particulièrement doués pour se foutre dans la merde tout seul comme des grands, allant jusqu'à risquer de plonger l'humanité toute entière dans l'apocalypse nucléaire suite à une idiote erreur d'appréciation...




Fier de son casting ronflant, Le Chant du loup nous propose une belle collection d'acteurs ravis d'enfiler l'uniforme, une galerie de tronches plus ou moins cassées censée symboliser peut-être la diversité des rangs qui composent notre marine nationale. Ils sont tous d'un sérieux si plombant qu'il confine au ridicule, à l'instar de Mathieu Kassovitz et Reda Kateb, quand ils ne sont pas simplement très très mauvais (Omar Sy, dont chaque réplique sonne faux !). On ne croit pas une seconde en l'espèce d'amitié fraternelle et de camaraderie infaillible que Baudry essaie d'installer entre eux. Quand Omar Sy adresse un dernier salut militaire des plus solennels à son collègue Reda Kateb, avant que leurs chemins ne se séparent, on se dit qu'un truc n'a pas fonctionné tant on se concentre exclusivement à décortiquer la gestuelle risible de l'acteur césarisé. Le sacrifice de son personnage est un autre moment assez gênant, où l'héroïsme supposé laisse place à l'humour involontaire. Toujours au rayon comique : les mimiques de François Civil quand il se creuse les méninges pour deviner l'origine de tel ou tel son évoquent directement Ace Ventura, ce qui pourrait être une fort belle référence si le film ne se voulait pas aussi sérieux.




Autre motif d'exaspération intense : l'histoire d'amour minable que croit bon de nous asséner Antonin Baudry entre son jeune militaire à l'oreille d'or (François Civil, doué des dons de The Sentinel, ce qui lui a aussi permis d'être à l'affiche de 36 films en 2018 et 2019) et une jeune bibliothécaire d'origine allemande dont on aurait préféré qu'elle reste au pays (Paula Beer, en réalité un panaché tiède, une potiche d'abord présente pour nous faire croire en l'ampleur internationale du projet). Toutes leurs scènes de couple, de leur première rencontre rapide à leurs retrouvailles soit disant poignantes en passant par leurs ébats amoureux embarrassants, sont dignes d'un mauvais feuilleton télé. On peine à croire, encore une fois, à la vérité de leurs sentiments, eux qui se connaissent seulement depuis une soirée et qui ont d'abord eu comme point commun une irrépressible envie de niquer.




Côté mise en scène, rien à signaler. Réussir un film de sous-marin n'est pas chose facile et on ne s'improvise pas grand cinéaste d'action. S'il a côtoyé les grands cons de ce monde quand il était conseiller de Dominique de Villepin, Antonin Baudry n'a pas un cv impressionnant côté ciné. Il fait ici tout son possible pour faire illusion, sans jamais prendre de risque. Les rares explosions sous-marines en CGI sont assez laides, à tel point qu'elles nous sortent du film et nous rendent de nouveau nostalgiques du classique de Wolfgang Petersen. Le suspense final qui se veut insoutenable repose hélas sur un postulat absurde et tient seulement parce que l'on se demande jusqu'où l'apprenti cinéaste osera aller : ses matelots du dimanche provoqueront-ils la fin du monde ? Et combien des grands noms du casting resteront à jamais prisonniers de leur sarcophage d'acier ? Les réponses sont décevantes, évidemment.




Avec près de 2 millions de spectateurs en salles, Le Chant du loup est un succès tout de même compréhensible vu la concurrence moribonde et le niveau actuel des productions de ce genre. Les critiques devraient toutefois se montrer plus mesurées et signaler qu'il s'agit là d'une réussite toute relative et au mieux très modeste, bien loin de rejoindre les grands titres de ce sous-genre cher aux cinéphiles désireux de vivre des expériences tendues et claustrophobes. Bon, moi je vous laisse, je m'en vais revoir Das Boot


Le Chant du loup d'Antonin Baudry avec François Civil, Reda Kateb, Mathieu Kassovitz, Omar Sy et Paula Beer (2019)